Images de page
PDF
ePub

Que prouvent, d'ailleurs, les inconvénients qu'on signale? que la loi est mal faite ? qu'elle est fort dure dans ses conséquences? Mais la loi, si imparfaite qu'elle soit, doit être obéie.

3° L'article 59 du code de procédure [[français]] prévoit le cas où une personne n'a point de domicile: donc......

Je réponds que cette disposition est expliquée par l'article 69-8° (a) du même code, qui déclare seulement que le domicile d'une personne peut n'être pas connu (1).

Peut-on avoir deux domiciles?-Il est tout aussi impossible d'en avoir deux que de n'en avoir pas. Et, en effet, le code règle le changement de domicile, mais il ne dit rien de l'acquisition pure et simple d'un nouveau domicile. De même qu'on ne perd son domicile d'origine que lorsqu'on en prend un autre, de même on n'en peut acquérir un nouveau que lorsqu'on perd celui qu'on a actuellement.

L'article 79 ne laisse aucun doute à cet égard. Le domicile, y est-il dit, est au lieu où l'on a son principal établissement; or, l'établissement principal étant celui qui est le plus important, qui domine tous les autres, personne ne peut avoir deux principaux établissements: donc, personne ne peut avoir deux domiciles.

Que si la personne réside alternativement dans deux villes différentes, autant dans l'une que dans l'autre ; si elle a, dans chacune d'elles, des intérêts aussi graves, le même nombre d'affaires..., en sorte qu'on ne puisse pas découvrir là où est son principal établissement, son domicile étant alors inconnu, les tiers, qui ne doivent pas souffrir de l'état d'incertitude dans lequel elle s'est volontairement placée, peuvent valablement l'assigner devant le tribunal de l'une ou de l'autre résidence (2).

[[M. Baudry-Lacantinerie (n° 316 bis) se demande si une personne morale, par exemple une corporation, peut avoir deux domiciles. Il dit que la jurisprudence française admet que cette personne morale peut être assignée à ses succursales et il ajoute qu'on justifie cette jurisprudence en disant que l'établissement constitue une élection de domicile tacite. Mais il ajoute que l'on con

(1) En ce sens, Toullier, t. I, n° 371; Proud., t. I, p. 343; Dur., t. I, n° 360; M. Laurent, t. II, no 66 - Contrà, Dem., t. I, p. 200 et s.; Demol., t. I, no 348.

(2) En ce sens, MM. Demol., t. I, no 347; Val., Cours de C. civ., p. 138; Laurent, t. II, n° 69.

(a) Notre code de procédure ne contient pas des dispositions identiques à celles des articles 59 et 69 du code de procédure français; l'article 57 de notre code, toutefois, parle du défaut de domicile régulier.

teste vivement la question de savoir si on peut élire domicile tacitement.

Nos rapports reudent compte de quelques arrêts sur cette question du domicile des corporations.

Dans la cause de The Bank of British North America & Stewart et al. (R. J. Q., 1 B. R., p. 56), la cour d'appel a jugé que le principal établissement, dans la province de Québec, d'une compagnie étrangère faisant affaires en cette province, est son domicile au désir de l'article 34 du code de procédure civile et qu'elle peut y être valablement assignée. L'article 64 du code de procédure est au même effet.

D'un autre côté, dans les causes de Baxter v. The Union Bank of Lower Canada (7 L. N., p. 61) et de Loignon v. La Banque Nationale (R. J. Q., 2 C. S., p. 310), la cour supérieure a jugé qu'une banque, qui a son principal bureau à Québec et une succursale à Montréal, ne peut être assignée à cette succursale, mais que l'assignation doit être donnée au bureau principal de la banque.

IV. Domicile matrimonial. On parle souvent du domicile matrimonial, il convient donc de définir ce mot.

J'ai déjà posé le principe que des personnes domiciliées en pays étranger, et qui s'y marient, restent sujettes aux lois de ce pays, quant à leurs droits matrimoniaux, même lorsqu'elles viennent se fixer dans la province de Québec (a). Ce pays étranger continue d'être leur domicile matrimonial. Si, au contraire, les époux avaient, lors de leur mariage, l'intention de fixer ailleurs le siège de leur association conjugale, c'est la loi de cet autre endroit qui règlera leurs droits matrimoniaux (b). Cet endroit sera donc leur domicile matrimonial en quelque lieu qu'ils transportent leur domicile réel. Donc, par domicile matrimonial, on entend l'endroit dont les lois régissent les droits matrimoniaux des époux, c'est le domicile du mariage et les effets de ce domicile durent autant que le mariage lui-même. Ce domicile peut être réel, celui que les époux avaient lors de leur mariage, ou d'election, c'est-à-dire celui où les époux sont convenus de transporter le siège de leur association conjugale.]]

(a) Supra, p. 87.

(b) Aubry et Rau, t. 5, § 504 bis, p. 275.

§ III. Du domicile SPECIAL ou D'ÉLECTION.

I. Ce que c'est que le domicile élu; ses motifs. Selon le droit commun, le créancier qui poursuit son débiteur est obligé de l'assigner devant le tribunal de son domicile réel; c'est là aussi qu'il doit lui signifier l'exploit d'assignation. Or, ce domicile peut être très éloigné. De là des lenteurs, des déplacements fâcheux.

Cette nécessité, imposée aux créanciers, d'aller poursuivre au loin leurs débiteurs, pourrait entraver souvent les conventions. On comprend, en effet, qu'un Parisien serait peu porté à traiter, par exemple, avec un Marseillais, s'il était obligé de soumettre au tribunal de Marseille les difficultés auxquelles pourra donner lieu le contrat qu'on lui propose.

La loi, qui a prévu ce danger, y apporte un remède. Lorsque deux personnes contractent, elles peuvent, afin de faciliter les poursuites judiciaires auxquelles l'une d'elles sera peut-être obligée de recourir, choisir un domicile spécial, plus rapproché et plus commode que le domicile réel de la partie contre laquelle les poursuites seront faites. Ainsi, lorsque je prête 10,000 francs à une personne domiciliée à Marseille, je puis convenir avec elle que, si je suis obligé de recourir à la justice, le domicile réel qu'elle a à Marseille sera, quant à moi, et quant à l'affaire spéciale que nous traitons, remplacé par un domicile qu'elle fixera à Paris, chez telle ou telle personne. Ce domicile est celui qu'on appelle d'élection (a).

(a) L'article 85 de notre code civil, tel qu'amendé par le statut 52 Vic., ch. 48, se lit comme suit: "Lorsque les parties à un acte y ont "fait, pour son exécution, élection de domicile dans un autre lieu "que celui du domicile réel, les significations, demandes et poursuites "qui y sont relatives, peuvent être faites au domicile convenu et "devant le juge de ce domicile.

"L'indication d'un lieu de paiement (voilà le paragraphe qui a été "ajouté à cet article) dans un billet ou écrit quelconque, quel que "soit le lieu de sa date, équivaut à cette élection de domicile au lieu "ainsi indiqué ".

Que faut-il entendre par ces mots: indication d'un lieu de paiement? Le législateur envisage-t-il seulement le paiement d'une somme de deniers, ou doit-on étendre la disposition à l'exécution de l'obligation? Il est hors de doute qu'il s'agit de l'exécution même. L'article 1139 dit que par paiement, on entend non seulement la livraison d'une somme d'argent pour acquitter une obligation, mais l'exécution de toute chose à laquelle les parties sont respectivement obligées. Donc cet article veut dire que l'indication d'un lieu pour l'exécution d'une obligation comporte élection de domicile. On enseigne le contraire en France, comme on l'enseignait ici avant l'amendement de l'article 85. La question est maintenant réglée.

L'élection du domicile est facultative; tel est le principe. Par exception, la loi l'ordonne dans quelques cas (voy. notamment l'art. 85 du code de procédure civile.)

[[Dans la cause de Belden et al. v. Christie (33 L. C. J., p. 335), la cour supérieure a jugé que lorsque la condition stipulant élection de domicile est imprimée sur le blanc de contrat d'abonnement à une publication périodique, il incombe au créancier de prouver qu'on a signalé cette condition au débiteur et qu'il l'a acceptée, comme dans le cas d'un billet de chemin de fer ou d'un connaissement. Dans l'espèce, le contrat était daté à Lachute, et la condition en question stipulait que le contrat serait censé fait à Montréal et que toute poursuite pourrait y être intentée. ]]

II. Quand et par quel acte peut être faite l'élection d'un domicile. -Elle peut l'être au moment même du contrat auquel elle se réfère, et par le même acte: tel est le cas que suppose l'article 85. Mais, sur ce point, l'article n'est qu'énonciatif: il prévoit le cas le plus fréquent, sans exclure les autres. L'élection de domicile peut donc être faite après coup et par un second acte (1)(b).

Elle peut être formelle; elle peut aussi être implicite, c'està-dire résulter, par voie de conséquence, d'une des clauses du contrat principal. Remarquez, du reste, que la clause portant que l'obligation sera exécutée dans tel lieu, ne vaut pas, en général, l'élection de domicile dans ce même lieu (a). Il en est différemment en matière commerciale; mais les règles du droit commercial, étant exceptionnelles, ne s'étendent point aux matières civiles.

[[Deux questions bien pratiques réclament une solution. 1 Peut-on élire domicile par une convention verbale? 2° L'élection de domicile peut-elle être tacite ?

Sur la première question, M. Baudry-Lacantinerie (no 319) se prononce pour l'affirmative. Il est vrai que l'article 85 se sert de l'expression acte, mais M. Baudry-Lacantinerie entend par ce mot la convention, le negotium, dont l'élection du domicile fait partie et non l'écrit qui la constate. Pour résoudre la question, il en appelle aux principes généraux. Or, la loi autorise à faire

(1) Val., sur Proud., t. I, p. 241; M. Laurent, t. II, no 107. (a) Il en est autrement dans notre droit. Voir la note (a) p. 244. (b) Par acte, M. Baudry-Lacantinerie (no 317) entend la convention, plutôt que l'écrit. En application de cette doctrine, il décide que l'élection de domicile peut se faire par convention verbale, sauf les difficultés de la preuve (n° 319).

Donc il

verbalement, en principe, toutes sortes de conventions. faut conclure que les parties peuvent élire domicile verbalement, sauf les difficultés de la preuve. Cette solution me paraft devoir être accueillie, mais il faut observer que si le contrat lui-même doit revêtir certaines formes à peine de nullité, l'élection de domicile, qui est un incident de tel contrat, doit remplir les mêmes conditions.

La seconde question est controversée en France. Cependant, M. Baudry-Lacantinerie (loc. cit.) est d'avis que l'élection de domicile peut être tacite, c'est-à-dire qu'elle peut s'induire par argument des clauses de l'acte ou des circonstances. Comme on l'a vu supra, Mourlon enseigne que l'élection de domicile peut être implicite, c'est-à-dire qu'elle peut résulter des causes du contrat. Notre article, tel qu'amendé, prévoit évidemment la possibilité de l'élection de domicile tacite,car il dit que l'indication d'un lieu de paiement dans un billet ou écrit quelconque, quel que soit le lieu de sa date, équivaut à cette élection de domicile au lieu ainsi indiqué. Du reste, prenons le cas d'un billet fait dans un district, mais daté d'un autre district. La jurisprudence est aujourd'hui unanime à reconnaître, dans le fait de dater un contrat d'un autre lieu, une élection de domicile tacite dans ce lieu. J'indique les arrêts rendus par la cour d'appel dans les causes de Danjou & Thibaudeau (1 D. C. A., p. 98) et de Beaulac & Leclaire (R. J. Q., 1 B. R., p. 351), et par la cour supérieure dans les causes de Thibaudeau v. Wright (14 Q. L. R., p. 134), de Leclaire v. Beaulieu (M. L. R., 5 S. C., p. 95) et de La Banque du Peuple v. Prevost (M. L. R., 6 S. C., p. 88) (a). Il est donc clair que l'élection de domicile peut se faire tacitement dans notre droit. Il ne reste alors que la question de fait très délicate et très épineuse de savoir ce qui constitue une élection de domicile tacite. La date de l'écrit est enfin, après bien des hésitations, admise comme constituant cette élection tacite. Avant l'amendement de l'article 85, on était loin de reconnaître cet effet à l'indication d'un lieu de paiement dans l'acte. Mais le principe de droit étant maintenant reconnu, les tribunaux n'auront qu'à l'appliquer aux circonstances de chaque cause.]]

(a) On était aussi unanime à juger le contraire avant la décision de la cour d'appel dans la cause de Danjou & Thibaudeau. Témoins les causes de The Railway and Newspaper Advertising Co.v. Hamilton (20 L. C. J., p, 28), The National Insurance Co. v. Cartier (22 L. C. J., p. 336) et Lepage v. Billy (4 Q. L. R., p. 383).

« PrécédentContinuer »