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parlement était compétent dans l'espèce, il a pu abroger toutes les dispositions du droit civil qui reproduisaient la prohibition du droit canon. Or, à l'époque de la codification, la loi civile prohibait absolument les mariages entre beau-frère et belle-sœur, et cela sans distinction; il ne paraissait pas possible même de lever cette défense, la dispense d'empêchements dont parle l'article 127 ne s'appliquant qu'aux empêchements non-énumérés par le code civil. Il suit de là que la prohibition du droit canon n'est pas affectée en soi par la nouvelle législation, mais que toute disposition de la loi civile, qui répète cette prohibition, est abrogée. Cependant, la loi fédérale rencontre une objection bien plus formidable dans une disposition qu'elle n'a pas abrogée. Aux termes de l'article 129, on ne peut contraindre un prêtre à célébrer un mariage contre lequel il existe quelqu'empêchement d'après les doctrines et croyances de sa religion, et la discipline de l'église à laquelle il appartient. On ne pourra donc pas forcer un prêtre de célébrer un semblable mariage, lorsqu'il n'a pas eu de dispense de l'empêchement dirimant canonique. L'effet pratique de cette disposition, c'est de rendre ces mariages impossibles pour les catho-liques, quand il n'y a pas eu de dispense par l'autorité religieuse. Donc, il résulte de ce que je viens de dire: 1° que tout obstacle au mariage entre un homme et la sœur de sa femme défunte est disparu du côté de la loi civile, en supposant que la loi fédérale soit constitutionnelle; 2° que l'empêchement canonique n'étant pas affecté par cette législation, deux catholiques, qui veulent se marier de la seule manière légale pour eux, c'est-à-dire devant leur propre curé, ne pourront faire célébrer leur mariage tant qu'ils n'ont pas fait lever la défense du droit canon.]]

L'alliance résulte-t-elle, non seulement du mariage, mais encore d'un commerce illicite, du concubinage? (a).

Premier système.-Le concubinage engendre une alliance naturelle qui, de même que l'alliance légitime, fait obstacle au mariage. Le droit canonique et notre ancien droit civil admettaient, en effet, que le concubinage, lorsqu'il était notoire et qu'il avait fait scandale, engendrait une alliance naturelle qui empêchait le mariage entre chacun des concubins et les parents de l'autre (Poth., Du mar., n° 162). Or, le code n'a point défini l'alliance: il s'en réfère donc, sur ce point, au principe suivi dans notre ancien droit. Autrement, il faudrait dire qu'il tolère les

(a) Je reproduis cette discussion bien que l'affirmative ne souffre aucune difficulté, dans notre droit, en vue des termes formels des articles 124 et 125, où il est question des alliés naturels.

les mariages les plus scandaleux, et, par exemple, l'union d'un concubin avec la mère de sa concubine.

Le système contraire conduirait d'ailleurs à des conséquences que la logique et le bon sens condamnent également. Supposons un mariage contracté en violation d'un empêchement dirimant, et plus tard annulé. Bien qu'annulé, il a néanmoins produit des effets civils, et, par suite, une alliance légitime, si les parties l'ont contracté de bonne foi (art. 163 et 164) cette alliance devient donc un empêchement légal au mariage entre chacune d'elles et les parents de l'autre. Que si, au contraire, il a été contracté de mauvaise foi, il est alors réputé n'avoir été qu'un véritable concubinage. Dira-t-on, dans ce cas, qu'il n'a engendré aucune alliance, et qu'ainsi chacune des parties peut épouser le parent de Fautre? Mais alors leur mauvaise foi leur assure un avantage dont ne jouissent pas les parties qui ont été de bonne foi! La loi n'a pu consacrer une semblable anomalie (1).

Ainsi, il n'est pas permis d'épouser la mère, la fille ou la sœur de sa concubine, le père, le fils ou le frère de son concubin.

Toutefois, cette incapacité ne doit être admise qu'autant que le concubinage d'où elle résulte est légalement et antérieurement établi, soit par un jugement de condamnation pour complicité d'adultère, soit par l'annulation d'un mariage antérieur et contracté de mauvaise foi, soit enfin par la reconnaissance faite par P'un et l'autre concubin d'un enfant naturel. Autrement, l'allégation du concubinage donnerait lieu à des procédures scandaleuses, que réprouve l'esprit général de notre code (2).

Deuxième système. Le concubinage n'engendre point Balliance que la loi range parmi les obstacles au mariage.Ainsi, l'homme qui a vécu en concubinage avec une femme est libre d'épouser la mère, la fille ou la sœur de cette femme. L'alliance, en effet, l'alliance proprement dite, ne se forme que par

(1) Ce raisonnement ne me semble pas sûr. Et d'abord je ne puis pas voir un avantage dans la faculté d'épouser la mère ou la fille de sa concubine. J'ajoute qu'en supposant que ce fût un avantage, tout ee qu'il faut en conclure, c'est que cette anomalie a échappé à la perspicacité de la loi. [[Le législateur a été plus perspicace en cette province.]]

(2) Dem., t. I, no 217 bis, I et II; Marc., sur l'art. 161; MM. Aubry et Rau, t. V, § 461; note 13; Duc., Bonn. et Roust., sur le même article. Quelques personnes vont plus loin. Suivant elles, le concubinage, de quelque manière qu'il soit établi, engendre une alliance qui s'oppose au mariage entre chacun des concubins et les parents de l'autre. La question de preuve est abandonnée à l'appréciation souveraine et discrétionnaire des magistrats. [[Notre loi ne distinguant pas, je dois me ranger de cet avis.]]

le mariage: affinitatis causa fit ex nuptiis. Pothier lui-même en fait la remarque. Il ajoute, il est vrai, que le concubinage crée une espèce d'alliance improprement dite, qui, à la différence de l'alliance légitime, dont l'existence forme un empêchement jusqu'au quatrième degré inclusivement, fait obstacle au mariage, au premier et au second degré seulement. Or, le code n'a point reproduit cette espèce d'alliance improprement dite: Il n'en parle nulle part. Qu'en conclure, si ce n'est qu'il l'a abandonnée (1) ?

IV. Des cas où l'empêchement résultant de la parenté ou de l'alliance peut être levé au moyen d'une dispense. [[En France, les dispenses de l'empêchement qui résulte de la parenté ou de l'alliance sont accordées par le chef de l'État. Ici, elles sont octroyées, pour les catholiques, par les autorités religieuses, pour les noncatholiques par le lieutenant-gouverneur. Je me contente de cette indication sommaire, car le sujet sera traité plus loin.]]

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Le mariage, étant un contrat, ne peut se former que par le consentement des époux (art. 984), c'est-à-dire par le concours de leurs volontés. Il ne suffit même pas qu'ils domnent un consentement quelconque; la loi veut que ce consentement soit libre et exempt d'erreur.

Lorsque le consentement fait absolument défaut, le mariage n'existe point: on dit alors qu'il est nul. Toute personne intéressée peut en demander la nullité; et, à quelque époque qu'elle soit formée, la demande en nullité est recevable.

Que si, au contraire, le consentement existe, mais vicié par la violence ou par l'erreur, le mariage est, non plus nul, mais seulement annulable. L'une des parties, celle dont le consentement a été vicié, peut, il est vrai, en faire prononcer la nullité en justice; mais, tant que la nullité n'en a pas été judiciairement prononcée, il subsiste comme s'il était valable. Bien plus, le vice dont il est infecté peut être effacé par une ratification postérieure, auquel cas le mariage devient aussi irrévocable que s'il eût été valable ab initio. Nous reviendrons sur cette distinction lorsque nous expliquerons, sous le chapitre Des nullités de mariage, les articles 148 et 149.

(1) Val., sur Proud., t. I, p. 403; Bug., sur Poth., t. VI, p. 79; M. Demol., t. I, n° 112; M. Laurent, t. II, n° 351. [[Ainsi que je l'ai dit, le législateur mentionne l'affinité résultant du concubinage aux articles 124 et 125.]]

Ainsi, point de consentement, point de mariage. Les personnes impuissantes à manifester leur volonté sont donc incapables de se marier: tels sont les sourds-muets et les personnes privées de raison [[et aussi les morts civils et cela aux termes mêmes de l'article 36 qui ne prononce la nullité du mariage que pour les effets civils.]] Toutefois remarquons :

1° Que l'incapacité des sourds-muets cesse lorsque l'éducation qu'ils ont reçue les met à même de comprendre l'engagement qu'ils contractent et de manifester leur consentement, soit par l'écriture, soit par des signes d'une autre nature;

2° Que le mariage contracté par une personne en état habituel de démence ou de fureur est et reste valable lorsqu'il a été célébré pendant un intervalle lucide. Tout se réduit à cette question de fait les parties ont-elles ou non donné en connaissance de cause leur consentement au mariage?

Une question fort délicate est celle de savoir si la personne interdite pour cause d'imbécilité, de démence ou de fureur, peut valablement se marier pendant un intervalle lucide. L'interdiction est-elle, en droit, par elle-même, et par elle seule, un obstacle permanent au mariage? (a) Faut-il, si l'on admet l'affirmative, considérer comme nul, ou simplement comme annulable, le mariage contracté au mépris de cet empêchement ?

Quoique ces questions soient fort controversées, je n'hésite point à dire : 1o que l'interdit ne peut point se marier; 2o que si, en fait, il s'est marié, son mariage n'est qu'annulable (b).

Tout mariage est nul ou annulable, lorsque l'une des parties n'y a pas donné son consentement, ou n'y a donné qu'un consentement vicié. Or, l'interdiction constitue au moins un vice du consentement: donc le mariage contracté par un interdit est au moins annulable.

Lorsqu'une personne privée de raison, mais non interdite, s'est mariée, on peut établir que le mariage a été célébré pendant un moment lucide, auquel cas le mariage est valable. C'est une question de fait, laissée à l'appréciation souveraine du tribunal. Il n'en est pas de même lorsque cette personne était déjà interdite

(a) Voir ma note (a), infra, p. 347.

(b) L'article 334 dit que tout acte fait par l'interdit pour cause d'imbécillité, démence ou fureur est nul. Voir Loranger en ce sens n° 73. Ajoutons que l'article 502 du code Napoléon qui correspond à notre art. 334 dit que tous actes passés par l'interdit postérieurement à son interdiction sont nuls de droit. Cependant, comme je l'expliquerai en ma note (a), infra, p. 347, je n'arrive pas à la même conclusion que Mourlon.

au moment de la célébration du mariage. Le tribunal n'a point à rechercher alors si le mariage a été ou non contracté dans un intervalle lucide: car la question de savoir si ce moment de raison a réellement existé est résolue négativement par la loi même. L'interdiction, en effet, a précisément pour but d'éviter ces questions de fait; ce n'est rien autre chose que la présomption légale d'une folie toujours permanente, qui commence avec le jugement d'interdiction et ne cesse qu'avec lui. Nulle preuve contraire n'est admise contre cette présomption de la loi. En fait, le moment de raison, cet intervalle lucide, peut exister, je le reconnais; mais la présomption de la loi l'emporte sur la réalité.

On objecte que souvent la folie n'est que partielle et n'affecte qu'un seul côté de l'intelligence. Cet homme, par exemple, est monomane, fou sur un seul point, sage et bien avisé sur tout le reste. Pourquoi donc lui défendrait-on le mariage par cela seul que son interdiction a été prononcée ?

Je réponds: 1° en principe, on n'interdit pas un tel homme : la justice se borne alors à lui défendre de faire, sans l'assistance d'un conseil judiciaire qu'elle lui désigne, les actes qui font l'objet de sa monomanie (art. 331).

2o La personne qui est interdite est, aux yeux de la loi, et, par suite, pour la justice, incapable de faire, en connaissance de cause, non pas tel ou tel acte, mais tous les actes, de quelque nature qu'ils soient. La présomption qui résulte de l'interdiction est, en effet, générale, absolue. Celui que la loi juge incapable de faire un acte purement pécuniaire, de vendre ou d'acheter, par exemple, ne peut pas être réputé capable d'engager sa personne et toute son existence, de se marier, en un mot (1)!

Ainsi, l'interdiction est un obstacle permanent au mariage. Mais si, en fait, le mariage a été célébré, je le déclarerais simplement annulable. La pensée générale de L. loi, touchant

(1) Toull., t. I, n° 502; Dur., t. II, n 27 et suiv.; Bug., sur Poth., t. VI, p. 38; Val., sur Proud., t. I, p. 427.-Marcade tient que le mariage contracté par un interdit est radicalement nul (t. I, p. 482 et suiv.).

On soutient, dans une autre opinion, que l'interdiction judiciaire ne forme qu'un empêchement prohibitif. "Sans doute, dit-on, l'officier de l'état civil qui connaît l'interdiction doit se refuser à la célébration; mais le tribunal saisi de la question peut, suivant les circonstances, ordonner qu'il y sera procédé. Que si, en fait, le mariage a été célébré, la question de validité dépend uniquement de celle de savoir s'il y a eu ou non consentement suffisant."-Consultez Dem., t. I, no 224 bis, I; MM. Demol., t. I, nos 127 à 129; Val., Expiic. somm., p. 363; Cours de code civil, t. I, p. 214 et 239; Aubry et Rau, t. V, § 564, 1°; Laurent, t. II, n 285 et suiv.

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