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II. Etrangers. En l'absence de toute exception expressément consacrée par la loi, je puis dire, comme l'énonciation d'un principe universellement reconnu, que l'étranger ne jouit que de certains droits que le droit international reconnaît à tout individu, pourvu qu'il ne soit pas un ennemi de la nation. Le droit civil, comme son nom l'indique, est le droit des citoyens.

Pothier définit ainsi les droits dont jouissaient les étrangers sous l'empire de l'ancien droit français.

Quoique les étrangers puissent faire toutes sortes de contrats "entre vifs; quoiqu'ils puissent, par cette voie, disposer des biens "qu'ils ont en France, soit à titre onéreux, soit à titre gratuit, ils "ne peuvent cependant disposer des biens qu'ils ont en France, "soit par testament, soit par tout autre acte, à cause de mort, en "faveur d'étrangers ou de regnicoles; les étrangers ne peuvent " aussi rien recevoir, soit par testament, soit par quelque autre acte, " à cause de mort, quoiqu'ils soient capables de donations entre "vifs. Cette différence que la loi établit entre les actes entre "vifs et les actes à cause de mort...... est fondée sur la nature "même des actes. Les actes entre vifs sont du droit des gens; "les étrangers jouissent de tout ce qui est du droit des gens. Ils peuvent donc faire toutes sortes d'actes entre vifs. La faculté "de tester active et passive est au contraire du droit civil, "Testamenti factio est juris civilis. Les étrangers ne jouissent "pas de ce qui est du droit civil, ils ne doivent donc pas avoir "cette faculté, ou ce droit " (a).

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Tel était notre droit quant aux étrangers jusqu'à l'adoption du statut 12 Vic., ch. 197, en 1849. La nouvelle législation, qui déroge au principe énoncé par Pothier, est reproduite dans l'article 25 du code civil.

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25."L'étranger a droit d'acquérir ou de transmettre, à titre gratuit ou onéreux, ainsi que par succession ou par testament, "tous biens meubles et immeubles dans le Bas-Canada, de la "même manière que le peuvent faire les sujets britanniques nés "ou naturalisés."

Bien que, par sa nature, cette législation soit exceptionnelle et qu'il ne faille pas l'étendre au delà de la portée que lui donne le législateur, il convient d'ajouter que les codificateurs ont voulu exprimer, d'une manière générale, les droits de l'aubain. Ainsi, ils lui attribuent les droits les plus amples quant à l'acquisition

(a) Traité des Personnes, tit. II, sec. 2. Nous n'avons reproduit la doctrine du droit ancien que par rapport aux matières qui font partie du droit privé.

et la disposition des biens. Il n'était pas nécessaire d'énumérer les droits de moindre importance qui découlent de ceux qui sont mentionnés en notre article, car qui peut le plus, peut le moins. Ainsi, l'étranger peut hypothéquer, mettre en gage, constituer ou acquérir un droit d'usufruit, d'usage ou d'habitation. Il peut prescrire, ce qui est un mode d'acquérir, ou créer une servitude, ce qui est un acte de disposition. Il peut agir soit en personne ou par procureur (a). Mais tout en donnant à notre article une interprétation large, je dois ajouter que l'aubain ne peut réclamer un droit civil qui ne découle pas de ceux qui n'y sont pas mentionnés. Il va sans dire, cependant, que les aubains sont encore compétents des droits non énumérés qui font partie du droit des gens. Ce principe, qui était reconnu sous l'empire de l'ancienne législation, doit l'être aujourd'hui.

Feu le juge T. J. J. Loranger (b) énumère quelques droits civils qui ne sont pas de la compétence de l'étranger. Il ne peut, dit-il, être tuteur à ses enfants mineurs, encore moins à des étrangers, curateur à une substitution, à un interdit, à un absent, ou à une succession vacante. Il ne peut être sherif, ni greffier, ni même huissier d'une cour civile. Par une disposition spéciale de la loi, les aubains peuvent être témoins à un testament (art. 844 C. C.). Il va sans dire qu'ils peuvent être témoins dans les causes civiles ou criminelles.

On décide en France que l'on peut pourvoir un mineur étranger d'un tuteur provisoire (c). Nous ne voyons aucune difficulté à adopter cette doctrine ici, d'autant plus que le libre recours à nos tribunaux est accordé aux aubains en cette province et que le pouvoir de conférer la tutelle est l'une des prérogatives des tribunaux. La cour d'appel a jugé, dans la cause de Brooke & Bloomfield (6 R. L., p. 533), que l'on peut nommer un tuteur à des mineurs qui n'ont jamais résidé en la province de Québec, mais, dans l'espèce, les mineurs paraissent avoir été sujets britanniques.

Il faut remarquer qu'à l'inverse de l'article 6, qui ne s'occupe que du domicile de l'individu, l'article 25 se rapporte à sa nationalité. Dans l'hypothèse de l'article 6, par le seul fait de son domicile dans le Bas-Canada, l'étranger se trouve soumis à nos lois civiles quant à son état et à sa capacité. Peu importe

(a) Loranger, Commentaire sur le code civil, t. I, no 144.

(b) Commentaire sur le droit civil, t. Ier, no 145.

(c) Rousseau & Laisney, Dictionnaire de Procédure civile v Etranger, n° 7.

sa nationalité, son domicile régit sa capacité; d'un autre côté, l'habitant du Bas-Canada, malgré sa qualité de sujet britannique, s'il est domicilié à l'étranger, ne pourra invoquer les dispositions de nos lois civiles pour déterminer son état et sa capacité. Mais quant à la pleine et entière jouissance des droits civils, la seule nose à rechercher, c'est la nationalité de l'individu. Donc la plénitude de cette possession appartiendra au sujet britannique domicilié même en pays étranger, tandis que l'aubain, domicilié dans le Bas-Canada, ne pourra pas la réclamer.

On ne trouve dans les rapports qu'une seule décision qui s'applique à cet article. C'est celle de la cour supérieure dans la cause de Corse v. Corse (4 L. C. R., p. 310). On y a décidé que l'effet du statut 12 Vic., ch. 197, qui est la source de notre article, est de mettre l'aubain, quant aux pouvoirs accordés, sur le même pied que les sujets britanniques par droit de naissance, de sorte qu'il peut réclamer une succession immobilière et mobilière conjointement avec un héritier naturalisé. L'arrêt ajoutait que les meubles étaient compris dans l'expression "bienfonds" dont se sert cette loi. Il faut remarquer que l'article 25 a fait cesser tout doute en employant l'expression "tous biens meubles et immeubles".

L'article 26, tel qu'amendé par l'article 6229 S. R. P. Q., ajoute que "l'étranger ne peut servir comme juré". Autrefois, on lui permettait de faire partie d'un jury de mediatate linguæ, c'est-à-dire d'un jury composé pour moitié d'étrangers pour le procès d'un étranger. Ce jury de mediatate linguæ n'existe plus dans notre droit.

L'article 27 dit que "l'étranger, quoique non résidant dans le "Bas-Canada, peut y être poursuivi pour l'exécution d'obligations "qu'il a contractées même en pays étranger." Il va sans dire qu'il faut que la compétence du tribunal soit établie d'après les règles énoncées aux articles 34 et suivants du code de procédure civile. Ainsi, si la dette a été contractée en pays étranger, l'action devra être signifiée à l'étranger en personne dans les limites du district où elle est portée.

L'article 28 est le corollaire de l'article 27. Il dit que "tout "habitant du Bas-Canada peut y être poursuivi pour les obliga"tions par lui contractées hors de son territoire, même envers un étranger." Il faudra encore, dans ce cas, se conformer aux dispositions de l'article 34 du code de procédure civile.

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III. Cautionnement "judicatum solvi" exigé des non résidents. -L'article 29 s'applique aux étrangers comme aux sujets britan

niques. Ici, il n'est plus question de la nationalité, ni même du domicile, il ne s'agit que de la résidence.

"Tout individu non résidant dans le Bas-Canada", dit cet article "qui y porte, intente ou poursuit une action, instance ou "procès, est tenu de fournir à la partie adverse, qu'elle soit " ou non sujet de Sa Majesté, caution pour la sûreté des frais qui "peuvent résulter de ses procédures."

Avant de passer en revue les nombreux arrêts auxquels cet article a donné lieu, il convient de bien préciser ses termes. Le cautionnement dont il est question s'appelle généralement le cautionnement judicatum solvi. Cette expression ne rendrait pas bien la nature du cautionnement que l'article 29 exige du non résidant, si elle n'était qualifiée par les termes mêmes de cet article. Le mot judicatum solvi dans son interprétation ordinaire exprime l'obligation de payer le montant du jugement. Cependant, il n'est ici question que des frais de ce jugement. D'ailleurs, celui qui intente une demande, ne s'expose, comme suite de cette demande, qu'à payer les frais de son action au cas où elle serait renvoyée. Il est vrai qu'il peut être poursuivi par le défendeur par voie de demande incidente, mais alors le défendeur étranger, à son tour, donne caution. Du reste il est clair que la caution du demandeur principal ne sera tenue qu'aux frais de la demande principale et non à ceux de la demande incidente.

Les expressions: "tout individu qui porte, intente ou poursuit “une action, instance ou procès," démontrent que l'article 29 ne s'applique pas seulement à un demandeur, mais à toute personne qui saisit le tribunal d'une demande, en un mot, à l'actor du droit romain. Donc, un défendeur qui porte une demande incidente ou une opposition (a), un créancier qui conteste la réclamation d'un créancier colloqué par un jugement de distribution, un tiers opposant devront donner le cautionnement de l'article 29.

Enfin, remarquons, en sus, que le procureur qui agit ainsi pour un non résident, doit produire une procuration de sa part. Art. 120 C. P. C.

Nous allons maintenant faire une revue de notre jurisprudence sur cette question, laissant de côté les arrêts qui ne se rapportent qu'à la procédure.

1° Qui doit fournir le cautionnement.-Nous avons dit qu'il

(a) Mais non pas une opposition à jugement, car cette opposition à jugement n'est qu'une défense à l'action. Art. 483a C. P. C.

ne s'agit pas ici du domicile légal, mais seulement de la résidence. Ainsi, si un demandeur réside ici bien qu'il n'y tienne pas maison et qu'il soit domicilié ailleurs, il ne sera pas obligé de donner caution pour les frais. Telle est la portée d'une décision de Ryland v. Ogilvie (10 L. C. J., p. 200). On décide la même chose quand le demandeur n'est absent que temporairement, surtout quand il a laissé sa famille ici: Mountain v. Walker (5 R. L., p. 747), Prentice v. Graphic Co. (22 L. C. J., p. 268), Tremblay v. Bastien (11 L. N., p. 5), Croisetière v. Tessier (18 R. L., p. 430). Toutefois, le juge Mathieu a décidé le contraire dans la cause de Drolet v. Lambe (33 L. C. J., p. 114). Quant aux marins qui intentent, pendant leur séjour temporaire en cette province, des procédures, on les astreint à fournir caution: Hearsdman v. Harrowsmith (3 R. de L., p. 347) et Grace v. Crawford (3 R. L., p. 447); cependant on en à exempté un officier en garnison avec son corps d'armée : Sutherland v. Heathcote (3 R. de L., p. 347). On a soumis à l'obligation de donner caution le syndic ou receveur d'une compagnie d'assurance de la province d'Ontario, bien qu'il résidât ici et qu'il eût en sa possession tous les livres de la compagnie Giles v. Jacques (27 L. C. J., p. 182). On a cependant décidé que le fait qu'un résidant, qui intente une action ici, n'est que le prête-nom d'un étranger, ne suffit pas pour obliger le demandeur à fournir caution: Reed v. Rascony (M. L. R., 1 S. C., p. 431). Dans la cause de McCall v. Simmons (20 R. L., p. 519), le juge Mathieu a jugé que la réquisition de faire cession de biens n'est pas introductive d'une instance, et que le requérant, qui n'a pas fait d'autres procédures que cette demande de cession, n'est pas tenu de fournir le cautionnement judicatum solvi. Voir, dans le même sens, une décision recente de Prunier et al., v. Carsley (R. J. Q., 5 C. S., p. 311). Une semblable décision a été rendue sous l'acte de faillite de 1875 dans une cause de Reed v. Larochelle (3 Q. L. R., p. 93).

Quand l'un de plusieurs demandeurs, créanciers solidaires du défendeur, ne réside pas en cette province, il y a contrariété de décisions sur la question de savoir si le demandeur non résidant devra fournir caution La négative résulte de la décision de la cour d'appel dans Humbert & Mignot (18 L. C. J., p. 217) et de la cour supérieure dans les causes de Beaudry v. Fleck (a) (20

(a) Le juge Torrance a expliqué la nature de la demande en cette cause en rendant jugement dans la cause de Henderson v. Henderson 23 L. C. J., p. 208.

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