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marier devant un notaire qui s'est fait le complice de son séducteur: son union sera-t-elle privée de la protection de la loi? serat-elle victime de la fraude qu'on a pratiquée pour la tromper? Quoi! la loi, qui traite d'épouse légitime la femme qui, par erreur de droit, a cru pouvoir épouser son frère, ne verra qu'une concubine dans cette mineure abusée ! L'équité peut-elle donc s'accommoder de pareilles distinctions?

Le texte de la loi résiste à une décision aussi inhumaine. Tout mariage qui a été déclaré nul, mais qui a été contracté de bonne foi, est putatif; or, dans notre espèce, il y a eu mariage contracte. Sans doute le contrat a été mal fait; mais c'est précisément pour relever les parties des conséquences qu'entraînerait la nullité, qu'a été imaginée la théorie du mariage putatif (1).

Remarquons en terminant qu'il suffit que la bonne foi ait existé au moment où le mariage a été contracté. mariage a été contracte. Les époux qui, après s'être mariés de bonne foi, découvrent que leur mariage est nul, sont bien excusables lorsqu'ils ne se séparent pas immédiatement. La crainte du scandale, l'espoir légitime que la nullité se couvrira ou qu'elle ne sera point reconnue, leur ôtent la force de rompre une union dans laquelle ils ont jusque-là vécu honnêtement. La loi a dû tenir compte de cette position difficile et la couvrir de son indulgence (art. 2253 arg.). Ainsi, le mariage qui, dans le principe, a été putatif, conserve ce caractère et continue de produire ses effets, même après que les époux ont reconnu leur

(1) Marc., sur les art. 201 et 202; M. Laurent, t. II, n° 503. [[M. Baudry-Lacantinerie, no 545, tout en reconnaissant que les anciens docteurs exigeant la solennité de la célébration du mariage, se prononce dans le même sens. Le juge Loranger, no 416, cite la définition suivante du mariage putatif, sans en indiquer la provenance : Matrimonium putativum est quod bona fide et SOLEMNITER, saltem opinione conjugis unius, justa contractum inter personas jungi non vetitas consistit.

M. Baudry-Lacantinerie dit que l'erreur des époux ou de l'époux de bonne foi a pu être une erreur de fait ou une erreur de droit.

L'erreur de fait consiste dans l'ignorance ou la fausse notion d'un fait qui s'opposait à la validité du mariage. Ainsi, deux personnes parentes au degré prohibé se marient dans l'ignorance du lien de parenté qui les unit.

L'erreur de droit résulte de l'ignorance ou de la fausse notion d'une disposition législative qui met obstacle à la validité du mariage. Ainsi, deux personnes parentes au degré prohibé et connaissant cette parenté, se marient dans l'ignorance de la disposition législative qui prohibe le mariage entre personnes parentes à ce degré. Dans un cas comme dans l'autre, cette erreur, soit de fait soit de droit, peut former la base de la bonne foi de l'époux ou des époux.]]

erreur, et tant que la nullité de leur mariage n'a pas été judiciairement prononcée (1).

[[Il n'y a dans notre jurisprudence que trois décisions sur ces questions.

La première en date, celle de Gregory v. Dyer (15 L. C. J., p. 223), jugée longtemps avant le code, affirme qu'une femme qui a épousé un homme déjà marié, durant la vie de la première femme, n'est pas privée de ses avantages matrimoniaux, si elle l'a ainsi épousé, ignorant l'existence du premier mariage.

Près de vingt-cinq ans plus tard, mais avant la codification, nous trouvons un deuxième arrêt, celui de Cathcart et al. v. The Union Building Society (15 L. C. R., p. 467), qui ne fait qu'énoncer le principe de l'article 164. Dans l'espèce, un nommé Wilson, qui avait abandonné sa femme en Angleterre, s'était marié de nouveau à Québec du vivant de sa femme. La seconde épouse était de bonne foi et il s'agissait de savoir si ce second mariage avait créé une communauté de biens et quelle serait la part de la seconde femme et des enfants. Les parties ayant admis que la part de la véritable femme qui demeurait en Angleterre était, suivant la loi anglaise, d'un tiers, le tribunal divisa la succession du mari en trois parts, celle de la première femme, celle de la femme putative et celle des enfants issus du second mariage.

La troisième décision est celle de Morin v. La corporation des Pilotes (8 Q. L. R., p. 222); elle date de 1882. Le juge Casault y a jugé que la nullité d'un second mariage, contracté avant la dissolution d'un premier mariage, n'est pas littéralement absolue et n'empêche pas le conjoint de bonne foi d'acquérir les

(1) Dem., t. I, n° 283 bis III et V; Dur., t. II, n° 363; MM. Aubry et Rau, t. V, § 460, note 6; Val., Explic. somm., p. 115 et 116; Cours de Code civ., t. I, p. 305 et 306; Bug., à son cours; Demol., t. 2, n° 360. [[Remarquons, cependant, que Pothier, Successions, ch. I, s. 2, art. 3, IV. (éd. Bugnet, t. VIII, p. 18), citant le cas de l'absence du premier mari et du mariage contracté de bonne foi par son conjoint, dit que ce mariage putatif aura l'effet de légitimer les enfants nés de ce mariage, "pourvu qu'ils aient été conçus pendant que la bonne foi durait, c'està-dire, avant le retour du premier mari, qu'on croyait mort." La question est délicate, mais il ne me semble pas que la complicité du premier mari ou son silence puisse empêcher que ce qui était d'abord une conjonction licite, à cause de la bonne foi des parties, ne devienne un adultère quand ces parties savent que le premier mari exsite, car c'est alors leur devoir de se séparer. Mais comme le premier mari, pour faire prononcer la nullité du second mariage, est obligé de prouver son identité, le second mari, mais difficilement la femme. pourra être de bonne foi tant que l'identité de ce premier mari, qu'il a pu n'avoir jamais connu, n'est pas démontrée.]]

droits que lui confèrent son contrat de mariage ou les dispositions qui en tiennent lieu; mais la femme, dont le premier mariage est dissous, ne peut réclamer des droits ouverts depuis cette dissolution et qu'elle aurait pu réclamer si le mariage eût encore existé; ainsi elle ne peut pas obtenir la pension que l'association, à laquelle appartenait le mari putatif, devait payer à sa veuve.

Tout cela est fort clair et fait saisir la portée de la disposition que nous commentons. Tant que le mariage n'est pas annulé, la bonne foi qui protégeait l'époux lors de sa célébration, le protège encore; donc si le mari putatif était décédé avant que cette nullité eût été ainsi constatée, la femme aurait pu réclamer la pension due à la veuve de ce mari. Cette constatation de la nullité résout le contrat, mais ce contrat, vu la bonne foi de l'époux, produit des effets jusqu'au moment de cette résolution; il cesse, cependant, d'en produire pour l'avenir. Ainsi, la femme prend son douaire coutumier, quand il écheoit, sur les biens du mari putatif qui y était sujets lors de la constatation de la nullité, mais non sur ceux que le mari putatif a pu acquérir par la suite. Remarquons, cependant, que dans cette même cause, le juge Casault a décidé que les admissions et reconnaissances libres et formelles et constatées dans un document public, ayant date certaine, des nullités d'un mariage peuvent, sous le code civil, être aussi effectivement opposées au conjoint auparavant putatif dont elles émanent que si la nullité du mariage eût été prononcée.

IV. Preuve de la bonne foi. Qui doit prouver la bonne foi? M. Baudry-Lacantinerie, n° 545, enseigne que c'est à l'époux à faire cette preuve. Actori incumbit probatio. (Voyez, du reste,

l'article 1203).

Tout le monde, dit cet auteur, admet cette solution pour le cas où la bonne foi est basée sur une erreur de droit. Alors la bonne foi est combattue par la présomption Nemo censetur ignorare legem.

Mais, ajoute-t-il, on a prétendu que la bonne foi doit au contraire, être présumée lorsqu'elle est basée sur une erreur de fait. On cite l'article 2202 qui dit que la bonne foi se présume toujours. M. Baudry-Lacantinerie dit qu'il a été victorieusement répondu que les présomptions légales sont de droit étroit et ne peuvent être étendues d'un cas à un autre. Or, la présomption de l'article 2202 est spéciale a la prescription et on ne saurait l'appliquer en matière de mariage.]]

SECTION III.

- DE LA PREUVE DE LA CÉLÉBRATION DU MARIAGE.

La loi reconnaît, quant à la célébration du mariage, [[trois]] modes de preuve, savoir: 1° preuve par l'acte de célébration inscrit sur les registres de l'état civil (art. 159); 2o preuve par les registres ou papiers domestiques et par témoins (art. 51 et 159);

3o preuve par la possession d'état d'enfants légitimes, non contredite par leur acte de naissance et jointe à la possession d'état d'époux de leurs père et mère décédés (art. 162).

Le premier de ces modes de preuve, la preuve par l'acte de célébration, forme la règle ou le droit commun. Les deux autres sont des dérogations à la règle. La première de ces dérogations, la preuve par papiers domestiques ou par témoins, est applicable à toutes personnes. La dernière n'a été introduite qu'en faveur des enfants; elle ne peut être invoquée que par eux.

I. Règle.-Preuve du mariage par l'acte de celebration inscrit sur le registre de l'état civil." Nul ne peut réclamer "le titre d'époux et les effets civils du mariage, s'il ne représente "un acte de célébration, inscrit sur le registre de l'état civil” (art. 159). Si l'on s'attachait littéralement au texte de cette disposition, on dirait, par argument a contrario, que la règle qu'elle établit ne s'applique qu'au cas où c'est l'un des prétendus époux qui affirme l'existence du mariage, et qu'ainsi la preuve peut en être faite par d'autres moyens que par l'acte de célébration, toutes les fois qu'elle est affirmée par toute autre personne que les prétendus époux. Mais cette interprétation littérale ne donnerait point la véritable pensée de la loi la généralité de notre règle ressort, en effet, très clairement de la disposition de l'article 162, aux termes duquel les enfants des prétendus époux ne sont eux-mêmes dispensés de la représentation de l'acte de célébration que par exception et sous certaines conditions (1).

Ainsi, lorsque l'existence d'un mariage est contestée, c'est à celle des parties qui affirme qu'il existe à en faire la preuve; en principe, elle ne peut la faire que par la représentation d'un acte de célébration inscrit sur les registres de l'état civil.

Nulle autre preuve n'est admissible, ni les registres ou papiers domestiques, ni les témoins, ni même l'acte de célébration inscrit sur une feuille volante (a). La loi est, en effet, formelle et

(1) Val., Cours de Code civ., p. 287.

(a) Ce n'est pas à dire qu'on ne puisse, dans ce cas, faire rectifier le registre de l'état civil en y faisant insérer l'acte qui a été indûment inscrit sur une feuille volante. C'est le cas de l'article 77.

exclusive: elle n'admet, comme preuve du mariage, que l'acte de célébration inscrit sur les registres (1).

La possession d'état elle-même, si longue et si constante qu'elle ait été, ne supplée point à l'acte de célébration. La loi a considéré que, si la possession d'état d'époux suffisait pour dispenser celle des parties qui affirme le mariage de représenter l'acte de célébration, le concubinage usurperait trop souvent la place des unions légitimes: car fréquemment il arrive, dans les grandes villes surtout, que deux personnes qui ne sont point mariées se donnent et s'établissent comme mari et femme, vivant publiquement avec le titre d'époux, et avec toutes les apparences propres à justifier ce titre (a).

(1) MM. Dur., t. II, n° 244; Aubry et Rau, t, V, § 452 bis, texte et note 1; Demol., t. I, n° 386; Laurent, t. III, n° 5, p. 11.

MM. Duc., Bonn. et Roust. (art. 194 C. N.), reconnaissent à l'acte inscrit sur une feuille volante la même force probante qu'à l'acte inscrit sur les registres. Cette solution m'a semblé trop directement contraire au texte de la loi pour être admise.

Demante (t. I, p. 382) admet bien que l'acte inscrit sur une feuille volante ne fait point, comme l'acte inscrit sur les registres, prenve complète du mariage; mais il y voit un commencement de preuve par écrit, susceptible de rendre admissible la preuve par témoins, conformément au principe doctrinal de l'art. 1347, et par argument d'analogie des art. 323 et 341. [[Il s'agit ici d'articles du code Napoléon. Nous n'avons pas, dans les mêmes termes, la disposition de l'article 1347; quant aux articles 323 et 341, ce dernier n'existe pas dans notre code. L'article 325 est notre article 232.1]- Ce système m'a également semblé inadmissible. Deux raisons principales me l'ont fait rejeter: 1° La loi a tracé, quant à la preuve de la célébration du mariage, une théorie complète et spéciale, qui doit se suffire à elle-même. Il n'est point permis de l'élargir ou de la restreindre par des arguments d'analogie tirés d'une autre matière; autrement, elle n'aurait plus d'objet, et finirait par se confondre avec le droit commun, Ainsi, il faudrait aller jusqu'à dire, ce que pourtant personne n'admet, que les tiers qui affirment l'existence du mariage peuvent, dans tous les cas, l'établir par témoins: car c'est un principe du droit commun que ceux qui affirment un fait dont ils n'ont pas pu se procurer une preuve écrite, sont toujours admissibles au bénéfice de la pleuve testimoniale.

2° L'inscription de l'acte sur une feuille volante constitue, de la part de l'officier de l'état civil, un délit qui le rend passible de certaines peines (art. 52 C. N., et 192 C. pén.). En conséquence, et afin d'empècher toute collusion, la loi veut que les parties, si elles désirent avoir la preuve de leur mariage, agissent au criminel, conformément à l'art. 198 C. N. Donc, tant qu'il n'est pas intervenu une condamnation criminelle contre l'officier de l'état civil, l'acte qu'il a inscrit sur une feuille volante n'a aucune valeur aux yeux de la loi (MM. Bug. et Val., à leurs cours). [[Il est à peine nécessaire d'ajouter que nous n'avons pas cette législation. L'article 77 fournit un remède beaucoup plus simple.]]

(a) C'est la disposition de l'article 160 qui dit que "la possession 'd'état ne peut dispenser les prétendus époux qui l'invoquent de représenter l'acte de célébration du mariage."

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