Images de page
PDF
ePub

doit avoir l'âge requis, c'est-à-dire, suivant les termes de l'ordonnance de Blois, seize ans accomplis (a). 4° Il faut qu'il y ait au moins un an d'intervalle entre le jour auquel le religieux a pris l'habit de religion et celui de sa profession. L'ordonnance de Blois défendait d'admettre aucune fille à profession, à moins qu'elle n'eût été examinée par l'évêque, ou par un de ses grands vicaires, et que la cause ne leur en eût paru légitime et valable. 5° La profession doit être volontaire; ainsi la crainte, l'erreur, le dol, la violence seraient une cause de nullité des vœux dans les mêmes cas que pour les contrats en général.

La première condition est sans doute la plus importante. L'ordre doit être un ordre approuvé par l'Église, c'est-à-dire par le pape, chef suprême de l'Eglise, et par l'Etat, représenté, sous l'ancien régime, par le roi de France. L'article 34 de notre code exige que la communauté religieuse ait été reconnue lors de la cession du Canada et approuvée depuis. En se servant de ces termes. le législateur veut que l'ordre religieux ait été reconnu par l'Église et l'État lors de la cession, car c'était la condition de la loi française, et approuvé depuis la cession par le nouvel État, c'està-dire par l'Angleterre.

Quels sont les ordres religieux qui étaient lors de la cession reconnus par l'Église et l'État et qui ont été depuis approuvés par l'Angleterre ? C'est la seconde question à laquelle nous devons répondre.

Le juge Loranger (b) cite les communautés suivantes comme remplissant cette condition: l'Hôtel-Dieu, l'Hôpital-Général et les Ursulines de Québec, les Ursulines de Trois-Rivières et les Hospitalières de l'Hôtel-Dieu de Montréal. Toutes ces communautés étaient des communautés de filles (c). Il n'y avait dans le pays, lors de la cession, que deux ordres religieux d'hommes, les recollets et les jésuites. Les premiers ont disparu; les jésuites ont également disparu, leur ordre a été supprimé par le pape Clément XIV, en 1773, puis rétabli par Pie VII en 1814; ils sont revenus au pays vers le milieu de ce siècle et la législature de la province de Québec les a constitués en corporation, en 1887, par le statut 50 Vic., ch. 28.

(a) L'édit de mars 1768 fixa cet Age à 21 ans pour les hommes et 18 ans pour les filles. Cet édit est subséquent à la cession du Canada. (b) Commentaire sur le code civil, t. Ier, n° 178-183.

(c) Dans le passage indiqué à la note précédente, feu le juge Loranger explique la constitution des congrégations religieuses de femmes qui existaient lors de la cession. Le lecteur pourra y référer.

Il n'est pas douteux que les communautés de filles qu'énumère le juge Loranger ont été approuvées depuis la cession. L'article 32 de la capitulation de Montréal en fait foi. "Les communautés "de filles seront conservées dans leurs constitutions et privilèges", disait cet article. Au contraire, cette approbation fut refusée aux jésuites et aux récollets par l'article 33.

La constitution en corporation des jésuites, en 1887, est-elle une approbation telle que les termes de l'article 34 puissent être appliqués aux jésuites fixés maintenant en cette province ? Pour décider cette question, il faudrait se demander si le nouvel ordre des jésuites, rétabli en 1814, est juridiquement le même ordre que celui qui a été supprimé en 1773; si l'effet de la suppression n'a pas été de faire manquer la première condition exigée par l'ordonnance de Blois et par Pothier, l'approbation de l'Église. Il faudrait également déterminer si le refus du général anglais de reconnaître les jésuites, lors de la capitulation de Montréal, n'a pas fixé à tout jamais l'état civil de ces religieux; si le fait de constituer les jésuites en corporation équivaut à une approbation au désir de l'article 34; et, ces questions réglées, il resterait encore à savoir si l'article 34 peut s'appliquer à une approbation donnée depuis le code. En un mot, c'est à la fois une question de droit canon et de droit civil. Je ne pourrais la discuter sans sortir des bornes d'un ouvrage qui doit rester essentiellement élémentaire (a).

Nous verrons plus loin que les effets de la mort civile des religieux ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux de la mort civile des criminels. Il y avait une raison de haute convenance de ne point mettre les uns et les autres sur le même pied.

SECTION II. — Effets de la mort civile.

I. La confiscation. Le premier effet de la mort civile, c'est la confiscation. L'article 35 dit que "la mort civile emporte la perte " de tous les biens du condamné, lesquels sont acquis au souverain " à titre de confiscation."

Le mot de confiscation a toujours été et sera toujours odieux. La confiscation nous rappelle les pages les plus tristes de l'histoire de l'humanité; souvent même, elle n'a servi qu'à donner un semblant de légalité au vol et à la spoliation dont les faibles avaient

(a) Le code, en parlant des actes de profession religieuse, semble ne viser que les communautés de femmes, car on dit que ces actes seront signés par la supérieure de la communauté (art. 72).

été victimes au profit des puissants. Son origine est toute romaine, elle date des jours néfastes qui ont vu les triomphes de Sylla et de Marius, dans les dernières années de la République. Les factions signalaient leur avènement au pouvoir par la proscription de leurs adversaires et la confiscation de leurs biens. C'était la mise en pratique du mot de Brennus: vœ victis!

Au point de vue juridique, la confiscation est l'adjudication au profit du fisc des biens d'une personne. Dans l'origine à Rome, on l'appliquait dans les causes politiques seulement; bientôt on l'étendit à toutes les offenses capitales et elle comprenait tous les biens du condamné. Justinien, par sa dix-septième novelle, abolit la confiscation pour tous les crimes autres que celui de lèze-majesté; dans les cas ordinaires, la succession du condamné était déférée à ses ascendants et descendants jusqu'au troisième dégré.

Sous les deux premières races de rois en France, le rachat des crimes se faisait par la compensation en argent et la confiscation fut inconnue. Bientôt, cependant, on s'aperçut qu'il fallait des lois plus rigoureuses pour réprimer la violence. Vers le commencement de la troisième race, on substitua, à la composition pécuniaire, des peines corporelles et, en décrétant la confiscation des biens du condamné, on étendit la punition jusqu'à ses enfants, afin que, du moins, l'amour de leur famille pût retenir les hommes dans le devoir. Les mêmes causes amenèrent l'établissement de la confiscation en Angleterre.

Telle fut l'origine de la confiscation en France et en Angleterre. Il est impossible de la défendre au point de vue de l'équité, car on punit la famille du coupable pour une offense à laquelle elle n'a pris aucune part. L'histoire nous apprend que souvent, sous prétexte de punir le crime, on trouva le moyen de satisfaire la rapacité des grands, car, exercé par le roi seul dans le principe, le droit de confiscation fut dans la suite déféré aux seigneurs hautjusticiers pour les indemniser des frais qu'entraînaient la répression du crime et les procès des accusés.

La confiscation existait dans presque toutes les coutumes de la France. L'article 183 de la coutume de Paris consacre la maxime: Qui confisque le corps, confisque les biens. L'article 35, donc, en déclarant que tous les biens du condamné sont acquis au souverain à titre de confiscation, a exprimé la doctrine du droit tel qu'il existait à l'époque de la codification.

Mais la confiscation existe-t-elle encore dans notre droit? L'article 965 du nouveau code criminel, reproduisant et étendant les

dispositions du statut 32-33 Vic., c. 29, art. 55 et de l'article 36 du chapitre 181 des statuts révisés du Canada, se lit comme suit: "A compter de la sanction du présent acte, aucune confession, "aucun verdict, aucune enquête, aucune condamnation ou juge"ment au sujet d'un crime de trahison, ou d'un acte criminel, ou "d'un suicide, ne pourra causer la mort civile, ni la confiscation "des biens; pourvu que rien de contenu dans le présent article "n'affecte aucune amende ou pénalité imposée à qui que ce soit par suite de sa condamnation, ni aucune confiscation de biens "prévue d'une manière spéciale par quelque acte du parlement "du Canada."

[ocr errors]

La confiscation a été également abolie en Angleterre par le statut 33-34 Vic., ch. 23.

On ne peut se prévaloir de la disposition du statut impérial qui ne s'applique pas ici. La question que nous avons à résoudre, c'est de savoir si l'article 965 du code criminel a eu l'effet d'abolir la mort civile comme conséquence de la peine perpétuelle ou de la condamnation à mort en cette province. Si l'article 965 du code criminel est de la compétence du parlement fédéral qui l'a adopté, il n'y a aucun doute que la mort civile n'existe plus dans les cas prévus, mais cet article est-il réellement de la compétence fédérale ?

Le juge Jetté, dans la cause de Dumphy v. Kehoe (21 R. L., p. 119), a jugé que non. Il considère la mort civile comme une conséquence de la peine criminelle, et comme étant de droit civil et non de droit criminel; or les droits civils sont de la compétence exclusive des législatures. Je crois que le savant magistrat a raison. Il ne s'agit que d'une déchéance que la loi civile décrète contre ceux qui ont été condamnés soit à mort, soit à la réclusion perpétuelle. C'est une espèce de deshérence et, depuis la décision du conseil privé dans la cause de The Attorney General of Ontario & Mercer (L. R., 8 App. cas. 176), il est impossible de nier que la deshérence n'appartienne aux provinces. Donc, l'article 965 du code criminel n'a pas eu l'effet d'abolir la mort civile.

Mais si l'existence du droit de confiscation ne fait aucun doute, l'exercice de ce droit a été très rare en ce pays. Le juge Loranger, à l'époque qu'il écrivait le premier volume de ses Commentaires, n'en connaissait qu'un seul exemple, celui des victimes de la cour martiale après les troubles de 1837. Cependant, la couronne a exercé tout dernièrement le droit de confiscation dans la cause de Dumphy v. Kehoe (21 R. L., p. 119), dont j'ai parlé plus haut.

La confiscation existe donc dans notre droit. Elle a lieu par le fait même de la condamnation et simultanément avec elle. Il faut remarquer, cependant, que le souverain ne recueille pas les biens confisqués libres de toutes charges; au contraire, il prend la place du condamné et doit acquitter les obligations de ce dernier à même ces biens. Conformément à ce principe, le juge Jetté a décidé, dans la cause de Dumphy v. Kehoe (21 R. L.. p. 119), qu'en principe, d'après les dispositions du droit de la province sur cette matière, les biens d'un condamné sont d'abord affectés au paiement de ses dettes, et que la confiscation ne peut s'appliquer qu'au surplus de ces biens, les dettes déduites.

Comme, du reste, les termes mêmes de l'article 35 l'indiquent, la confiscation n'a lieu que contre les condamnés; les religieux morts civilement n'y sont pas soumis.

II. Incapacités qu'entraîne la mort civile. - A part la confiscation dans le cas des condamnés, les personnes mortes civilement tombent sous le coup de certaines incapacités qui sont énumérés à l'article 36.

Ces incapacités sont au nombre de huit.

1o La personne morte civilement ne peut recueillir ni transmettre à titre de succession. Elle ne peut recueillir par succession, parce qu'aux yeux de la loi civile, elle est morte. Les biens qui lui seraient devolus vont, dans les successions directes, à ses descendants qui les reçoivent à sa place en vertu de la fiction légale de la représentation (art. 624 C. C.). Dans les successions collatérales, sauf le cas où la représentation est admise, c'est-à-dire, lorsque les neveux et nièces viennent à la succession de leur oncle ou tante concurrement avec les frères et sœurs du défunt (art. 622 C. C.), la succession est toute entière dévolue aux autres héritiers. Ainsi, dans le cas de la substitution, si le mort civil est seul appelé, la substitution devient caduque. La personne morte civilement ne peut non plus transmettre par succession, parceque l'effet de la condamnation est de la priver de tous ses biens, lesquels sont acquis au souverain à titre de confiscation. Cette incapacité affecterait aussi un religieux ou une religieuse, frappé, comme suite de sa profession, de mort civile. Il ne pourrait ni recueillir, ui transmettre par succession. Sa profession le priverait de tous ses biens lesquels seraient dévolus à ses héritiers et, s'il avait fait un testament, ce testament se trouverait confirmé (Pothier, Personnes, tit. III, sec. Ière, éd. Bugnet, tome IX p. 34).

Dans la cause de Dumphy v. Turcotte (18 R. L., p. 236), le

« PrécédentContinuer »