Images de page
PDF
ePub
[blocks in formation]

L'ancienne France est régie par trois législations différentes: les ordonnances royales, les coutumes, le droit romain (1).

[ocr errors]

I. Des ordonnances. Le terme ordonnance vient du latin ordinare, qui signifie ordonner, c'est-à-dire arranger quelque chose, y mettre l'ordre; et, en effet, les lois, par leurs dispositions, mettent l'ordre dans la société. Du latin ordinare on a fait ordinatio, d'où l'on a formé le terme français d'ordenunce ou ordonnance. Quoique, dans l'origine, ce terme ne signifiât qu'arrangement ou ordre, néanmoins, comme ces arrangements ou dispositions émanent d'une autorité souveraine, on a fini par attacher au mot ordonnance l'idée d'une loi impérative: les ordonnances sont donc des commandements ou ordres que le roi donne à ses sujets.

On les divise en ordonnances proprement dites (2), édits, déclarations et lettres patentes.

Bien que ces dénominations soient souvent employées l'une pour l'autre, elles expriment cependant des idées différentes.

Les ordonnances proprement dites embrassent ordinairement plusieurs matières, ou du moins contiennent des règlements généraux.

Les édits, au contraire, ne sont que des règlements sur un point spécial.

Les déclarations sont, en général, données soit pour inter

(1) Les lois de l'Eglise, dont quelques-unes étaient observées en France, formaient une quatrième espèce de droit, connue sous le nom de droit canonique. Ce droit, pris dans son sens général, est un ensemble de préceptes tirés de l'Ecriture sainte, des conciles, des décrets ou constitutions des papes, et enfin des sentiments des Pères de l'Eglise. Il a principalement pour objet d'établir la discipline de l'Eglise et la règle de sa foi. On l'appelle canonique du mot canon qui signifie règle.

(2) Sous les rois de la première et de la deuxième race, on les appelait capitulaires, parce qu'elles étaient divisées en chapitres, ou plutôt en articles, appelés capitula. Les capitulaires de Charlemagne forment un cours complet de législation politique, ecclésiastique, militaire, civile et économique.

(a) Je dis ici droit français, parce que je parlerai plus loin du droit ancien canadien. Le droit ancien français ira jusqu'en 1663, date de l'établissement du conseil souverain de Québec. Naturellement le vieux droit français et le droit canadien antérieur au code civil comptent, historiquement du moins, dans le droit ancien.

préter les édits et ordonnances, soit pour en étendre ou en restreindre les dispositions.

Les lettres patentes sont les actes par lesquels le roi concède un privilège ou ordonne aux tribunaux l'exécution d'un arrêt du Conseil d'Etat. On les appelle patentes, parce qu'à la différence des lettres de cachet, qui sont closes, celles-ci sont ouvertes.

Les ordonnances, édits et déclarations ont cela de commun, qu'ils émanent tous de la volonté du roi, Mais la volonté royale suffit-elle pour leur donner force obligatoire ?

Il nous faut, avant de répondre à cette question, dire quelques mots des États généraux et des Parlements.

Les États généraux sont des assemblées composées des députés choisis parmi les trois ordres reconnus dans l'État : la noblesse, le clergé et le tiers état.

On les appelle États parce qu'elles représentent les différents Etats ou ordres de la nation; États généraux parce qu'elles représentent la nation entière, à la différence des États particuliers ou provinciaux, qui ne représentent qu'une province.

Les Etats provinciaux constituent un privilège particulier à certaines provinces appelées pays d'Etats. Ils s'assemblent tous les trois ans. On y discute l'impôt; on y fixe les sommes à payer

au souverain.

Les États généraux forment le conseil public des rois. On y traite de la police publique, de la paix et de la réforme des lois, des procès criminels des grands, et autres affaires majeures. Mais le roi, dont ils gênent l'autorité, ne les convoque qu'à de rares intervalles et dans des circonstances solennelles

Quelques historiens ont très improprement qualifié d'États généraux les assemblées de la nation qui, sous les rois de la première race, se tenaient en plein champ le premier jour de mars, et, plus tard, le 1er mai, d'où elle furent appelées Champ de mars ou de mai, et qui prirent, sous le règne de Pepin, le nom de Parlements.

Les anciens parlements, dont celui de Paris et tous les autres tirent leur origine, ne sont point des Etats généraux proprement dits. Composés d'abord des nobles de la nation, ils furent ensuite réduits aux grands du royaume et aux magistrats qui leur furent associés. Le clergé ne formait pas encore un ordre à part; les prélats ne furent admis qu'en qualité de grands vassaux de la couronne. Quant au tiers etat, on ne le connaissait pas alors les serfs, d'où il est sorti en grande partie, n'avaient aucune part aux affaires du royaume. Il ne commenca à se former que sous Louis le Gros, par l'affranchissement

des serfs, qui devinrent ainsi bourgeois du roi et des seigneurs, qui les avaient affranchis.

Devenu libre, le peuple voulut avoir part au gouvernement de l'État. Les rois, afin de balancer le crédit des autres ordres, devenus trop puissants, l'élevèrent peu à peu en l'admettant aux charges. Il n'y eut cependant pas, jusqu'au temps de Philippe le Bel, d'autres assemblées que celles dont je viens de parler.

Philippe le Bel, fort embarrassé dans ses démêlés avec le pape Boniface VIII, eut besoin du peuple: il chercha à se l'attacher, en l'admettant à l'assemblée qu'il convoqua le 23 mars 1301. C'est donc lui qui le premier a convoqué de véritables Etats généraux, c'est-à-dire des assemblées composées des trois ordres reconnus dans l'État (1). Ils furent convoqués pour la dernière fois, le 5 mai 1789, plus de cent soixante-quinze ans après la précédente assemblée, qui eut lieu en 1714 (2) (a).

Les Parlements (3) sont des cours souveraines et permanentes, composées d'ecclésiastiques et de laïques, établies pour rendre la justice en dernier ressort au nom du roi, en vertu de son autorité et comme s'il était présent.

On en compte douze dans le royaume. Celui de Paris est le plus ancien. On l'appelle indifféremment la Cour du roi, la Cour de France, la Cour des pairs. C'est lui qu'on entend désigner lorsqu'on dit le Parlement, sans aucune autre indication.

Le roi le préside quelquefois. On y enregistre les édits ou

(1) Les représentants du tiers état, relégués dans un coin de la salle, ne pouvaient exprimer leurs plaintes qu'à genoux, tandis que les deux premiers ordres se tenaient debout autour du trône. C'est à peine aujourd'hui si notre esprit peut comprendre ces distinctions.

(2) En 1651, Louis XIV ordonna la convocation des Etats généraux ; mais cette assemblée n'eut pas lieu. Elle avait été demandée par les puissances alors en guerre avec la France. Leur manifeste contient ces paroles remarquables: "Le pouvoir despotique est la source des guerres interminables de la France, et, tant que le roi sera le maître absolu, il sera insatiable de conquêtes; mille revers ne l'étonneront pas. "Louis XIV répondit: "Les Français ont oublié qu'il y a eu des Etats généraux dans la monarchie, et il y aurait imprudence à les en faire souvenir.

(3) Mot dérivé, avec contraction, de parabolamentum, colloque ou pourparler.

(a) Il est curieux de remarquer qu'un des plus grands gouverneurs de la Nouvelle France, Frontenac, avait songé à convoquer des Etats généraux en ce pays. Voir à ce sujet mon Manuel de droit Parlementaire, pp. 33 et suivantes.

ordonnances; on y juge les grands vassaux; on y débat les grandes affaires.

Cela posé, revenons à la question que nous avons laissée de côté à qui appartient le pouvoir législatif?

Il n'est pas douteux qu'il n'appartienne au roi et aux États généraux, lorsqu'ils sont assemblés. Les décisions des États, sanctionnées, c'est-à-dire acceptées et ratifiées par le roi, font loi dans tout le royaume Lex fit consensu populi et constitutione regis.

Mais les États généraux ne sont point permanents; le roi, qui les redoute, ne les assemble qu'à de longs intervalles. De là cette question : en l'absence des États généraux, qui fait la

loi ?

Si nous ne consultions que les termes des ordonnances, édits et déclarations, nous répondrions: le roi, le roi tout seul! Tous les actes législatifs contiennent, en effet, après un préambule ou exposé des motifs, cette formule souveraine: "A ces causes, de l'avis de notre Conseil, et de notre pleine autorité. La formule non moins absolue qui les termine: Tel est notre bon plaisir, montre mieux encore que le pouvoir du roi n'admet pas de contrôle: "Si veut le roi, si veut la loi", disent les vieux auteurs (1).

Cela n'allait pas tout seul, cependant. A tort ou à raison, les Parlements, auxquels appartenait le droit d'enregistrer les édits et les ordonnances du roi, prétendaient que ce droit emportait pour eux la faculté de lui faire des remontrances, de discuter et contrôler ses ordonnances, de les modifier et même d'en suspendre ou d'en refuser l'exécution. Ils partaient de cette idée: "Les États généraux ont, avec le roi, le pouvoir législatif; or, en leur absence, les Parlements en tiennent lieu ". De là le titre d'États généraux au petit pied qui leur fut donné. Ainsi, l'enregistrement des ordonnances du roi ne fût pas considéré comme une simple formalité; il devint un élément de la loi, une forme essentielle de la législation. Les l'arlements refusaient-ils unanimement l'enregistrement d'une ordonnance: la volonté du roi n'avait pas force de loi. L'enregistraient-ils unanimement: elle était universelle et obligatoire dans tout le royaume. Enregistrée par quelques-uns d'eux seulement, elle était obligatoire dans le ressort des l'arlements qui l'avaient acceptée, et non avenue partout ailleurs.

La royauté contesta souvent, ainsi que l'attestent les lettres

(1) Institutes coutumières de Loysel, liv. I, tit. I, no 1.

de jussion et les lits de justice, ce pouvoir des Parlements. Lorsqu'ils refusaient d'enregistrer les ordonnances qui leur étaient présentées, le roi ne se rendait pas toujours aux remontrances qui lui étaient faites. Y avait-il égard, il retirait son ordonnance; persistait-il, il envoyait au Parlement des lettres de jussion portant ordre d'enregistrer. En cas de résistance, le roi se rendait au Parlement et y tenait un lit de justice (1), c'est-à-dire une séance solennelle qu'il présidait lui-même il exigeait alors l'enregistrement qu'il avait sollicité, et, comme il était accompagné de la force armée, le Parlement cédait presque toujours. S'il persistait dans ses remontrances, s'il refusait d'exécuter l'ordonnance qui lui avait été présentée, on l'exilait, et il finissait par se soumettre.

Les Parlements jugeaient quelquefois par voie de disposition réglementaire et générale, en rendant des arrêts qui faisaient pour l'avenir loi dans tout le ressort, tant qu'ils n'étaient pas cassés par le roi, en son Conseil. Ces arrêts étaient rendus en séances solennelles. On les appelait arrêts de règlement, parce que, contenant la déclaration que le Parlement jugerait désormais dans le même sens les questions semblables à celle sur laquelle il venait de statuer, il réglait l'avenir (a). On peut les comparer aux édits que les préteurs romains publiaient en entrant en charge, et par lesquels ils modifiaient le droit civil. Ce sont de véritables lois; mais, comme chaque Parlement n'avait d'autorité que dans sa province, ses arrêts de règlement n'avaient en dehors de son ressort aucune force obligatoire (2).

(1) Ces expressions, prises dans leur sens littéral, signifient le trône où le roi était assis, lorsqu'il présidait le Parlement. Ce trône était composé d'un dais et de coussins; et, comme selon l'ancien langage un siège surmonté d'un dais se nommait un lit, on appela lit de justice le trône où le roi siégeait au Parlement. Cinq coussins formaient ce lit. Le roi était sur l'un; un autre lui tenait lieu de dossier; deux autres servaient de soutien aux bras du monarque; le cinquième était sous ses pieds. Quelques personnes affirment plaisamment que les séances solennelles du Parlement présidées par le roi s'appelaient lits de justice, parce que la justice y dormait.

(2) Les arrêts de règlement avaient un avantage: en fixant le droit pour l'avenir, ils sauvaient aux parties les frais de l'appel. Mais ils offraient une anomalie fâcheuse, le spectacle d'un pouvoir à la fois judiciaire et législatif.

Partout où cette confusion se rencontre, la liberté est compromise. (a) Plusieurs de ces arrêts de règlements sont cités devant nos tribunaux dans les affaires ecclésiastiques ou paroissiales. Témoins, les arrêts de règlement de St Jean-en-Grêve et de St Louis-en-l'Ile ; on les prend en ce cas comme l'expression de la jurisprudence de l'époque.

« PrécédentContinuer »