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Et en vérité n'est-il pas excusable? Car, pour parler franchement, on est souvent bien empêché à trouver que dire, et sans quelques inventions comme cela, des personnes qui n'ont ni amour, ni affaires ensemble ne se peuvent écrire souvent1.

:

Le grand moyen de Voiture, c'est la surprise; le parfait pour lui, c'est l'inattendu, fût-il bizarre ou absurde. La forme de ses lettres ressemble à celle qu'avait adoptée Balzac, si ce n'est qu'il substitue la vivacité à l'ampleur. Balzac arrondissait le madrigal, Voiture l'aiguise. Ce dernier est plus libre, plus sautillant dans son allure, plus recherché dans ses concetti, plus entortillé dans les replis parfumés de ses compliments; il creuse davantage un frivole rapport, il est plus profond dans le faux, plus riche de clinquant, plus étincelant de paillettes. Il dit encore moins de choses en plus de paroles. Il s'entend mieux à combiner lest allusions légères, les jolis caprices de langage qui ont cours dans sa société. Balzac avait au moins quelques idées générales ici tout est local, c'est l'esprit d'une réunion d'initiés, c'est un papillotage de petits riens jolis, d'imperceptibles détails, d'énigmes de galanterie qui exigent souvent du lecteur l'attention la plus soutenue. Une spirituelle enfant de douze ans, Mlle de Bourbon, qui devint Mme de Longueville, a caractérisé Voiture mieux que tous les critiques; elle était d'avis qu'il fallait le conserver dans du sucre1. Lui-même plaisantait agréablement sur ses hyperboles; car, à la différence de Balzac, Voiture sourit ne plus ne moins que s'il était véritablement un simple mortel. Séduits par ses charmants défauts, ses contemporains voyaient en lui le plus parfait des écrivains; on se disputait ses lettres les Condé, les Grammont, les Lavalette, les d'Avaux étaient les correspondants du fils d'un marchand de vin. Boileau lui-même fut entraîné par ce torrent d'admiration ; il plaça sans hésiter Voiture auprès d'Horace. Cet engouement d'un siècle peut être exagéré; il n'est jamais inexplicable. C'est qu'en effet Voiture faisait rentrer dans la littérature fran

4. Lettre de Voiture à Me de Rambouillet.

2. Lettre de Voiture à Mile Paulet.

çaise ce que la France aime le mieux, l'esprit. Ses écrits étaient une aimable réaction contre le genre ennuyeux si cultivé au XVIe siècle. La nation reconnaissante pardonna beaucoup à l'écrivain qui, le premier, ne voulut être qu'un homme du monde. Voiture fut l'enfant gâté de l'opinion publique.

Autres célébrités contemporaines.

Au-dessous de Balzac et de Voiture se classent, dans la première partie du xvIIe siècle, des noms qu'il serait injuste d'oublier, tels que Mainard, écho affaibli de Malherbe; Segrais, bel esprit et agréable poëte; Benserade, si célèbre par son sonnet de Job, rival du sonnet à Uranie de Voiture; l'emphatique Brébeuf, traducteur de Lucain, ou, pour mieux dire, auteur d'une Pharsale aux provinces si chère! Godeau, le nain de Julie, petit, laid et spirituel abbé, qui reçut de Richelieu l'évêché de Grasse en échange d'une paraphrase du Benedicite; Chapelain, homme de mérite, érudit, grammairien et critique distingué, qui eut le malheur de se croire poëte épique, et le ridicule d'attenter au plus beau sujet de notre histoire : Boileau a trop vengé Jeanne d'Arc. D'autres essais épiques eurent alors le même succès. Le matamore Scudéry', gouverneur de Notre-Dame de la Garde, poëte guerrier qui se vantait d'avoir usé plus de mèches en arquebuses qu'en chandelles, ne put néanmoins triompher d'Alaric. Il se dédommagea en mettant la main aux romans héroïques de sa sœur, où il jeta des descriptions de batailles. Le badin et cynique Saint-Amant s'avisa. tout à coup d'emboucher la trompette,

Et poursuivant Moïse à travers les déserts,
Vint avec Pharaon se noyer dans les mers?.

A l'exemple de Boileau, nous passerons ici sous silence le jésuite Lemoine, auteur d'un Saint Louis. « Il est trop fou

OEuvres :

4. George de Scudéry, né au Havre en 1601; mort en 1667. — seize pièces de théâtre; poésies diverses; Alaric, épopée; le Voyage fortuné, roman doucereux; des discours et des traductions.

2. Boileau, Art poétique.

pour que j'en dise du bien, écrivait le satirique, et trop poëte pour que j'en dise du mal. » A côté de ces parodies. involontaires de l'épopée vint se placer la parodie moqueuse, le grotesque Scarron, aussi bizarre dans son esprit que difforme dans son corps. Tout perclus et défiguré, ce spirituel malade fit le monde à son image; il transforma l'héroïsme en ridicule, composa le Typhon et travestit l'Enéide. Une telle plume devait jouer le premier rôle dans les pamphlets de la Fronde et briller dans les Mazarinades. Mais sa gaieté fit œuvre de bon goût lorsque, à l'exemple de l'Espagnol Rojas Villandrando, il composa le Roman comique, et remporta sur les romans de métaphysique amoureuse une victoire analogue à celle de Cervantes sur les divagations chevaleresques. A la même école, où l'esprit domine plus que la décence, appartient Sarrasin, tour à tour historien, érudit et poëte, qui a fait des lettres plutôt un délassement qu'une étude, et s'est élevé bien au-dessus du médiocre sans atteindre le vrai beau1. A ces muses peu révérencieuses le salon bleu d'Arthénice oppose un doux et harmonieux poëte, le meilleur élève de Malherbe, Racan, qui surpasse autant son maître par le sentiment et la grâce qu'il lui est inférieur pour la correction et la régularité. Seul au milieu d'une société peu naïve, Racan a conservé l'intelligence et l'amour de la campagne. Un souffle virgilien semble avoir passé dans ses vers, dont l'harmonie fait pressentir Racine.

4. Geruzez, Essais d'histoire littéraire. On trouve dans cet ouvrage, dont la critique, à la fois ingénieuse et savante, rappelle la manière de M. Villemain, d'excellentes notices sur la plupart des auteurs secondaires que nous parcourons ici rapidement.

2. Honorat de Beuil, marquis de Racan, naquit en Touraine en 1589, et y

mourut en 1670,

CHAPITRE XXX.

LE THEATRE SOUS RICHELIEU.

PRÉDÉCESSEURS DE CORNEILLE. — CORNEILLE.

Prédécesseurs de Corneille.

Scudéry, Racan, Scarron et un grand nombre de poëtes contemporains ne se bornèrent point à obtenir les suffrages silencieux de la lecture: ils ambitionnèrent une gloire plus éclatante, dont la possibilité seule était l'indice d'un progrès social. Ils travaillèrent pour le théâtre. Quelque restreinte que soit chez les modernes la publicité des représentations scéniques, toutefois il y avait déjà loin de ces réunions ouvertes à tous, aux coteries privilégiées où dominaient Voiture et Balzac. La littérature française faisait appel au peuple : elle sentait devant elle un public.

Le théâtre en effet venait de sortir des colléges où il s'était renfermé avec Jodelle et Garnier. Les confrères de la Passion dépossédés de leurs mystères par l'arrêt de 1548, et réduits à vivre chétivement de farces, de moralité et de bergeries, avaient enfin cédé l'hôtel de Bourgogne à une troupe de véritables comédiens. Cette compagnie, un peu moins misérable que ses sœurs vagabondes, qui erraient sur les grandes routes, exposées à tous les accidents du Roman comique, avait pour chef, pour directeur, pour fournisseur universel, le poëte ou plutôt le manufacturier tragique Alexandre Hardy'. Pendant trente ans sa verve intarissable suffit aux besoins des acteurs et à la curiosité du public. On assure qu'il composa sept cents pièces. Il nous en reste quarante et une, toutes en vers. Une semaine lui suffisait pour inventer, écrire et livrer une tragédie. Hardy imitait ainsi les auteurs espagnols. Il faisait mieux il les pillait; les nouvelles de Cervantes et les pièces de Lope de Vega étaient sa mine d'or. Il y puisait sans règle, sans goût, entassant au

1. Né à Paris, mort en 1630.

lieu de choisir, traduisant au lieu de refondre. Il y avait pourtant dans cet homme de l'audace, de l'énergie d'expression et une remarquable entente de la scène. A défaut de l'art qui dispose, il avait l'instinct de l'effet: il savait deviner et saisir une situation intéressante. C'est par là qu'il s'emparait de son public. Placé entre deux genres divers d'affectation, il avait eu le bon esprit de préférer les Espagnols aux Italiens, les coups de théâtre à l'afféterie. « Les vers tragiques, disait-il, doivent avoir une mâle vigueur, être constamment soutenus, sans pointes, sans prose rimée, sans faire d'une mouche un éléphant. » La théorie de Hardy valait mieux que sa pratique. Il avait plutôt le sentiment du bien que la force de l'accomplir. Toutefois il faut lui savoir gré de s'être soustrait au joug des précieuses, et d'avoir forcé les spectateurs d'applaudir autre chose que ce qu'ils vantaient.

Le bel esprit de l'hôtel de Rambouillet descendit pourtant sur la scène. C'était le langage du grand monde; et le public ne veut pas être peuple. Théophile Viaud', poëte remarquable par son imagination dans les détails du style, mais sans invention comme sans goût, fit jouer Pyrame et Thisbé. Gongora avait traité le même sujet dans un poëme narratif où il avait prodigué toute l'affectation qui a rendu son nom célèbre. Théophile profita du modèle: ses personnages parlèrent à ravir la langue des alcovistes, et enrichirent leur dialogue des plus brillants conceptos. Thisbé disait dans le monologue d'ouverture :

Il m'est ici permis de te nommer, Pyrame,
Il m'est ici permis de t'appeler mon âme.

Mon âme? qu'ai-je dit? C'est fort mal discourir :
Car l'âme nous fait vivre, et tu me fais mourir.
Il est vrai que la mort que ton amour me livre
Est aussi seulement ce que j'appelle vivre.

Pyrame ne restait pas en arrière en fait d'esprit et de beau langage :

1. Né dans l'Agénois, en 1590; mort en 4626. OEuvres odes, stances et sonnets; tragédies; Traité de l'immortalité de l'áme, en prose et en vers.

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