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fait, et rien de plus. Elle reconnaît provisoirement pour héritiers ceux qui sont appelés à défaut de l'absent; mais assurément cette reconnaissance n'implique pas l'attribution du droit de disposer irrévocablement des biens sur lesquels elle ne leur accorde qu'une propriété révocable (art. 106). Est-ce donc de principe que ceux qui sont propriétaires sous condition résolutoire sont tacitement autorisés à consentir, sur les biens qu'ils administrent, des droits purs et simples, définitifs, irrévocables? Le principe contraire est partout écrit dans notre droit (voy. notamment les art. 1088, 1547 et 2038).

Enfin, si je ne me trompe, l'article 106 contient la preuve évidente que ceux qui succèdent provisoirement au lieu et place de l'absent ne le représentent point. Ce texte, en effet, leur accorde le droit d'acquérir par la prescription les biens qu'ils détiennent; or, personne, que je sache, ne soutiendra qu'un mandataire puisse, par la prescription, acquérir les biens qu'il administre! Le droit de prescrire les biens d'un patrimoine appartenant à autrui et le pouvoir de l'administrer en maître s'excluent réciproquement. La loi admet formellement le premier donc elle rejette le second (1).

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[[M. Baudry-Lacantinerie, t. Ier, no 393, s'exprime dans le même sens. "L'héritier apparent", dit-il, " était propriétaire : la loi lui attribue implicitement ce titre dans l'article 136 (C. N., "105 de notre code). Mais il n'était propriétaire que sous con"dition résolutoire, sous cette condition résolutoire que l'exis"tence du véritable ayant droit lors de l'ouverture de la succession "serait plus tard démontrée; car la loi n'attribue la succession "ouverte au profit de l'absent à ceux appelés à son défaut, que sous la réserve de ses droits. Or c'est un principe certain que

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(1) Un moyen existe pour l'héritier apparent de faire des aliénations définitives et opposables à l'absent lui-même: ce moyen, je le trouve dans la théorie générale de la gestion d'affaires. Qu'il aliène tant au nom de l'absent qu'en son propre nom! et, pourvu que l'aliénation soit nécessaire, ou même simplement utile, chacune des parties qu'elle intéresse sera tenue de la respecter (voy. les art. 1043 et 1046).

Mais, dira-t-on, l'héritier apparent ne trouvera pas d'acquéreur : car les tiers seront peu enclins à entrer dans des opérations dont la validité, en définitive, n'est pas sûre, puisque l'absent est admis à la méconnaître, lorsqu'il établit qu'elles n'ont pas été faites selon son intérêt.—On peut parer à cet inconvénient, en demandant à la justice l'autorisation de passer à l'opération projetée la question d'utilité se trouvant ainsi jugée à l'avance, l'absent de retour ne sera pas admis à la poser de nouveau, ce qui assurera l'irrévocabilité de la convention faite en cette forme. Ce mode de procéder trouve sa justification dans la disposition de l'art. 2039, dont nous avons fait l'application aux envoyés en possession provisoire.

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personne ne peut transférer plus de droits qu'il n'en a, nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet. Done "l'héritier apparent, qui n'était propriétaire que sous condition résolutoire, n'a pu transférer que des droits résolubles et l'événement qui produirait la résolution de son droit de propriété "entraînera nécessairement par voie de conséquence la résolution "des droits qu'il aura lui-même consentis sur les choses héréditaires, conformément à la maxime Resoluto jure dantis resolvitur jus accipientis."

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Je puis ajouter que cette question était controversée sous l'ancien droit (voir ce qu'en dit Demolombe, t. 2, no 243). Cependant, je ne crois pas qu'on puisse réfuter les arguments invoqués par les partisans de la nullité des actes. Le dissentiment provient de ce qu'on appelle les nécessités de la pratique, car quand l'acquéreur a été de bonne foi, il semble rigoureux et dur de l'évincer au nom d'une personne à qui la loi défendait de déférer l'héritage. Pour cette raison Demolombe croit que l'opinion des opposants finira par prévaloir. Le sentiment de Mourlon et de M. Baudry-Lacantinerie, je le répète, me paraît, malgré sa rigueur, plus conforme aux principes du droit.

CHAPITRE V.- DES EFFETS DE L'ABSENCE RELATIVEMENT AU MARIAGE.

I. Le conjoint présent peut-il se remarier pendant l'absence? - Le mariage n'étant, dansnotre droit civil, dissous que par la mort de l'un des conjoints, il était logique de déclarer, comme le fait l'article 108, que les présomptions fondées sur l'absence, quelle qu'en soit la durée, ne sont pas applicables au cas du mariage et que l'époux de l'absent ne peut jamais contracter un nouveau mariage sans rapporter la preuve certaine du décès de son époux absent.

En France, on reconnaît bien ce principe, mais l'article 139 du code Napoléon dit que l'époux absent dont le conjoint a contracté une nouvelle union, sera seul recevable à attaquer ce mariage par lui-même, ou par son fondé de pouvoir, muni de la preuve de son existence.

Cette distinction, qui n'entache le second mariage que d'une nullité relative, n'existe pas dans notre droit, car les codificateurs n'ont pas voulu adopter le principe de l'article 139 C. N. On serait donc tenté de conclure qu'ici un semblable mariage serait frappé de nullité absolue.

Mais, malgré les termes si formels de l'article 108 et le refus des codificateurs de reproduire l'article 139 du code Napoléon, je crois qu'il faut s'en rapporter aux termes de l'article 118 du code civil. Cet article dit qu'on ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier. Donc, avant de prononcer la nullité du mariage contracté par le conjoint, il faudra prouver que cet absent existait au moment de ce mariage. Il ne suffirait pas de démontrer qu'il plane un doute sur son existence, car si l'absent était réellement mort au moment du second mariage, ce mariage sera valable malgré ce doute. Donc, la nullité de ce mariage est conditionnelle. L'on doit en conclure que l'absence constitue actuellement un empêchement prohibitif, qui justifie les fonctionnaires de l'état civil de refuser leur ministère à un semblable mariage, et que cet empêchement prohibitif est conditionnellement dirimant, c'est-à-dire que le mariage sera considéré avoir toujours été nul si l'on apprend que l'absent existait quand il a été contracté.

Telle était la doctrine des anciens auteurs. D'Aguesseau s'exprime en ces termes sur cette question, de même que sur la preuve qu'on doit apporter de l'existence de l'absent.

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Quoiqu'il n'y ait point d'obstacle plus invincible que celui "d'un premier mariage, l'on ne doit pourtant pas prononcer la "nullité du second engagement, jusqu'à ce qu'il soit absolument 60 certain que le premier mari était vivant dans le temps du second mariage; jusque là on oblige ceux qui ont été mariés dans cet " état d'incertitude, à demeurer séparément, et l'on ne prononce pas la dissolution de leur mariage qui demeure en suspens. Mais quelles doivent être les preuves de l'existence du premier "mari? La loi n'en reçoit que trois : les titres, les témoins, les "indices indubitables et plus clairs que le jour. Il est difficile que de ces trois preuves la seconde puisse être suffisante par elle-même pour dissoudre un mariage, puisqu'afin que le témoin "pût déposer certainement de l'existence du premier mari, il serait presque nécessaire qu'il ne l'eût point quitté depuis le premier moment de son absence jusqu'au jour qu'il dépose.

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"A l'égard des indices, il est difficile de concevoir qu'ils pussent "former une preuve assez forte pour prononcer un jugement "définitif; il faut donc recourir nécessairement aux titres authentiques. C'est par cette seule voie qu'on peut parvenir à la preuve d'un fait si important; car nous ne mettons point au "nombre des preuves le retour et la représentation du mari, puisque c'est le fait même qu'il s'agit de prouver."

Les auteurs du Nouveau Dénizart, v° Absence du mari ov de la femme, article Ier, n° 2 et suiv., reproduisent, en y concourant, le passage que je viens de citer. Ajoutons que dans une cause très récente, Harvey v. Young (R. J. Q., 4 C. S., p. 446), le juge Jetté a décidé, ce qui du reste est élémentaire, que celui qui demande la nullité d'un mariage se fondant sur l'existence d'un mariage antérieur, doit fournir la preuve de la célébration de ce premier mariage et de l'existence du premier époux. Donc, si le conjoint de l'absent se remarie sans avoir la preuve certaine de la mort de ce dernier, la validité de ce mariage restera en suspens et ceux qui voudraient l'attaquer doivent justifier de l'existence de l'absent. Du reste, l'action en nullité compète à tous ceux qui y ont intérêt et pas seulement à l'absent, car la nullité, quand la condition est réalisée, est radicale.

II. De la preuve du décès de l'absent. Mais qu'entend-on par la preuve certaine de la mort de l'absent que le conjoint doit fournir avant de contracter un nouveau mariage? On était unanime à décider, dans l'ancien droit, que cette preuve n'était pas nécessairement une preuve écrite; on admettait la preuve testimoniale dans le cas où le conjoint n'avait pu se procurer une preuve écrite. Cela revientà dire qu'on doit rapporter la meilleure preuve possible de la mort de l'absent. Ainsi, l'absent est-il décédé dans un endroit où l'on tient des registres de sépulture, par exemple en France, on doit produire un extrait du registre, à moins qu'on ne fasse voir que le registre en question a été perdu ou que l'acte de sépulture n'y a point été inséré (voy., du reste, l'art. 51).

En pratique, cependant, on s'est montré assez facile sur le genre de preuve qui peut autoriser le conjoint de l'absent à contracter un second mariage. Ainsi, dans la cause de Morin v. La corporation des Pilotes (8 Q. L. R., p. 222), le juge Casault a regardé comme étant de bonne foi une femme qui avait convolé en secondes noces après avoir reçu une lettre dans laquelle on l'informait de la mort de son mari absent. Egalement, dans la cause de McKercher v. Mercier (M. L. R., 4 S. C., p. 333), le juge Davidson a déclaré valide un mariage contracté par la femme d'un absent sur l'information reçue d'un ouvrier, qui travaillait dans la même boutique que l'absent, que ce dernier s'était noyé.

Du reste, quelles que soient les nouvelles qu'on ait pu recevoir de la mort de l'absent, si ce dernier était réellement vivant à l'époque du second mariage, ce mariage se trouvera avoir été nul ab initio, seulement, vu la bonne foi des parties, il aura produit

des effets civils; et les enfants qui en sont nés seront légitimes. En un mot, ce sera ce que les auteurs appellent un mariage putatif et les dispositions de l'article 163 lui seront applicables.

Il faut décider de même que si le conjoint de l'absent a de mauvaise foi contracté un second mariage sans avoir eu aucune nouvelle de la mort de ce dernier, et que l'on découvre ensuite que l'absent était réellement mort quand ce second mariage a été contracté, la nouvelle union sera valide, car l'empêchement qu'on croyait réellement exister n'avait de fait aucune existence.

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III. De l'effet de l'absence sur la communauté. Mais si le mariage n'est jamais dissous par l'absence, quelque prolongée qu'elle soit, il n'en est pas ainsi des conventions matrimoniales consenties par les époux. Ici le doute qui entoure l'existence de l'absent produit tout son effet.

En France, cependant, aux termes de l'article 124 du code Napoléon, l'époux commun en biens peut opter pour la continuation ou la dissolution de la communauté; les héritiers présomptifs de l'époux absent ne peuvent demander cette dissolution, tout est laissé au choix du conjoint de l'absent.

Ici, au contraire, soit les héritiers présomptifs de l'absent, soit l'époux présent commun en biens peuvent demander la dissolution de la communauté. L'article 109 de notre code dit que "si "les conjoints sont communs en biens, la communauté est dis"soute provisoirement du jour de la demande à cette fin par les " héritiers présomptifs, après le temps requis pour se faire envoyer "en possession des biens de l'absent, ou à compter de l'action que le conjoint présent porte contre eux au même effet; et dans " ces cas il peut être procédé à la liquidation et au partage des "biens de la communauté, à la demande de l'époux présent, des "envoyés en possession ou de tous autres intéressés."

Cet article soulève des questions très graves. On n'y parle que de la communauté et de l'époux commun en biens, et là semble devoir se borner son application. Or, il y a quatre espèces de conventions matrimoniales. Il a d'abord la communauté légale qui existe indépendamment de tout contrat de mariage et aussi quand on ne l'a pas spécialement ou implicitement exclue (articles 1270-71). En deuxième lieu, il y a la communauté conventionnelle que les conjoints stipulent par leur contrat de mariage; elle est de plusieurs sortes (articles 1384-1414). Il existe un troisième régime qu'on appelle l'exclusion de la communauté où chacun des époux garde la propriété de ses biens meubles et immeubles, mais le mari a le droit de jouir de ces biens afin de

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