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devoir offrir sa démission à ses collègues épouvantés. Le roi n'accepta pas un sacrifice qui eût été un aveu d'impuissance; des ordres énergiques furent transmis dans les départements; des mesures d'ensemble furent mieux concertées; dans beaucoup de localités, les autorités municipales, après avoir fait réserve de leurs droits, intervinrent pour apaiser les citoyens et pour adoucir l'amertume des visites domiciliaires. Les troubles s'apaisèrent, toute résistance disparut; mais il resta dans les cœurs des ressentiments mal éteints et des traditions exagérées sur les brutalités du fisc. Le gouvernement s'était compromis avec les classes moyennes, et l'émeute pour la première fois avait grondé au sein de la bourgeoisie.

Dans le même moment, le gouvernement portait une grave atteinte au privilége des électeurs, et poursuivait la liberté de la parole jusque dans le discours d'un candidat à la députation. Nous reviendrons sur cet incident qui marque le début de M. Ledru-Rollin dans la carrière parlementaire.

CHAPITRE VI.

Persécutions contre la presse.

des pairs.

de Paris.

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Le National condamné par la cour

Procès et exécution de Darmès. -Baptême du comte
Mort de Garnier-Pagès. - Élection de M. Ledru-Rollin.

Son discours devant les électeurs.

et Hauréau. Circulaire de M. Martin du Nord.

Procès de MM. Ledru-Rollin

Nouveaux procès

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Arrestation de M. Dupoty. - La complicité morale. - Condamnation

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M. Guizot, en se donnant hautement mission de comprimer les passions intérieures, n'avait fait que les exalter. Le défi jeté du haut de la tribune avait été relevé par la presse opposante; les ardeurs de la polémique se développaient avec les rigueurs du parquet; chaque jour la lutte devenait plus vive, plus implacable. Les vieux abus et les vieilles institutions avaient beau se débattre contre de quotidiennes attaques, les condamnations judiciaires ressemblaient à des vengeances qui aggravaient plutôt qu'elles ne guérissaient de mortelles blessures.

M. de Lamennais avait été condamné le 4 janvier,

M. T. Thoré le 8, et le National écrivait, le 9, les réflexions suivantes sur l'attitude de la chambre des pairs, au sujet du traité de la Plata :

<«< Nous sommes arrivés à la chambre des pairs avec un peu d'espoir, nous en sommes sortis comme on sort d'un hôpital des incurables. Non, la vie ne pénétrera jamais dans cet ossuaire; il n'y a pas d'énergie possible quand il il n'y a pas d'indépendance. Ce semblant de chambre que le bon plaisir du monarque, a créé, se meut dans un atmosphère où ne pénètre ni la lumière, ni la chaleur. Il règne dans cette salle je ne sais quelle odeur de décrépitude qui vous refroidit et vous attriste. On dirait une comédie constitutionnelle jouée par des morts, une espèce de fantôme mécanique qu'on a hâte de voir fuir de peur que les

ressorts ne cassent. »

Cette vigoureuse satire était bien faite pour mécontenter les hommes qu'elle flétrissait. Ils voulurent faire acte de virilité en frappant. M. Séguier prit le rôle d'accusateur; la chambre décida que le gérant du National serait traduit à la barre. Il y comparut le 8 mars.

Dans des procès de cette nature, la défense est une vaine formalité, presqu'une moquerie. M. Marie fit preuve de son habileté accoutumée, mais sans avoir l'espoir qui exalte l'orateur. Un mois d'emprisonnement et 10,000 francs d'amende vengèrent la pairie, mais ne la relevèrent pas.

Elle eut bientôt l'occasion de se former encore en cour de justice. L'attentat de Darmès avait longtemps occupé les juges d'instruction, et malgré six mois de recherches élaborées, on n'avait pu donner à un acte isolé les proportions d'un complot. Toutes les roueries de magistrats émérites avaient échoué devant les naïves réponses d'un ignorant.

Cependant, pour ne pas renoncer aux bénéfices de tant de jours perdus, le rapporteur, M. Girod (de l'Ain), voulut confondre dans une volumineuse accusation tous les partis, tous les écrivains, tout ce qui pensait ou parlait autrement que les valets de cour. Réformistes et communistes étaient complices du régicide. M. de Lamennais avait des liens intimes avec Darmès, et même les publications chartistes de l'Angleterre avaient leur part de culpabilité. Cependant la conclusion de ce terrible réquisitoire était aussi mesquine que les commencements en étaient exagérés. Après avoir accusé en masse et outragé sans choix, le rapporteur ne signalait que deux complices obscurs, Duclos, conducteur de cabriolet, et Considère, garçon de recette. Et encore furent-ils acquittés presque sans examen. Malgré les efforts d'une politique imprudente, Darmès demeura seul responsable de son attentat. Le 31 mai, sa tête tomba sous le glaive de la loi.

Cette expiation politique avait été, quelques jours auparavant, précédée d'une cérémonie célébrée avec éclat par les serviteurs de la couronne. Le 1er mai, jour de la fête du roi, le comte de Paris fut baptisé dans l'église métropolitaine. Le discours adressé à cette occasion au roi par l'archevêque de Paris, était le développement de cette pensée : « Jésus-Christ, par le premier de ses sacrements, imprime le même caractère au descendant des rois, et au fils du citoyen le plus obscur. » Admirable doctrine, que l'Eglise démentait trop souvent dans ses actes. Les pompes même qu'elle déployait en ce jour témoignaient contre l'archevêque.

Peu de temps après le baptême royal, s'avançait dans Paris un immense cortége funéraire composé de citoyens

de toutes les classes: députés, écrivains, gardes nationaux, hommes du peuple, en rangs serrés, en nombreux bataillons, accompagnaient les dépouilles d'un homme qui naguères faisait leur orgueil. Un des apôtres les plus fervents de la démocratie, une des gloires de l'opposition parlementaire, Garnier-Pagès, était mort le 23 juin, mort avant quarante ans, dans tout l'éclat du talent. Les luttes politiques avaient été trop rudes pour une frêle santé, et les triomphes oratoires qu'il venait d'obtenir dans une orageuse session avaient hâté la fin d'un athlète qui comptait plus son zèle que ses forces.

C'était surtout dans ces occasions tristes et solennelles, que la démocratie déployait ses masses imposantes. Toujours isolés par une loi jalouse qui leur interdisait toute réunion, toute action commune, les démocrates ne pouvaient se rencontrer qu'à l'appel de la cloche mortuaire, en face d'un cercueil, au pied d'une tombe. Là, ils redisaient tout haut leurs doctrines, ils saluaient le jour de la délivrance, et les hommages qu'ils rendaient au frère qui n'était plus devenaient une occasion d'exhorter les lutteurs qui survivaient. Le tertre ombragé de cyprès formait une tribune où retentissaient de libres accents, de mâles espérances; et l'assemblée convoquée par la mort, ne se séparait pas sans avoir recueilli de grandes leçons de courage et de nouvelles forces pour le combat.

Plus de vingt mille citoyens se trouvaient ainsi réunis au convoi de Garnier-Pagès, et les honneurs rendus au soldat de la démocratie étaient en même temps un grand exemple pour les citoyens et un solennel avertissement pour le pouvoir.

La mort de Garnier-Pagès laissait au parlement un vide

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