Images de page
PDF
ePub

missaires turcs et grecs, il a entendu uniquement indiquer sur les points spéciaux du thalweg et de la ligne de faîte, le sentiment des Parties intéressées, et nullement méconnaître la différence complète qui existe entre les débats des Commissaires à Constantinople et la haute mission médiatrice dévolue à la Conférence.

L'AMBASSADEUR DE FRANCE croit être l'interprète du sentiment de ses Collègues en rendant hommage non seulement à la valeur des arguments dont le Plénipotentiaire de Russie s'est servi pour défendre son amendement, mais encore à l'esprit de modération dont son langage n'a cessé de s'inspirer. Son Excellence prie M. de Sabourow d'être bien persuadé que si les Représentants des Puissances ne se sont point ralliés à une modification dont ils ne méconnaissaient point les intentions excellentes, c'est qu'ils avaient acquis, en s'éclairant d'ailleurs des lumières de leurs Délégués techniques, cette conviction absolue que le tracé adopté par eux, sans être parfait, présentait cependant pour les deux États limitrophes la plus grande somme d'avantages et les moindres inconvénients. Le Comte de Saint-Vallier, qui a présenté au nom de la France, de la Grande-Bretagne et de l'Italie, le tracé qui vient de réunir l'unanimité des suffrages, considère comme un devoir d'exprimer à M. le Plénipotentiaire de Russie combien il a été heureux de l'entendre constater dans ses déclarations la haute importance d'une décision unanime et de le voir assurer ce grand résultat par son vote. L'œuvre arbitrale de la Conférence acquiert par l'unanimité des Plénipotentiaires une autorité supérieure qui préviendra bien des difficultés, et, en abandonnant l'amendement qu'il avait défendu avec tant de conscience et de précision, M. de Sabourow s'est assurément inspiré des vrais intérêts de la Grèce, de la Turquie et de la concorde européenne.

Les Plénipotentiaires de la Grande-Bretagne et de l'Italie s'associent aux paroles que vient de prononcer l'Ambassadeur de France.

Les Plénipotentiaires d'Allemagne et d'Autriche-Hongrie expriment les mêmes sentiments.

LE PRÉSIDENT ayant demandé s'il y avait lieu de voter sur l'amendement russe, l'AMBASSADEUR DE RUSSIE dit que sa déclaration équivaut au retrait de son amendement, sauf approbation de son Gouvernement, et que, par conséquent, le tracé français devrait seul, dans sa pensée, être soumis au vote de la Conférence.

En présence de cette opinion approuvée par tous les Plénipotentiaires, le Président dit que l'amendement russe ne sera pas mis aux voix, et, après

[blocks in formation]

avoir recueilli les suffrages de ses Collègues, constate que la Conférence, à l'unanimité, s'est prononcée pour le tracé français.

A la suite de ce vote, les Plénipotentiaires conviennent, en ce qui concerne la forme à donner aux décisions de la Conférence et la manière dont elles seront notifiées à la Turquie et à la Grèce, d'attendre les instructions qu'ils ont demandées à leurs Gouvernements.

La question de délimitation sur place des points de détail de la nouvelle frontière est ensuite l'objet d'un échange d'idées, et, sur la suggestion de l'Ambassadeur de France, la Conférence est d'avis de demander à ce sujet l'opinion de la Commission technique. L'Ambassadeur d'Angleterre ayant en outre exprimé le désir accueilli par tous ses Collègues qu'une carte, indiquant le tracé adopté, soit annexée au rapport final des Délégués et revêtue de leurs signatures, le Président annonce que, conformément à ces résolutions, la Commission technique sera convoquée: 1o pour établir la carte il dont s'agit; 2° pour préparer les instructions qui seraient nécessaires dans le cas où il serait jugé utile que des Délégués spéciaux fussent envoyés sur la frontière, et notam

ment pour fixer les points du tracé qui réclameraient surtout une délimitation sur place.

Une conversation s'engage entre les Plénipotentiaires sur diverses questions subsidiaires qui se rattachent les unes et les autres par des liens étroits à la modification de la frontière. La Conférence décide d'attendre, pour s'en occuper avec suite, les instructions que chacun de ses Membres recevra de son Gouvernement sur la mesure et la forme de cette discussion. La prochaine séance est fixée au lundi 28.

Signé HOHENLOHE.
SZECHENYI.
SAINT-VALLIER.

ODO RUSSELL.
LAUNAY.

SABOUROW.

Pour copie conforme :

BUSCH.

Μοῦν.

ANNEXE AU PROTOCOLE N° 4 DE LA SÉANCE DU 25 JUIN.

RAPPORT

de la Commission technique sur le tracé de la nouvelle frontière turco-grecque proposé par S. E. M. l'Ambassadeur de France et sur l'amendement présenté par S. E. M. l'Ambassadeur de Russie.

NOTA. On a pris la carte autrichienne comme base des indications de ce rapport.

1. — Dans la séance du 16 juin 1880, l'Ambassadeur de France a présenté à la Conférence internationale de Berlin et formulé comme il suit un projet de tracé pour la délimitation nouvelle des territoires de la Turquie et de la Grèce :

• La frontière suivra la ligne du Kalamas depuis l'embouchure de cette rivière dans la mer Ionienne jusqu'à sa source dans le voisinage de Han Kalabaki, puis les crêtes qui

⚫ forment la ligne de séparation entre les bassins :

a

Au nord de la Vouïtsa, de l'Haliacmon et du Mavroneri et leurs tributaires;

:

Au sud du Kalamas, de l'Arta, de l'Aspropotamos et du Salamyrias (Pénée ancien) et de leurs tributaires;

a

Pour aboutir à l'Olympe dont elle suivra la crête jusqu'à son extrémité orientale sur ⚫ la mer Égée.

Cette ligne laisse, au sud, le lac de Janina et tous ses affluents ainsi que Metzovo qui resteront acquis à la Grèce.

Toutes ces communications se rapportent à la carte de l'état-major austro-hongrois. Ce projet a été renvoyé à l'examen de la Commission technique convoquée à cet effet le 17 juin.

2. Le surlendemain, 19 juin, cette Commission a été saisie de l'amendement suivant présenté par S. E. l'Ambassadeur de Russie:

Amendement proposé par le Plénipotentiaire de Russie :

Adopter, pour la partie du tracé occidental, le système des crêtes de montagnes, pareillement à celui proposé pour la frontière orientale, en se guidant, autant que possible, sur le tracé du projet hellénique, à partir du point de Saint-Georges sur la côte de l'Épire, au nord du lac de Butrinto, jusqu'à l'endroit où le tracé hellénique rejoint le tracé français aux environs et au sud-est de Karaplana (carte autrichienne).

3.- Le présent rapport a pour objet de faire connaître à la Conférence l'opinion définitive de la Commission technique sur le meilleur tracé à adopter.

4.-Les Commissaires appelés à discuter cette question importante ont cherché surtout

à s'inspirer de l'esprit du Protocole XIII du Congrès de Berlin qui porte:

[ocr errors]

Le Congrès invite la Sublime Porte à s'entendre avec la Grèce pour une rectification de frontières en Thessalie et en Épire, ot est d'avis que cette rectification pourrait suivre la

⚫ vallée du Salamyrias (ancien Peneus) sur le versant de la mer Égée, et celle du Kalamas du côté de la mer Ionienne.

a

Leur mission consiste à définir une ligne de démarcation qui, comme l'a dit M. Waddington, montre bien à la fois « à la Turquie, les intentions de l'Europe, et à la Grèce, les limites qu'elle ne doit pas dépasser, afin de constituer ainsi un état de choses durable, en tenant un compte équitable des divers intérêts qui coexistent au sud de la péninsule . des Balkans ».

5. Le tracé proposé par S. E. l'Ambassadeur de France possède, à première vue, un avantage incontestable qui réside dans son extrême simplicité, en offrant au topographe aussi bien qu'au militaire et à l'économiste, une ligne continue, facile à fixer dans un rapport, à repérer et à garder ensuite sur le terrain.

6. L'examen successif des divers tronçons a permis à la Commission d'en apprécier toute l'importance et de comprendre pourquoi la ligne suit tantôt un thalweg, tantôt une crête, et pourquoi l'on n'a pas interprété sur les deux versants du Pinde, le mot vague de Vallée d'une manière identique, en entendant par Vallée soit le thalweg, soit la ligne de faîte de chaque bassin.

7. Du côté de l'Epire, les crêtes méridionales du bassin du Kalamas ne pouvaient offrir à la Grèce qu'une frontière insuffisante. Ces crêtes dominent, en effet, toute la contrée jusqu'au golfe d'Arta, et les populations agricoles et exclusivement grecques de Lamari, Campos et Karavanseraï eussent été placées dans une situation toujours critique en face des populations guerrières qui habitent la montagne et en occupent de gré ou de force toutes les issues.

-

8. C'est le thalweg du Kalamas qu'indique le projet français comme frontière nouvelle en Épire et les renseignements parvenus à la Commission permettent d'affirmer qu'il constitue une bonne ligne de démarcation entre les deux pays.

9. Si on remonte ce cours d'eau à partir de ses embouchures dans la mer Ionienne, on voit qu'il coule d'abord pendant 6 kilomètres dans une région plate où il forme une sorte de delta qui doit être bas et peut-être marécageux.

10. A 6 kilomètres de la mer, à la hauteur de Suliasi, et jusqu'au voisinage du confluent de la Velcista, le fleuve est engagé dans une tranchée abrupte, large en moyenne de 50 mètres, dominée sur les deux rives par des collines qui forment comme deux barrières inextricables. Depuis Suliasi jusqu'à Velcista, sur un parcours de 40 kilomètres, il n'existe aucun point de passage naturel ou permanent.

11. Dans la plaine peu étendue de Velcista, le Kalamas est guéable en plusieurs endroits, excepté aux époques des grandes crues; c'est là que passe le chemin de Janina à Philiates.

12. Au delà de Roiko, sur une longueur de 12 kilomètres, jusqu'auprès du confluent du fleuve avec les eaux du Lumi Ajus, c'est un ravin étroit et profond, bordé de collines escarpées; une seule communication existe d'une rive à l'autre, le Pont-de-Dieu, amas de roches enchevêtrées à travers lesquelles les eaux se sont frayé un passage.

13. Cette description succincte suffit pour montrer que, dans la plus grande partie de son cours, le Kalamas se présente comme un obstacle naturel, difficile à franchir, une sorte de fossé large et profond où les passages praticables sont rares, et, par cela même, faciles à surveiller et à garder.

14.

Une partie faible existe sur cette ligne, dont le développement est environ de 77 kilomètres, c'est la région du haut Kalamas qui forme comme une trouée par où une colonne ennemie pourrait s'avancer vers Janina; mais cette trouée même, dont la largeur ne dépasse pas 5 ou 6 kilomètres, sur un plateau peu incliné, à 400 mètres environ d'altitude, pourra être gardée et défendue en occupant les hauteurs qui dominent la route de Janina, et les inconvénients qu'elle présente s'effacent devant les avantages évidents que possède comme ligne frontière l'ensemble du thalweg du fleuve.

15.

-

La ligne ainsi tracée au nord de Janina donne à la Grèce des populations d'origine grecque, à l'exception des districts de Mazaraki et Margariti, où l'élément albanais et musulman prédomine; en revanche, sur la rive droite du Kalamas, dans la vallée supérieure du Lumi Ajus, elle laisse à la Turquie quelques groupes de populations incontestablement grecques, mais quelle que soit la ligne adoptée, elle ne pourrait jamais départager d'une manière parfaite les populations d'après leurs religions et leurs nationalités, souvent confondues; telle qu'elle est, la ligne du Kalamas semble celle qui opère le mieux la séparation entre les populations albanaises et grecques, en offrant aux deux pays une véritable frontière naturelle, dénuée de tout caractère offensif vis-à-vis de chacun d'eux, mais facile à défendre et à surveiller.

16. Du côté de la Thessalie, le thalweg du Salamyrias, mentionné au Protocole XIII du Congrès de Berlin, ne saurait évidemment être choisi comme ligne frontière. C'est qu'en effet, ce fleuve coule pendant la plus grande partie de son cours dans une plaine fertile et peuplée dont les rives communiquent entre elles par des gués nombreux, et il présente plutôt le caractère d'une voie de communication que l'apparence d'une barrière entre deux pays. La population rurale des deux versants est presque exclusivement grecque; dès lors, le thalweg du fleuve ne pouvait fournir une frontière acceptable.

[ocr errors]

17. Il ne pouvait davantage être question de choisir la ligne qui forme la ceinture méridionale des bassins du Salamyrias et de ses affluents, car, par la nouvelle frontière, la Thessalie, dont les 90/100 de la population sont grecs, fût restée à la Turquie, et c'eût été méconnaître, assurément, les intentions des Plénipotentiaires de Berlin.

18. En présence de cette double impossibilité, il ne restait plus qu'à étudier la ligne des crêtes qui limitent au nord le bassin du Salamyrias, depuis la chaîne du Pinde jusqu'au massif de l'Olympe.

19.

C'est cette ligne qu'a proposée S. E. l'Ambassadeur de France, et afin de combler une lacune du Protocole XIII qui n'indique pas comment on pourrait passer de la vallée du Kalamas dans celle du Salamyrias, on propose de suivre la ligne de faîte qui réunit ces deux bassins, de manière à laisser au sud Janina et Metzovo qui restent ainsi acquis à la Grèce.

20.

[ocr errors]

La Commission pense que ce tracé est une juste et loyale interprétation du Protocole XIII; ainsi, à partir des sources du Kalamas, la ligne proposée gagne les hauteurs par la voie la plus courte vers le nord de Han Kalabaki, pour suivre ensuite la ligne de partage des eaux jusqu'au nord de Metzovo.

21. — C'est autour de Metzovo que se trouve une région montagneuse dont l'importance militaire est considérable. C'est, en effet, de ce nœud de montagnes que partent les vallées célèbres de la Vouïtsa et de l'Haliacmon au nord, de l'Arta, de l'Aspropotamos et du

« PrécédentContinuer »