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CHAPITRE VII.

Transactions diplomatiques de M. Guizot. Hatti-schériff du 13 février. Avances faites par les ambassadeurs de Prusse et d'Autriche.

Résistance de lord Palmerston.

Ali. Convention des détroits.

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- Soumission complète de MéhémetChute du ministère whig.- Traité du droit de visite. Les États-Unis refusent de s'y associer. Émotions en France. Ouverture de la session. Discussion du droit de visite. Défaite du ministère. Embarras du cabinet tory.

Discussion sur la politique intérieure.

Atteintes à l'institution du

jury. Lettre du procureur-général de Riom. Confession de M. Martin (du Nord). Les jurés probes et libres. Vote de l'adresse,

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Lorsque l'on passe de l'histoire intérieure aux faits du dehors, la physionomie du 29 octobre change entièrement de caractère. Aux rigueurs succèdent les complaisances; l'arrogance fait place à la souplesse, et les mêmes voix qui par leurs menaçants éclats appellent en France les troubles civils, s'adoucissent à l'étranger et murmurent dans toutes les cours de pacifiques refrains. Il importait beaucoup à M. Guizot de montrer comme gage de son habileté la France ramenée dans le concert européen, surtout après s'être annoncé en réparateur des fautes du 1er mars. Mais les désirs mêmes qu'on lui connaissait à cet égard rendaient les

négociations plus difficiles; et les difficultés étaient augmentées par les méfiances de l'intérieur. Accusé hautement de vouloir sacrifier la dignité nationale, contraint de céder pour mériter un retour dans l'alliance commune, il lui fallait satisfaire à des exigences opposées, et en acceptant cette position équivoque, se condamner à de pauvres subterfuges, que ne comportaient ni la gravité de la situation, ni l'honneur de la nation qu'il représentait.

La note du 8 octobre avait assurément beaucoup simplifié la difficulté. En posant comme ultimatum les droits du pacha à la possession de l'Egypte, le gouvernement français avait implicitement abandonné la question de Syrie. M. Guizot s'empressa d'accepter la position qui lui était faite, et, bien convaincu que l'Egypte au moins serait respectée, il reprit de l'arrogance et en inspira à ses agents diplomatiques. « Je dis très-haut et très-ferme, écrivait de Londres M. de Bourqueney, que le traité de juillet n'a pas mis l'Egypte en question; qu'il en faudrait un nouveau pour cela, et que c'est assez d'un seul traité conclu sans la France. >>

Cependant lord Palmerston, dans une conversation avec notre chargé d'affaires, lui disait que si le pacha persistait dans sa résistance, même après l'évacuation de la Syrie, la Porte serait autorisée à suivre les opérations militaires jusque contre l'Egypte rebelle.

« Non, Milord, répéta encore une fois M. de Bourqueney, il faudrait pour cela un nouveau et plus grave traité 1. »

Ce fier langage fut encore une fois démenti par l'événement. A quelques jours de là, les Anglais attaquèrent

1 Dépêche de M. le baron de Bourqueney, 18 novembre 1840.

Alexandrie, sans souci d'un nouveau traité. La note même du 8 octobre était comptée pour rien, et M. Guizot perdait tout d'abord la position qu'il avait prise et qu'il avait crue inattaquable.

Heureusement, toutefois, la convention du 27 novembre, en laissant au pacha la possession héréditaire de l'Egypte, sauvait l'honneur; et quoique le gouvernement français n'y fût pour rien, il put se féliciter qu'on ne mît pas sa longanimité à une plus rude épreuve. Ce n'est pas cependant que les mauvaises volontés fissent défaut. L'amiral Stropford ne consentait pas à reconnaître la convention d'Alexandrie; la Porte, gouvernée par lord Ponsomby, le confident des vues secrètes de lord Palmerston, refusait également sa ratification. Reschid-Pacha, ministre dirigeant, était voué aux intérêts anglais, et tout se faisait à Constantinople par l'influence de lord Ponsomby. Remplaçant en conséquence la convention d'Alexandrie par un hatti-schériff en date du 13 février 1841, le sultan confirmait, il est vrai, Méhémet-Ali dans le gouvernement de l'Egypte, et lui accordait l'hérédité, mais à des conditions qui réduisaient sa condition au-dessous même de celle des pachas ordinaires. Ainsi, pour l'hérédité, le sultan se réservait de l'accorder à celui des enfants máles qu'il choisirait. C'était organiser d'avance la guerre civile à toute vacance du pachalik. Et encore la prérogative de l'hérédité ne devait donner au gouverneur de l'Egypte aucun rang ou titre supérieur à celui des autres vizirs, ni aucun droit de préséance. Quant au service militaire, l'effectif des troupes égyptiennes ne devait pas dépasser 18,000 hommes en temps de paix, et la nomination de tous les officiers supérieurs de terre et de mer appartenait au sultan, le gouverneur de l'Egypte ne devant nommer que jusqu'au

grade de lieutenant inclusivement. Enfin, le gouverneur de la province d'Egypte ne pouvait construire des bâtiments de guerre sans l'expresse permission du sultan. On reconnaissait dans cette clause ainsi que partout ailleurs l'effet des influences britanniques.

Mais en allant aussi loin, lord Palmerston avait dépassé le but, et les puissances qui l'avaient secondé commençaient à se repentir de leurs trop faciles complaisances. La Prusse et l'Autriche s'alarmaient de voir tomber la balance que I'Egypte tenait suspendue entre les deux prétendants à la succession des Osmanlis; la Russie s'inquiétait du soudain raffermissement de cet empire ottoman dont elle épiait la chute. Les uns et les autres tendirent à se rapprocher de la France.

Déjà au commencement de décembre, M. de Metternich, écrivant à M. de Saint-Aulaire pour lui annoncer la convention d'Alexandrie, lui disait :

« Que devient maintenant l'isolement de la France? Le sultan aura fini ses affaires, Méhémet-Ali sera pacha héréditaire en Egypte. L'affaire va être arrangée entre eux dans la forme d'une question intérieure. La France voudrait-elle s'isoler de ces résultats? Où est la quadruple coalition? contre qui et contre quoi armerait-on? Ne sera-ce pas contre la paix elle-même. »

Des ouvertures analogues furent faites à Londres à M. de Bourqueney par les ambassadeurs de Prusse et d'Autriche; M. de Metternich envoyait en même temps à lord Palmerston un projet de convention générale qui devait être soumis à la signature de la France; et cette convention ayant été communiquée à Saint-Pétersbourg, M. de Nesselrode écrivait à Londres au baron de Brunow:

« La question d'Orient ainsi réglée, reste maintenant à consacrer la solution par une transaction finale à laquelle concourrait la France. L'empereur serait disposé à admettre le plan proposé par lord Palmerston, et, si le gouvernement français se décidait à l'accepter, l'empereur vous autoriserait à y prendre part '.

Ce qui expliquait d'ailleurs l'empressement des puissances à faire des avances au cabinet des Tuileries, c'est que la signature de la France devenait une approbation de tout ce qui s'était fait, une condamnation même du système d'isolement qu'elle avait suivi.

Le piége était cependant trop grossier, et malgré ses ardents désirs vers un rapprochement, M. Guizot ne pouvait s'y laisser prendre. Il écrivait en conséquence à M. de Bourqueney le 18 décembre : « Le gouvernement du roi n'approuve, ni avant ni après l'événement, le mode employé par le traité du 15 juillet, ni le but que ce traité atteint. Il ne s'y est point opposé par la force, mais il ne saurait entrer en part dans aucune de ses conséquences. Toute la question pendante entre le sultan et le pacha lui est et lui doit être étrangère. Il ne peut donc rentrer dans les conseils de l'Europe, tant que cette question dure encore; il n'aurait à y prendre part qu'autant que les intentions du sultan à l'égard du pacha blesseraient les droits que la France a garantis, ce que personne ne paraît plus supposer. »

C'était, à vrai dire, une singulière manière de sauvegarder la dignité de la France, que de dire : « Vous avez commencé sans moi, terminez sans moi. » Sans doute, la France

1 Histoire de la politique extérieure du gouvernement français 18301848, par M. d'Haussonville, t. Ier, p. 198.

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