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qu'il était important de dignement remplir. Le 2e collége du Mans, qui l'avait envoyé à la chambre, était le seul en France où l'opinion républicaine eût une majorité prononcée, presque le seul où l'opposition radicale, maîtresse absolue du terrain, pût faire un choix hardiment significatif. Les rédacteurs du Courrier de la Sarthe proposèrent aux suffrages des électeurs un jeune avocat de Paris qui dans plusieurs procès de presse avait lutté avec éloquence et succès contre l'élite des magistrats du parquet. M. Ledru-Rollin, il est vrai, à part son habileté et son zèle à la défense, n'avait pas eu occasion de se mêler activement aux luttes politiques, et parmi beaucoup de républicains on ne savait pas si ses idées d'opposition allaient bien loin au delà de celles de M. Odilon Barrot. Ceux qui l'avaient désigné au choix des électeurs, eurent en conséquence à lutter contre leurs amis de Paris. Les écrivains du National s'étonnaient qu'on préférât un homme nouveau à M. Michel (de Bourges), dont le talent promettait à la fraction démocratique de la chambre un vigoureux appui et des triomphes éclatants. Ils craignaient de ne rencontrer ni la même vigueur de langage, ni les mêmes hardiesses d'idées. Enfin, M. Ledru-Rollin leur semblait un choix bien pâle après Garnier-Pagès. Ces craintes et ces méfiances étaient si vives, que deux rédacteurs de ce journal accoururent au Mans pour convertir les électeurs. Ils les trouvèrent décidés à maintenir leur choix; ils furent rassurés d'ailleurs sur les sentiments républicains de M. Ledru-Rollin par les rédacteurs du Courrier qui le connaissaient plus particulièrement.

Un autre concurrent se présentait, M. Garnier-Pagès jeune. Mais il ne s'était pas encore fait connaître comme

homme politique, et les électeurs craignirent qu'on ne les accusât de faire d'un siége au parlement un titre héréditaire. Plus d'une fois ils avaient blâmé les manœuvres des conservateurs qui avaient fait transmettre leurs siéges à des fils, des frères ou des neveux, transformant ainsi une fonction indépendante en propriété de famille; ils ne voulaient pas imiter ce qu'ils avaient condamné, ni sacrifier un principe, même en faveur d'un homme qui avait leurs sympathies.

M. Ledru-Rollin fut élu le 24 juillet, à l'unanimité moins 4 voix.

La veille, dans une réunion préparatoire, il avait, comme candidat, fait une profession de foi qui rassura complétement les républicains auxquels auraient pu rester quelques doutes sur son énergie.

Son discours, à vrai dire, sortait des voies communes et ne ressemblait en rien à ce qu'on était convenu d'appeler les formes parlementaires. L'expression en était vive, passionnée, quelquefois intempérante; la pensée en était audacieuse et pleine de défis. Les timidités des partis et leurs prudentes réticences y étaient condamnées avec autant de franchise que la corruption du pouvoir. On eût le député nouveau voulait s'annoncer avec éclat : il

dit

que

y réussit.

Le discours de M. Ledru-Rollin eut un retentissement immense dans tous les départements de l'ouest. Une profession de foi ouvertement républicaine était quelque chose de tellement insolite, que les magistrats et le préfet ne purent dissimuler leur émoi. Une pareille audace voulait être châtiée. La cour royale d'Angers, dans le ressort de laquelle se trouve le département de la Sarthe,

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s'empressa d'intervenir entre le trône et la démagogie. Le 3 août, un arrêt rendu en la chambre du conseil enjoignait au procureur-général de poursuivre deux coupables, M. Ledru-Rollin pour avoir prononcé son discours, M. Hauréau, rédacteur en chef du Courrier de la Sarthe, pour l'avoir publié. En homme prudent, le procureur-général voulut avoir l'assentiment du ministère. Il écrivit à Paris, et la question fut solennellement débattue dans un conseil de cabinet. Il fut décidé que les poursuites auraient lieu.

Mais aussitôt se présentait une grave question de droit. Le candidat en présence des électeurs relève-t-il de la loi pour les paroles adressées à ceux dont il sollicite les suffrages? La liberté de la tribune ne s'étend-elle pas également au collége électoral? et faut-il que des entraves nouvelles viennent interdire la franchise à celui qui fait une exposition de principes devant ses mandataires? Le droit électoral n'était-il pas compromis tout entier, violé dans son essence par les poursuites imaginées dans le chef-lieu de Maine-etLoire? Telles étaient les questions soulevées dans les journaux, et discutées au milieu d'impatientes agitations.

Les députés eux-mêmes s'en émurent : ils étaient attaqués dans leurs priviléges; et ceux-mêmes qui désapprouvaient le discours de M. Ledru-Rollin prenaient hautement sa défense depuis qu'il était devenu un des leurs.

Il fut convenu que, pour protester avec plus d'éclat contre une atteinte à leurs droits, des députés de chaque nuance de l'opposition se présenteraient comme défenseurs du principal accusé, et qu'un représentant de la presse assisterait le rédacteur du Courrier de la Sarthe. MM. Arago, Berryer, Marie, Odilon Barrot furent choisis pour la défense de

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