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CHAPITRE II. DE LA DÉCLARATION D'ABSENCE [[OU DE LA POSSESSION PROVISOIRE DES HÉRITIERS DE L'ABSENT.]]

I. Observations. - Pendant la première période, la présomption d'absence, la position de l'absent n'a rien de bien fâcheux pour lui. Ses biens sont-ils en souffrance, on y pourvoit. Produisent-ils des fruits ou des revenus, on les perçoit et on les capitalise à son profit. Tout est pour le mieux!

[[Cette position se trouve-t-elle changée après l'envoi en possession provisoire? Pas notablement. Il est vrai que les envoyés ont des pouvoirs plus amples que ceux du curateur, mais ils donnent caution pour la sûreté de leur administration, ce qu'on n'exige pas du curateur. Mais ici la loi commence à s'occuper un peu moins de l'absent et un peu plus de ses héritiers. observation est importante.

Cette

Autre observation.-Bien que notre code civil donne à ce chapitre le titre de De la possession provisoire des héritiers de l'absent, j'ai conservé le titre du code Napoléon, conjointement avec celui de notre code, car le jugement qui ordonne la possession provisoire est une véritable déclaration d'absence (a). Mais le code Napoléon, après avoir parlé de la déclaration d'absence, consacre le chapitre suivant aux effets de l'absence, et le subdivise en trois sections dont la première traite des effets de l'absence, relativement aux biens que l'absent possédait au jour de sa disparition; la seconde, des effets de l'absence, relativement aux droits éventuels qui peuvent compéter à l'absent; et la troisième, des effets de. l'absence, relativement au mariage. Il y a une quatrième section sur la surveillance des enfants mineurs du père qui a disparu.

Quant à moi, j'ai toujours pensé qu'une division s'imposait sur cette matière. Comme il y a, en matière d'absence, trois périodes, la curatelle à l'absent, l'envoi en possession provisoire et la possession définitive, on ne saurait mieux diviser le sujet qu'en trois parties et c'est ce que je me propose de faire. Bien entendu, il ne s'agit que des biens délaissés par l'absent au jour de sa disparition; je traiterai à part des droits éventuels qui peuvent compéter à l'absent, de l'effet de l'absence sur le mariage et de la surveillance des enfants mineurs. A raison de cette division et

(a) On peut dire que le jugement qui nomine le curateur est décla ratoire de l'absence, mais le jugement ordonnant l'envoi provisoire est bien plus solennel et entouré de plus de formalités.

du fait, qu'en France, le jugement de déclaration d'absence est distinct du jugement d'envoi en possession provisoire, je ne reproduirai le traité de Mourlon que lorsqu'il peut s'appliquer tant à cette division du sujet qu'aux dispositions particulières dé notre droit.

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L'article 93 dit que "lorsqu'une personne a cessé de paraître "au lieu de son domicile ou de sa résidence, et que depuis cinq ans on n'en a point eu de nouvelles, ses héritiers présomptifs au 'jour de son départ ou de ses dernières nouvelles, peuvent se faire envoyer, par justice, en possession provisoire de ses biens, à la charge de donner caution pour la sûreté de leur administration." Pour le moment, je ne m'occuperai que des questions de délai, de procédure, etc., nous étudierons plus loin la nature de la possession provisoire. J'attirerai cependant, dès maintenant, l'attention du lecteur sur une différence entre l'article 86 et l'article 93. D'après le premier, l'absent est une personne qui ayant eu un domicile dans le Bas-Canada, a disparu, etc. Le second dit lorsqu'une personne a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence, etc. L'article 93 ne parle pas non plus de la situation de ce domicile ou de cette résidence. Cette différence ne me paraît pas très importante, et, à tout événement, je crois qu'on doit s'en tenir à la définition de l'article 86, cette définition étant faite pour tout ce titre.

I. Délai après lequel la possession provisoire sera accordée. — Autrefois il fallait attendre dix ans après la disparition ou les dernières nouvelles pour faire prononcer la possession provisoire. Les codificateurs ont réduit ce délai de moitié et avec raison, car, telle est la facilité des communications, que le fait de laisser passer cinq ans sans donner de ses nouvelles est déjà une grave présomption de mort. En France, on distingue le cas où l'absent a un procureur et celui où il a laissé ses affaires à l'abandon. Dans le premier cas, la déclaration d'absence ne peut être poursuivie avant dix ans, dans l'autre, on peut la demander après quatre ans (a). Notre code n'a pas reproduit cette distinction]].

Le point de départ des [[cinq]] années après lesquelles l'envoi en possession provisoire peut être accordé est déterminé par la date de la disparition de l'absent. S'il a depuis donné de ses

(a) La demande de déclaration d'absence se fait en France, après quatre ans ou dix ans, selon le cas, mais le jugement n'est prononcé qu'un an après la demande, de sorte que, lorsqu'il n'y a pas de procuration, l'envoi en possession provisoire s'accorde, comme ici, après l'expiration d'un délai de cinq ans.

nouvelles, le point du départ du délai n'est plus le même; mais quel est-il? Faut-il considérer la date même des dernières nouvelles ou la date de leur reception? Une lettre datée du 1er février a été reçue le 1er avril: les [[cinq]] ans comptent-ils du 1er février, date des nouvelles, ou du 1er avril, date de leur réception ?

Suivant l'opinion générale, c'est la date même des nouvelles qui fixe le point de départ de notre délai. Ce délai, a-t-on dit, commence avec l'incertitude de la vie de l'absent; or, la date de ses nouvelles ne prouve qu'une chose, savoir qu'il existait au moment où il les a écrites ou données. Dès cet instant, l'incertitude de la vie a repris son cours: car l'absent, qui existait. certainement à la date de ses nouvelles, était mort peut-être au moment où elles ont été reçues (1).

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[[Mais quelquefois il n'est pas même nécessaire d'attendre les cinq ans; l'article 94 déclare que "la possession provisoire peut" être ordonnée avant l'expiration du délai ci-dessus, s'il est établi, " à la satisfaction du tribunal, qu'il y a de fortes présomptions que l'absent est mort." Ainsi, l'absent est disparu après le naufrage d'un vaisseau dans lequel il avait pris passage, ou bien après une bataille où il se trouvait parmi les combattants. Il est clair qu'un tel fait peut créer une très forte présomption de mort et autoriser le tribunal à accorder la possession provisoire avant l'expiration du délai fixé pour les cas ordinaires.

D'un autre côté, il peut y avoir des faits qui expliquent la longue absence de la personne disparue. Ainsi, elle a pu partir pour un voyage d'exploration, par exemple en Afrique, où elle doit nécessairement passer plusieurs années, ou bien, après son départ, une guerre a empêché la transmission de nouvelles. Voilà autant de circonstances dont le tribunal aura à tenir compte, et qui lui permettront de surseoir à la demande. L'article 95 lui en donne le droit. Il dit que "le tribunal, en statuant sur cette demande, a égard aux motifs de l'absence et aux causes qui ont pu empêcher d'avoir des nouvelles de l'absent."

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II. Des formes à suivre pour obtenir la possession provisoire.-L'article 93 nous dit que les héritiers présomptifs de l'absent se font envoyer en possession provisoire par justice. Ils n'entrent donc pas en possession de plein droit, mais ils doivent s'adresser pour cela aux tribunaux. Le code civil ne donne que cette indication

(1) MM. Val., sur Proud., t. I, p. 271; Dem., t. I, p. 218; Demol.. t. II, no 57; Laurent, t. II, no 156. - Contrà, MM. Dur., t. 1, no 414; Aubry et Rau, t. I, § lõl, note 4; Duc., Bonn. et Roust., sur l'art. 115.

sommaire, le code de procédure civile, au contraire, explique le mode d'obtenir la possession provisoire.

L'article 1327 de ce code dit que l'envoi en possession, dans tous les cas où il peut être demandé, doit l'être par requête à la cour supérieure dans le district où l'absent avait son dernier domicile.

Cette demande, dit l'article 1328, doit être accompagnée d'un acte de notoriété par trois témoins dûment assermentés constatant les faits sur lesquels la requête est appuyée, et de toute autre preuve que le tribunal juge nécessaire. Cet acte de notoriété est tout simplement l'affirmation sous serment des trois témoins qu'ils connaissent l'absent, qu'ils savent et qu'il est notoire qu'il a disparu de son domicile et que depuis au moins cinq ans (ou moins dans les cas extraordinaires qui sont laissés à la discrétion du tribunal), il n'a pas donné de ses nouvelles. Ces témoins peuvent aussi jurer que les requérants sont les héritiers présomptifs de l'absent, mais ce fait semblerait susceptible d'une meilleure preuve. Le tribunal peut également exiger toute autre preuve qu'il juge nécessaire. Ainsi, dans la cause de Ex parte, de Groshois (4 R. L., p. 389), le tribunal a exigé la preuve de la valeur des biens délaissés par l'absent afin de déterminer le montant du cautionnement que les envoyés en possession provisoire devaient donner.

Aux termes de l'article 1329 du code de procédure, qui est de droit nouveau, l'envoi en possession ne peut être accordé qu'après qu'avis en a été donné et publié, de la même manière que pour l'assignation d'un absent, requérant toute personne qui peut avoir quelque droit à exercer contre la succession ou sur les biens en question, de présenter sa réclamation devant le tribunal. Donc, avant de procéder sur la requête, on en donnera avis, à deux reprises, dans un journal français et à deux reprises dans un journal anglais de la localité et on requérera les intéressés de comparaitre dans les deux mois de l'insertion du dernier avis (art. 68 C. P. C.).

L'article 1330, qui est également de droit nouveau, dit qu'il est procédé sur telle réclamation (celle de toute personne qui peut avoir quelque droit contre la succession de l'absent), ainsi que sur la requête pour envoi en possession provisoire, de même que dans une instance ordinaire (a).]]

(a) Il faut se rappeler que ces articles du code de procédure civile s'occupent de l'envoi en possession dans les successions irrégulières comme de l'envoi en possession dans le cas de l'absence.

III. Ce que c'est que l'envoi en possession provisoire. Des personnes qui ont le droit de l'obtenir. L'absent, qu'il soit dans la première ou qu'il soit dans la seconde période de l'absence, n'est aux yeux de la loi, ni vivant ni mort: son existence est incertaine. Il semble dès lors que l'ouverture de sa succession devrait rester suspendue tant que dure cette incertitude: car, aux termes de l'article 601, la succession ne s'ouvre que par la mort.

[[Cependant, dit Pothier (a), "comme il est de l'intérêt public " que les biens des absents ne soient pas abandonnés pendant un "trop long temps, après un certain temps différemment fixé par "les coutumes, et qui dans celles qui, comme la nôtre, ne s'en "sont pas expliquées, est ordinairement de dix ans (b), depuis la "dernière nouvelle qu'on a eue de l'absent, ou depuis son départ "si on n'en a eu aucune, il est d'usage que les parents de cet "absent, qui sont en degré de lui succéder, soient mis provision"nellement en possession de ses biens."

Constatons maintenant une différence essentielle entre notre code et le code Napoléon.

D'après le droit français moderne, après la déclaration d'absence, les héritiers présomptifs de l'absent au jour de sa disparition ou de ses dernières nouvelles, peuvent, en vertu du jugement définitif qui aura déclaré l'absence, se faire envoyer en possession provisoire des biens qui appartenaient à l'absent au jour de son départ ou de ses dernières nouvelles (art. 120); et, lorsque les héritiers présomptifs auront obtenu l'envoi en possession provisoire, le testament de l'absent, s'il en existe un, est ouvert à la réquisition des parties intéressées ou du procureur de la République, et les légataires, les donataires, ainsi que tous ceux qui avaient, sur les biens de l'absent, des droits subordonnés à la condition de son décès pourront les exercer provisoirement (art. 123).

Donc, en France, la loi regarde l'absent provisoirement comme mort à partir du jour où il a donné le dernier signe de son existence en conséquence, la déclaration de son absence ouvre, provisoirement, tous les droits que son décès, s'il était prouvé, ouvrirait définitivement.

On a donc raison de dire, en France, que la déclaration d'absence est, sous un certain rapport, désastreuse pour l'absent. Car, tous

(a) Introduction au titre 17 de la coutume d'Orléans, no 37. (b) Ce délai est maintenant de cinq ans.

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