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<< Le poëte est mort, croyez-moi! Où était la flamme, à peine reste la cendre; mon cœur a perdu sa jeunesse, comme, de mon front dépouillé, sont tombés mes cheveux noirs.

« Je laisse à la jeunesse brillante, l'hymne que demande votre jeunesse! Je laisse aux regards pleins de vie, la contemplation de ces grâces que j'ai à peine le droit de contempler!»>

A coup sûr ce ne sont pas là de très-bons vers, ce sont bel et bien des vers d'album tout au plus. La dame y répondit par quelques stances, improvisées sous les charmilles du jardin Doria :

<< Quand je vous dis : Faites-moi des vers ! pensez-vous donc que la vanité de la femme se soit adressée à la gloire du poëte? Non; et déjà mon miroir me dit, de près, si tu veux de la poésie, il faut te hâter!

<< Mon visage, je le sais bien, a été touché d'un coup d'aile; le temps a emporté les premières roses de ma joue, et j'ai renoncé aux hommages qui ne sont dus qu'au printemps.

<< Seulement j'ai voulu emporter, de mon pèlerinage d'Italie, un parfum, un souvenir, un des accords de cette lyre, frissonnante de tous les transports de la vie et de la gloire! O poëte malheureux! qui compte tes cheveux blancs, sous tes lauriers! >>

De Gênes et de Venise, on revint à Londres, après avoir traversé la France, comme on peut le voir dans le livre de lady Blessington, le Flâneur en France, qui suivit de près le Flâneur en Italie. Ces deux livres, souvent imprimés, réussirent dans la belle société anglaise alors, et tournée au bleu indigo, lady Blessington se plaça au premier rang de ces femmes malheureuses qui feraient, au besoin, de l'Océan Pacifique un vaste encrier. Que de livres elle a écrits, d'une plume nonchalante et pourtant infatigable, dédaigneuse et cependant avide de louanges! Les Deux Amis, les Victimes de la Société, la Gouvernante!

Elle écrivit même un petit poëme, en vers, intitulé: La Femme à la mode d'une saison. Cette femme à la mode, c'est elle-même ; elle s'y peint en buste, comme font toutes les femmes qui savent vivre; notre femme à la mode écrivit bientôt les Confessions d'un vieux gentilhomme, quoi d'étonnant? Bien peu de femmes, sachant tenir une plume, se sont refusées au plaisir de raconter l'histoire de quelque vieux gentilhomme. Regardez! C'est la jeunesse de cette femme qui se montre de nouveau, et le vieux

gentilhomme n'est qu'un prétexte pour parler, tout à l'aise, des journées où l'on était jeune !

Lady Blessington a écrit encore plusieurs livres : Strathern, ou la Vie bourgeoise, à l'ombre du toit domestique. La vie bourgeoise, à savoir : la vie heureuse, hélas ! la dame avait raison, cette fois, elle touchait juste, en célébrant dans sa prose maniérée, l'ordre et la paix du logis, les heures calmes, pieuses, solitaires et peu mondaines, les heures sans bruit, sans remords, à l'abri des passions et de leur violence! Elle avait raison de tourner ses regards vers l'asile sacré qui tient l'âme à l'abri de ces fêtes insensées et de ces joies folles. Luxe d'un instant, plaisir d'une heure, vanité du beau langage et des belles manières ! Victoires et triomphes d'un ruban ou d'une frêle broderie, sur un lambeau de gaze! Labyrinthe éternel et vieillissant chaque jour, des succès de la vanité et des divertissements frivoles!

Pas de femmes à la mode dans le home, mais bien, de bonnes femmes, simples, dévouées, fidèles au devoir, en un mot, tout ce qu'il y a de plus vraiment noble, aimable et de plus distingué dans l'univers.

Mais quoi! c'est la loterie de la vie1.

Soyez justes, il faut être bien forte et bien maîtresse de ses propres destinées, pour ne pas obéir au train du monde, au vent qui souffle, à ce besoin d'éclat, de mouvement, de feu, d'ironie et d'ambition, qui est la vie de tant de femmes, chez nous et là-bas ! Victimes intrépides du plus abominable de tous les arts, l'art de tuer les années, de se mentir à soi-même, de s'éblouir de ce phosphore d'emprunt que l'on prend pour le grand jour, il faut moins les blâmer, qu'il ne faut les plaindre! A coup sûr, la mère de famille, assise dans le fauteuil commode et sans prétention des vieillards, au coin du feu en hiver, à l'ombre en été, qui de sa main ridée et vénérable, tricote les bas du dernier-né de sa fille absente, cette vieillesse sans nuage, entourée de respect et d'obéissance, cette noble tête, où chaque pli d'un visage serein, annonce une pensée loyale, un devoir accompli...

1. Encore un roman de lady Blessington; elle a fait aussi Confessions of an Elderly lady. Galeria, Flowers of Loveliness, Philadelphia; bien près de cinquante volumes in-octavo, sortis de cette frivole petite main!

Ces vêtements sombres, ces plis austères qui rappellent le deuil du mari, mort depuis longtemps et pleuré toujours, ce calme paysage, mêlé de ciel et de silence, de verdure et de repos, le frais cimetière que l'on traverse, d'un pas ferme, pour arriver à l'église, non pas sans contempler la place où l'on sera demain, avec la vive espérance de ne pas y rester longtemps... voilà la vie et la seule vie, et qui ne ressemble en rien à ces transports, à ces fièvres, à ce délire, au malheureux état d'une âme hésitante entre la mort et la vieillesse, comme le tombeau de Mahomet entre la terre et le ciel !

O cendres de l'orgueil! O poussières de la vanité! O fard des visages décrépits! Haillons de gaze et de velours! Et puis, mourir tout d'un coup, la mort vous survenant au milieu d'une causerie à étiquette, la mort vous trouvant les épaules nues, et parée comme pour le bal! Et quand vous êtes engloutie, à la façon des fantômes que le mélodrame engloutit dans ses trapes, le beau monde, ce monde auquel vous avez tout sacrifié, s'informant à peine s'il est bien vrai que vous soyez tout à fait morte? Après quoi le monde, qui veut savoir où passer ses soirées inutiles, se met en peine de retrouver quelque femme oisive, frivole et railleuse, qui soit disposée à verser, chaque soir, au premier venu, les trésors de sa conversation, de sa grâce et de son thé!

Pour la première fois, peut-être, depuis le jour où elle était devenue un arbitre écouté des élégances anglaises, et c'est tout dire, lady Blessington manqua d'à-propos, lorsqu'elle abandonna l'Angleterre, pour la France en 1848. Certes le moment était mal choisi pour une si belle dame, et l'heure était mauvaise, pour ce bel esprit, toujours endimanché, qu'on n'avait pas le temps d'entendre, pour ce tact exquis dont on n'avait que faire, au milieu d'une révolution. A quoi bon, en effet, dans ce tumulte et dans cette confusion, cette active et vivante mémoire des choses et des hommes passés? A quoi bon, cet art de plaire, et du savoir-vivre, à l'heure où cet abominable Proudhon, par son paradoxe impie et sa formule abominable, anéantissait toutes les grâces de la parole et toutes ses libertés?

Non, elle l'avait espéré en vain, elle ne pouvait pas installer son arsenal de causerie ingénieuse et piquante, au milieu de nos orages et de nos pestes, dans ce pêle-mêle de mourants et de morts,

cette femme heureuse qui, pendant vingt ans, a publié, chaque année, qui le croirait? le plus beau et le plus charmant de tous les livres, le Livre de Beauté, frêle collection des plus douces et des plus merveilleuses images qui représentent, dans leur grâce infinie, les plus grands noms de l'Angleterre. Le Livre de Beauté, ce Panthéon de la jeunesse, l'arène du printemps, le frais parterre où fleurissent, également, l'humble violette et la rose superbe, pas une année ne se passait sans que lady Blessington, d'une main loyale et désintéressée, ouvrît aux plus belles têtes des trois royaumes, ce Louvre d'un jour! Quel choix merveilleux! quelle veine heureuse, quelle nation, qui suffit à un pareil livre... et quel plus digne éditeur, d'un pareil livre, que lady Blessington?

<< Ici, disait Byron, je retrouve l'azur de ces beaux yeux noyé dans un feu liquide, ces boucles dorées qui flottent autour d'un front de neige, ces visages dont la beauté même a dessiné les traits? »Ne dirait-on pas que Byron parle du Livre de Beauté? Et plus loin, lisez cette strophe pleine de vie et de tristesse; ne dirait-on pas qu'il écrit, à l'avance, l'inscription fugitive de ces frêles tombeaux?

<< Adieu, race légère! un long adieu ! L'heure fatale approche! Déjà mes yeux sondent l'abîme où vous allez tomber sans retour! Voilà bien le lac sombre de l'oubli, agité par des orages que vous ne pouvez maîtriser. Adieu! dans ces eaux froides votre aimable souveraine vous précède................. elle ne vous attendra pas longtemps! >>

Resté seul au milieu des ruines de tant de vertus qu'il avait méconnues, de tant de devoirs qu'il avait oubliés, le comte Dorset versa des larmes amères sur l'infortunée en qui reposaient són passé, son présent, son avenir. Comme ils s'étaient tout sacrifié l'un à l'autre, il devait arriver que celle-ci entraînerait celui-là dans sa ruine; elle emportait tout ce qui restait de force et d'espérance à cet amant pour qui elle s'était perdue, et lui, s'il fût parti avant elle, il eût emporté sa dernière élégance. Ils n'étaient pas seulement la maîtresse et l'amant, ils étaient deux complices...

Le comte Dorset tenta vainement de se défendre et de se protéger lui-même. A cinquante ans qu'il pouvait avoir, il avait con

servé sa belle taille et sa beauté virile, et tout frappé qu'il était d'un mal mortel, il se tenait debout, la tête haute, causant à merveille de toutes les vanités d'ici-bas, des histoires galantes, des révolutions d'antichambre, des petits beaux-arts du salon, et des chefs-d'œuvre mignards que fabriquent, barbouillés d'encre et de musc, en leurs boudoirs,"ces jolis comtes, ces précieux marquis, ces capricieuses baronnes, qui se font peintres, poëtes ou sculpteurs pour se donner une contenance, et dans le vain espoir d'usurper une seconde jeunesse, et plus élégante, quand la vraie et la seule jeunesse est perdue à jamais!

En fait de mariage libre, hors du monde et des lois légales, notre siècle n'en saurait trouver un plus triste, et plus éclatant que le mariage adultérin de lady Blessington, et du comte Dorset.

S XV

Ne vous étonnez pas, qu'à chaque instant, nous entrions ainsi en contemplation devant le poëte ou l'écrivain qui se présente au milieu de notre histoire littéraire. Ils se tenaient tous, par un lien invisible, ces hommes qui charmaient, épouvantaient ou consolaient le monde, aux temps heureux de notre jeunesse; ainsi Chateaubriand, Lamartine, lord Byron, sir Walter Scott, Victor Hugo, ces maîtres du monde des intelligences, vous les retrouverez, en toutes les œuvres et dans tous les rêves de cette nation. Ils règnent, ils gouvernent, ils dominent, ils sont l'exemple et l'inspiration, le mouvement et le conseil. De ceux-là tout nous vient, et tout retourne à ceux-là. Pas un de ces maîtres, qui n'ait été consulté, par tout jeune homme, à son début, lorsqu'il se demande, inquiet de lui-même et de l'avenir, ce qu'il doit faire?

« Bêcher, labourer, porter des fardeaux, » disait le vieux Chremès dans cette comédie de Térence, citée par Cicéron en ses Tusculanes:

Fodere, aut arare, aut aliquid ferre, denique!

De cette inquiétude au départ vous avez vu, de son propre aveu, que Frédéric Soulié était profondément pénétré. Être inconnu ou glorieux? couvert d'honneurs ou de mépris?

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