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qu'il soit fait devant un officier public, le Français qui l'a fait à l'étranger doit remplir cette condition; il le doit parce qu'il le peut (1).

L'affirmative a beaucoup plus de partisans. D'abord il n'est pas exact de dire que le Français peut toujours, quand il est à l'étranger, faire ces actes devant un officier public. En effet, d'une part, certains pays n'ont point d'officiers publics. D'autre part, l'officier public étranger peut refuser de les recevoir : car ces actes, ne pouvant se faire, selon la loi qui le régit, qu'en la forme sous seing privé, sont en dehors de ses attributions et, par suite, de son pouvoir.

La règle locus regit actum s'applique, d'ailleurs, à toutes les questions qui touchent aux formes des actes; or, la question de savoir si un acte fait en la forme sous seing privé est ou n'est pas valable, est une pure question de forme.

Toutefois, s'il y a eu dol, si un Français a quitté son pays uniquement dans le but d'aller faire à l'étranger, en la forme sous seing privé, un acte qu'il n'aurait pu faire en France que dans la forme authentique, cette fraude à la loi ne réussira pas: l'acte ainsi passé pourra être, en France, déclaré nul. La règle locus regit actum n'a été, en effet, posée nulle part; et c'est précisément pour laisser aux juges un certain pouvoir discrétionnaire. que les rédacteurs du code ont évité de la consacrer par un texte formel (2).

[[Pour nous cette discussion serait assez oiseuse. Le législateur, en statuant que les actes faits en dehors du Bas-Canada sont valables, si on y a suivi les lois du lieu où ils ont été passés, ne distingue pas entre les actes solennels et ceux qui n'ont pas ce caractère. Peut-être pourrait-on cependant accueillir l'exception de fraude que signale Mourlon, la fraude formant une exception à toutes les règles.

L'article 8 de notre code est un corollaire de l'article 7. Les actes faits à l'étranger sont valides si l'on a suivi les formes du lieu du contrat. Il faut cependant aller plus loin et déclarer qu'en interprétant ces actes on aura égard aux lois de l'endroit où ils ont été faits. C'est là le but de l'article 8 qui se lit comme suit:

(1) En ce sens, voy. aussi M. Laurent, Princ. de dr. civ., t. 1, n° 99; le Dr. civ. internat., t. II, nos 240 et suiv.

(2) Merlin, v° Testam.; Marc., t. I, p. 58; MM. Demol., t. I, n° 106; Aubry et Rau, t. I, § 31, note 70; [[Baudry-Lacantinerie, t. ler, n° 84.]]

8.-"Les actes s'interprètent et s'apprécient suivant la loi du lieu "où ils sont passés, à moins qu'il n'y ait quelque loi à ce contraire, que les parties ne s'en soient exprimées autrement, ou que, de la "nature de l'acte, ou des autres circonstances, il n'apparaisse que "l'intention a été de s'en rapporter à la loi d'un autre lieu; auxquels cas il est donné effet à cette loi, ou à cettè intention "exprimée ou présumée."

Cela équivaut à dire qu'en l'absence de conventions spéciales à cet égard, les parties sont censées s'en rapporter à la loi de l'endroit où leur contrat à été passé pour l'interprétation de ce contrat. Elles n'en sont pas moins libres de choisir d'autres règles d'interprétation. Ainsi, dans un contrat signé aux Etats-Unis, l'on peut déclarer qu'il sera interprété suivant les lois du Bas-Canada. Mais l'inverse est-il vrai? Peut-on convenir qu'un contrat signé en la province de Québec sera interprété conformément aux lois d'un pays étranger? Il est impossible de le nier en face des termes formels de l'article 8, et d'ailleurs, la convention est la loi des parties. Il va sans dire que l'on ne suivra cette règle qu'autant que rien dans nos lois ne s'y oppose, la souveraineté nationale l'emportant sur toute autre considération.

L'on verra par la jurisprudence que j'aurai à citer sous cet article qu'il est plus facile de formuler un principe que de l'appliquer. La plus ancienne cause rapportée, celle de Allen v. Scaife (2 R. de L., p. 77), ne fait qu'affirmer le principe de l'article 8.

La cause de Wilson & Demers n'est pas venue moins de cinq fois devant nos tribunaux. L'action était portée par un marchand de New-York sur un billet signé à New-York, le 12 septembre 1857, par un nommé Demers et payable à quatre mois de sa date à Fond du Lac dans l'État de Wisconsin, aux États-Unis. Vers le temps de l'échéance de ce billet, Demers s'enfuit des ÉtatsUnis et vint se fixer dans le Bas-Canada. Pendant bien longtemps le créancier ne put découvrir le domicile de son débiteur. Quand il y réussit enfin, le billet était déjà prescrit par nos lois, mais ne l'était pas suivant les lois de l'État de Wisconsin où l'absence du débiteur est une cause d'interruption de prescription. Wilson ayant donc découvert le domicile de son débiteur, l'actionna à Montréal. Prévoyant cependant qu'on allait lui opposer le moyen résultant de la prescription, il allégua spécialement que par la loi des États de New-York et de Wisconsin, l'absence du débiteur constituait une interruption à la prescription. Le défendeur lui opposa une défense en droit, prétendant que la prescription étrangère n'avait pas d'application dans l'espèce. Cette défense fut

maintenue par le juge Berthelot qui renvoya l'action décidant que la prescription d'un billet à ordre fait et payable à l'étranger se règle par la lex fori (la loi du lieu où l'action est portée) et non d'après la lex loci contractus (10 L. C. J., p. 261). Le demandeur appela de cette décision à la cour d'appel, et ce tribunal, composé des juges Alwyn, Drummond, Badgley et Mondelet, infirma le jugement de la cour supérieure pour la raison que la déclaration contenait des allégations de faits qui n'étaient pas attaquées par la défense en droit (11 L. C. J., p. 105). Le demandeur fut donc libre de procéder sur le mérite de sa cause et il prouva qu'en effet les lois des États de New-York et de Wisconsin suspendaient la prescription pendant l'absence du débiteur. Inscrivant sa cause devant la cour supérieure, il fut plus heureux cette fois, car le juge Mondelet lui donna jugement, déclarant que la prescription du billet en question devait se régler suivant la lex loci contractus (12 L. C. J., p. 222). Le défendeur porta la cause en révision, devant les juges Mondelet, Mackay & Torrance, et là, le jugement de la cour supérieure fut infirmé, le juge Mondelet, différant (13 L. C. J., p. 24). Appel fut interjeté de cette décision devant la cour d'appel, composée des juges Duval, Caron, Drummond, Badgley & Monk (14 L. C. J., p. 317), et cette cour fut unanime à infirmer le jugement de la cour de revision, car elle était d'avis que même, d'après nos lois, la prescription n'était pas acquise dans l'espèce, conformément au principe: contra non valentem agere nulla currit prescriptio. Toutefois, la majorité de la cour d'appel, les juges Caron, Drummond & Monk, adopta le principe de la lex loci contractus, le juge Badgley paraissant favoriser la lex fori (a).

Trois ans plus tard, en 1870, nous trouvons une décision de Hillsbury v. Mayer (18 L. C. J. p. 69), où le juge Mackay a de nouveau affirmé le droit de la lex fori de régler la prescription d'un billet fait et payable à l'étranger.

Dans ces deux causes, il s'agissait d'un billet fait avant le code civil. Il n'est pas nécessaire que je discute le mérite de cette question que, du reste, j'aurai à traiter plus loin. Les articles 2190, 2191 du code civil l'ont pratiquement réglée et il est heureux qu'il en soit ainsi, car c'est l'une des questions les plus controversées du droit français (b).

Je puis dire, cependant, que nos tribunaux paraissent revenir, (a) Le lecteur consultera avec fruit une savante critique du jugement de la cour d'appel par Desiré Girouard, C. R., Revue Critique, t, Ier, p. 125.

(b) Laurent, Droit civil international, t. VIII, nos 249 et suivants, ne compte pas moins de cinq systèmes sur ce sujet.

en matière de prescription, à la doctrine de la lex fori. Voir les causes de Cross v. Snow (9 L. N.,p. 196), et de Lafaille v. Lafaille (14 R. L., p. 466).

Pour continuer à passer en revue la jurisprudence qui se rattache à l'article 8, je trouve une décision du conseil privé, en 1876, dans une cause de Moore v. Harris (2 Q. L. R., p. 14), à l'effet qu'un connaissement fait et signé en Angleterre, par le capitaine d'un vaisseau anglais, doit s'interprêter suivant la loi anglaise. Le même conseil privé a jugé en 1885, dans la cause de McGibbon & Abbott (8 L. N., p. 267) que malgré qu'un testament fait en la province de Québec soit rédigé en langue anglaise et qu'on y emploie des expressions techniques anglaises, on doit l'interprêter suivant nos lois.

Dans la cause de Furniss v. Larocque (M. L. R., 2 S. C., p. 405), en 1886, le juge Loranger a décidé que dans une société commerciale en nom collectif formée en France, les droits des parties sont régis par le droit commercial français en vigueur à l'époque de la convention. Conformément à ce principe, la cour a jugé que la société n'avait jamais existé légalement, vu que les associés ne s'étaient pas conformés aux exigences de l'article 42 du code de commerce français, et que l'un des associés, pourvu d'un conseil judiciaire, n'avait pas obtenu le consentement de ce conseil.

En 1886, la cour du banc de la Reine, dans la cause de The Rhode Island Locomotive Works & The South Eastern Railway Co. et al. (31 L. C. J., p. 89), a confirmé le jugement de la cour supérieure qui renvoyait une saisie revendication de l'appelante contre deux locomotives vendues par elle à l'intimée dans l'État du Rhode Island. La cour s'est appuyée sur le motif que les lois de cet État ne reconnaissaient pas le droit du vendeur d'un meuble de saisir revendiquer ce meuble faute de paiement du prix de vente (a).

Enfin, il y a la cause de Ross & Ross, jugée par la cour d'appel le 4 mai 1893 (R. J. Q., 2 B. R., p. 413). Il s'agit, dans cette

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(a) On opposera peut-être à cette décision, les termes de l'article 6 qui déclare que la loi du Bas-Canada sera applicable aux meubles, lorsqu'il s'agira des privilèges et des droits de gage... de la procé"dure, des voies d'exécution et de saisie". Le jugement de la cour supérieure (Taschereau, J.) a répondu à cette objection en disant "que l'article 6 du code n'a pu créer, sur des meubles apportés dans "le Bas-Canada, un privilège et un recours auxquels ils n'étaient pas "sujets avant d'y arriver." Et le savant juge réfère à Story, Conflict of Luws, sections 240, 264, 266, 267, 268a, 322b, 423d. Cette raison me paraît concluante, car le fait accidentel du transport des locomotives au Canada n'a pas pu conférer au vendeur des droits plus amples que ceux que lui donnait son contrat à l'endroit où ce contrat a été fait.

cause, des articles 7 et 8 du code civil. La cour d'appel a jugé que les lois de l'Était de New-York, en 1865, permettant aux étrangers de disposer par testament, suivant les formes autorisées par les lois de leur domicile, le testament olographe fait à cette époque, dans cet État, par une personne domiciliée à Québec, est valable. Cette décision est conforme à l'article 7. Dans cette cause il fut prouvé que, d'après la loi de l'acte de New-York, un testament fait suivant la formule autorisée par la loi du domicile du testateur n'a d'effet que quant aux meubles; il ne peut transmettre les immeubles. Il restait donc à déterminer l'effet de ce testament. Or l'article 8 dit que les actes s'interprêtent et s'apprécient suivant la loi du lieu où ils sont passés, à moins qu'il n'y ait quelque loi à ce contraire, que les parties ne s'en soient exprimées autrement, ou que, “de la nature de l'acte ou "des autres circonstances, il n'apparaisse que l'intention a été "de s'en rapporter à la loi d'un autre lieu, auxquels cas il est "donné effet à cette loi ou à cette intention, exprimée ou pré"sumée". Dans l'espèce la cour a trouvé des indices de cette intention de s'en rapporter à notre loi, dans le fait que le testateur n'était que de passage à New-York, qu'il a légué tous ses biens sans distinguer entre les meubles et les immeubles, que sa fortune se trouvait presque toute entière ici et qu'il a immédiatement envoyé son testament à son frère à Québec.]]

NOTE. J'ai dit supra, p. 83, que le Canadien, domicilié en France, se trouve dans une position anormale, car, d'après nos lois, sa capacité est régie par les lois françaises, tandis qu'en France, on juge cette capacité d'après les lois canadiennes. Peut-être répondra-t-on qu'il y a un moyen de sortir de la difficulté. La capacité du Canadien domicilié en France est régie, dit notre code, par la loi française. Or cette loi française veut que ce Canadien, qui a conservé sa nationalité, tombe sous le coup du statut personnel canadien. Donc le texte même de notre loi forcera nos tribunaux à juger que, malgré son domicile en France, ce Canadien est resté soumis à nos lois. A première vue cette réponse est plausible, mais sa fausseté deviendra évidente si l'on renyerse les termes de la supposition. En France, on en appelle à nos lois pour déterminer la capacité de ce Canadien ; or d'après notre code, cette capacité est régie par la loi française. Donc, malgré la jurisprudence française, les tribunaux français devront appliquer leur propre loi. Un argument qui conduit à des résultats aussi opposés et qui tourne dans un cercle aussi vicieux, est assurément battu en brèche par la reductio ad absurdum. Mais il rencontre une objection encore plus sérieuse: c'est que chaque pays étend ou refuse d'étendre aux étrangers le bénéfice de ses lois civiles, comme il l'entend, et ne saurait être forcé, je pourrais dire par ricochet, à en faire bénéficier celui-là même que, par une disposition formelle, il a déclaré en être exclu.

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