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c'est un de ces tyrans qui ne marchent que par la voie de la dissimulation, qui établissent leur empire, non pas sur la sincérité de leur langage; mais sur la violation de tous leurs engagements! >>

La question ainsi posée ne laissait pas de place à l'équivoque : l'acquittement du journaliste était la condamnation du roi. L'avocat général avertissait clairement les jurés de ce qu'ils allaient faire. Ils lui répondirent par un verdict d'acquittement.

Cette nouvelle répandue aussitôt dans Paris y produisit une agitation inexprimable. Les radicaux et les légitimistes étaient triomphants; ils venaient de frapper au cœur le roi irresponsable, le roi vainement protégé par une inviolabilité fictive, le roi mis sur la sellette d'une cour d'assises et condamné par la voix de quelques boutiquiers. La consternation était au château, au ministère, à la chambre; et, comme il arrive après toute défaite, les vaincus se rejetaient de mutuelles accusations d'imprudence et de maladresse. M. Martin (du Nord) était accablé de reproches, M. Franck-Carré taxé d'imprudence, le ministère tout entier poursuivi d'injurieuses récriminations. Au lieu d'amoindrir la défaite par un habile silence, chacun l'aggravait par le bruit qu'il en faisait. Vainement le Journal des Débats, la Presse, épuisaient leur verve à prouver l'absurdité de l'accusation portée contre le roi; ces plaidoiries mêmes entretenaient les douleurs, et le public leur opposait toujours le verdict du jury, lorsqu'une soudaine découverte vint rendre quelque confiance aux amis du château. En 1834, M. Sarrans jeune avait publié un ouvrage intitulé : Louis-Philippe et la contre-révolution de 1830. Or, à la page 8 du premier volume se trouvait textuellement la

première des lettres objets de tant d'émotions. Ajoutons néanmoins que le premier paragraphe ne s'y rencontrait pas et que le reste était chez M. Sarrans sous forme d'une réponse verbale adressée par le roi à lord Stuart, ambassadeur d'Angleterre en 1830. De vieux souvenirs ou des recherches faites au hasard firent tomber ce passage sous les yeux d'un député, qui en fit prendre communication à M. Duchâtel. Le ministre ravi crut avoir un argument irrésistible contre les factieux. Il devenait évident pour tous que la Contemporaine avait copié le texte d'un ouvrage imprimé, pour le transformer en une lettre du roi ; le faux était manifeste, les calomniateurs étaient confondus, la royauté vengée.

Aussitôt une sommation par huissier est adressée à chacun des journaux qui avaient reproduit les lettres, afin qu'ils aient à insérer la note suivante :

«A M. le gérant du....

<< Dans l'ouvrage de M. Sarrans jeune, intitulé Louis-Philippe et la « contre-révolution de 1830, tome 1er, page 8, 2e alinéa, on trouve << sous forme d'une prétendue réponse verbale adressée par le roi à « lord Stuart, ambassadeur d'Angleterre en 1830, le texte même, mot << pour mot, d'une des trois lettres publiées par la France. La Contem« poraine s'est bornée à copier ce passage, en se servant de son talent << à imiter les écritures, pour le transformer en une soi-disant lettre du <<< roi. >>

Après avoir mis en regard les deux textes, la note ministérielle ajoutait :

« Nous n'avons pas besoin de dire que la conversation rapportée par « M. Sarrans n'est pas plus vraie que la lettre de la Contemporaine. »

Ce document fut accueilli par la presse ministérielle avec

des cris de triomphe: Personne ne croit plus aux lettres, écrivait le Journal des Débats. C'est un flagrant délit de mensonge, répétait la Presse. Et en effet, en dehors des partis militants, beaucoup d'esprits se prenaient à douter, et les opinions flottantes qu'avait entraînées la décision du jury, commençaient à suivre une impulsion contraire. Mais bientôt la discussion engagée sur ce nouveau terrain fit perdre au ministère l'avantage qu'il avait gagné.

D'abord, M. Sarrans, en réponse aux arguments ministériels, écrivit aux journaux la lettre suivante :

« Je n'ai pas à entrer dans le débat qui s'est engagé entre les orga<«<nes du ministère et la Contemporaine, ni à apprécier l'accusation <«< dirigée contre cette femme; mais j'ai le droit de m'étonner de la dé<«< négation dont les faits exprimés dans mon livre sont aujourd'hui « l'objet.

« Que la conversation attribuée au roi par la dépêche de l'ambassa<< deur d'Angleterre n'ait point eu lieu, cela est-il possible? Oui, à la « rigueur mais ce qui est positif, c'est l'existence de cette dépêche «dans les archives du Foreign-Office. »

En second lieu, les journaux anglais qui n'oubliaient pas les engagements pris relativement à l'évacuation d'Alger, se mêlèrent aux discussions de la presse française, pour confirmer les assertions de M. Sarrans.

« La Presse, écrit le Morning-Post à la date du 30 avril, s'efforce de prouver que l'abandon d'Alger n'a jamais été promis par Louis-Philippe, et que le gouvernement de Charles X était seul responsable de la promesse de ne pas l'occuper. Nous avons fréquemment traité ce sujet; nous répétons les faits aujourd'hui comme ils ont été établis au parlement par le duc de Wellington, lord Aberdeen, lord Stuart et sir Robert Peel. Le prince de Polignac s'était for

mellement engagé à ne pas occuper Alger, avant que l'expédition du général Bourmont mît à la voile. Cette non occupation a fait le sujet de fréquentes communications diplomatiques entre lord Aberdeen, alors ministre des affaires étrangères, et lord Stuart de Rothsay, ambassadeur anglais à Paris. Après la révolution de 1830, Louis-Philippe prit vis-à-vis de lord Stuart l'engagement verbal d'évacuer Alger. >>

Quelques jours plus tard, le Morning-Post donne de nouveaux détails :

<< Nous pensons, dit-il, que la conversation entrè le roi et lord Stuart de Rothsay, qui eut lieu en août 1830, après l'élection du roi par 352 pairs et députés, eut lieu de la manière suivante : le comte Molé était ministre des affaires étrangères dans le cabinet du 11 août, le premier ministère qui ait été formé après l'élection du duc d'Orléans comme souverain. Lord Stuart de Rothsay se rendit auprès du comte Molé pour lui parler de l'affaire d'Alger. On dit que la réponse fut celle-ci : « Parlez-en au roi. » Et lord Stuart en parla au roi, et la conversation produisit la promesse d'abandonner Alger. »

Il y a plus: tous les hommes au courant des débats parlementaires de la Grande-Bretagne se souvenaient parfaitement que dans les années 1832 et 1833, il avait été souvent question des engagements pris par Louis-Philippe. Les tories n'étaient plus au pouvoir, et ils reprochaient amèrement aux whigs de ne pas faire exécuter les promesses consenties. Lord Aberdeen rappelait à ce sujet le document transmis par lord Stuart et déposé aux archives du Foreign-Office. Lord Grey, chef du ministère whig, ne niait pas l'existence du document, mais il refusait de le

produire par des motifs de convenance. « Mais la véritable raison, dit le Morning-Post, était que, dans ce temps-là, le ministère whig était très-engoué de gallomanie. >>

Il demeurait donc constant pour tous, et par l'affirmation de M. Sarrans, et par les assertions des journaux anglais, et par les débats parlementaires, que le document, objet de *tant de débats, existait réellement dans les archives du Foreign-Office. Dès lors se trouvait expliquée toute l'affaire des lettres de Louis-Philippe, publiées en 1841, au moins en ce qui concerne la première.

A l'avénement de Louis-Philippe, son premier souci est d'être assuré de l'alliance anglaise, et la première condition qu'on lui fait est l'accomplissement des promesses de Charles X relativement à l'Algérie. Il s'y engage, et remet à lord Stuart la note verbale commençant par ces mots : « En thèse générale, ma résolution la plus sincère, etc. » Peu de jours après, il envoie à son confident et ambassadeur M. de Talleyrand, copie de la note en la faisant précéder de ce paragraphe : « La voilà cette fameuse épître, etc. » C'est cette dernière missive qui est retrouvée dans les papiers de Talleyrand, et vendue aux rédacteurs de la France. On comprend dès lors pourquoi la note publiée par M. Sarrans ne contient pas le premier paragraphe; car c'est le document envoyé à Londres par lord Stuart; on comprend pourquoi ce paragraphe se retrouve dans la lettre livrée par la Contemporaine; car c'est un morceau détaché de la correspondance de Louis-Philippe avec Talleyrand.

1 En langage diplomatique, on appelle note verbale, tout écrit sans signature, sans caractère officiel.

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