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3° Que leur possession d'état ne soit pas contredite par leur acte de naissance. Cette troisième condition est toute négative. On n'exige point d'eux qu'ils représentent un acte de naissance où leur légitimité serait déclarée; il suffit qu'on ne puisse point leur en opposer un où ils sont qualifiés d'enfants naturels ;

4° Que leurs père et mère soient l'un et l'autre décédés. Cette quatrième condition va nous donner l'un des deux motifs sur lesquels repose notre exception. Lorsque le mariage est affirmé par les époux eux-mêmes, la loi a pu, sans injustice, exiger d'eux la représentation de l'acte de célébration de leur martage. Rien ne leur est plus facile que de se procurer l'acte qui prouve cette célébration: rien, par conséquent, ne saurait les dispenser de les représenter.

Sont-ils vivants l'un ou l'autre leurs enfants peuvent se renseigner près d'eux, et apprendre ainsi le lieu où le mariage a été célébré, ce qui les met à même de se procurer, lorsqu'ils sont intéressés à le prouver, l'acte de célébration qui en établit l'existence. Dans ce cas donc, la loi les soumet au droit commun.

Il n'en est plus de même lorsque les époux sont l'un et l'autre décédés leurs enfants peuvent ignorer le lieu, le pays, étranger peut-être, où le mariage a été célébré. Qui pourrait maintenant les renseigner leurs père et mère ? ils n'existent plus! leurs parents? ceux-ci sont le plus souvent intéressés à contester leur légitimité. En présence de cette impossibilité, la loi, venant à leur secours, a organisé pour eux le mode spécial de preuve que nous étudions.

Remarquez que le motif de cette impossibilité ne suffit point à lui seul pour justifier le privilège qu'on leur accorde: car cette impossibilité peut également exister à l'égard des ascendants, et surtout à l'égard des collatéraux des époux, et cependant ces personnes ne sont point dispensées de la représentation de l'acte de célébration. Donc, s'il en est autrement à l'égard des enfants, c'est qu'outre cette impossibilité, il y a encore la faveur due à la légitimité.

Deux questions ont été soulevées :

1o Les époux existent mais ils sont l'un et l'autre absents, ou l'un et l'autre interdits, ou enfin l'un absent, l'autre interdit: leurs enfants peuvent-ils, dans ce cas, invoquer le bénéfice que la loi leur accorde expressément lorsque leurs père et mère sont l'un et l'autre décédés? A ne consulter que la lettre de la loi, la négative serait incontestable. Mais ici son esprit est si évident qu'il faut sans hésiter le faire prévaloir sur son texte.

Nous

l'avons dit: si elle vient au secours des enfants lorsque leurs pères et mère sont décédés, c'est à cause de l'impossibilité où ils sont alors de découvrir le lieu de la célébration du mariage; or, cette impossibilité existe également dans notre hypothèse donc, etc. En prévoyant spécialement l'hypothèse du décès, la loi a simplement statué sur le plerumque fit. - Mais, bien entendu, si l'époux absent revient, ou si l'époux interdit recouvre la raison, la contestation de la légitimité des enfants pourra être utilement renouvelée (1).

2° Lorsque le mariage est affirmé par un enfant et nié par le survivant des prétendus époux, l'article 162 doit-il recevoir son application? Précisons. L'un des prétendus époux est décédé ; un enfant se présente comme un enfant légitime, et réclame, en conséquence, le partage de la communauté qui, selon lui, a existé entre le prétendu époux décédé et le prétendu époux survivant; celui-ci, niant le mariage, soutient qu'il n'y a pas eu de communauté : l'enfant peut-il, dans ce cas, invoquer contre lui le bénéfice de notre exception?

Affirmative. Notre exception a pour fondement l'impossibilité où peuvent se trouver les enfants de se procurer l'acte de célébration du mariage de leurs père et mère. Or, dans l'espèce, cette impossibilité existe: car le survivant des deux époux, qui seul pourrait fournir les indications nécessaires pour découvrir l'acte qui donnerait gain de cause à son enfant, son adversaire, se gardera bien de les fournir, ce serait donner des armes contre lui! Donc..., etc. (2).

Negative. Il ne suffit pas, pour avoir droit au privilège que la loi a établi dans l'intérêt des enfants, qu'ils soient dans l'impossibilité de se procurer l'acte de célébration du mariage de leurs père et mère; il faut encore qu'ils aient la possession d'état d'enfants legitimes. Or, lorsque leur légitimité est contestée par le survivant des prétendus époux, cette contestation fait évanouir le commencement de possession d'état qui antérieurement avait pu se former à leur profit: car on ne peut pas admettre qu'un père ou une mère puisse, dans un sordide intérêt, réduire frauduleusement son enfant à l'état de bâtardise. Donc... etc. (3).

(1) Dem., t. I, no 279 bis, III; Dur., t. II, no 255; MM. Val., sur Proud., t. II, p. 73 (comp. Cours de C. civ., t. I. p. 293 et 294); Bug., à son cours; Bonnier, Traité des preuves, t. I, n° 198; Demol., t. I, n° 396; Laurent, t. III, no 10. — Contrà, MM. Aubry et Rau, t. V, § 452 bis, note 21.

(2) M. Dur., t. II, no 254.

(3) Dem., t. I, p. 388; Marc., sur l'art. 197; MM. Val., sur Proud., t. II, p. 73; Cours de C. civ., t. I, p. 294; Demol,, t. I, no 397; Laurent, t. III, no 9.

Terminons par une observation. La légitimité des enfants ne peut pas, lorsque les quatre conditions que nous venons d'étudier concourent, être contestée, "sous le seul prétexte du défaut de représentation de l'acte de célébration du mariage de leur père..." Donc elle peut l'être pour une autre cause que le défaut de représentation de l'acte de célébration. Ainsi, elle peut être utilement attaquée par le motif que le mariage de leur père est nul pour cause de bigamie, d'inceste ou d'impuberté... En d'autres termes, le concours des quatre conditions énumérées dans notre article supplée à l'acte de célébration et en tient lieu. prouve donc qu'une chose, à savoir que le mariage a été célébré; mais le mariage est-il exempt de toute autre cause de nullité, par exemple, de bigamie ou d'inceste...? C'est une autre question, que notre article ne résout point, et qui, par conséquent, reste entière.

[[On pourra consulter sur l'application de l'article 162 la cause de La compagnie de Prêt et de Dépôt du Canada & Chevalier (16 R. L., p. 222 et M. L. R., 3 Q. B. p. 159), qui ne fait, au reste, qu'affirmer le principe de cet article. Je me dispense d'en citer le sommaire parce que ce n'est que la répétition des termes mêmes de l'article.

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SECTION IV. DE LA COMPÉTENCE EN MATIÈRE DE DEMANDES EN NULLITÉ DE MARIAGE.

Sur cette question de compétence, je ne ferai que poser quelques principes. Je ne tenterai pas des développements, d'abord parce que ces principes sont bien établis et ensuite parce que toute amplification complète dépasserait les bornes d'un ouvrage élémentaire.

I. Devant quel tribunal doit-on porter les demandes en nullité de mariage? — Il n'est aucun doute que, pour juger les demandes intentées en vertu de ce chef, le tribunal compétent ne soit la cour supérieure, qui est le tribunal de première instance où doit s'instruire tout procès qui n'est pas du ressort de la cour de circuit ou de la cour de l'amirauté (art. 28 C. P. C.). Il est clair que ces demandes ne tombent pas dans la juridiction de ces deux cours. Donc elles seront portées devant la cour supérieure, sauf appel. Cet appel pourra aller, au besoin, jusqu'au conseil privé, car il est manifeste que les droits futurs des parties sout en jeu (art. 1178 C. P. C.).

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II. De l'étendue de la compétence du tribunal. Une grave question, c'est celle de savoir si la compétence de la cour supérieure s'étend à toutes les fins de la demande en nullité de

mariage. Ainsi cette cour peut-elle prononcer la nullité du lien matrimonial, ou doit-elle se borner à déclarer que ce mariage ne peut produire des effets civils? La réponse à cette question ne souffre aucun doute en France; sous le code Napoléon, le tribunal séculier y est, de par la loi, tout puissant en la matière.

Heureusement, la question ne peut plus soulever de sérieuses difficultés en cette province. Notre droit matrimonial est basé sur le respect de toutes les croyances. Reconnaissant le caractère religieux et sacramentel du mariage, le législateur a voulu que ce mariage fût célébré suivant les rites observés par chaque église ; il a posé quelques empêchements d'ordre public, et qui du reste sont affirmés par le droit canon, et a laissé tous les autres empêchements, dont il reconnaissait l'existence légale, aux règles de chaque église particulière. (Voir les rapports des codificateurs, t. I, p. 174).

Dans notre droit, en effet, le mariage est un acte essentiellement religieux, personne autre qu'un ministre de la religion n'a le pouvoir de le célébrer, en dehors de l'intervention de l'autorité religieuse, il n'y a pas de mariage.

Lorsque le mariage a été célébré par l'autorité compétente, c'est-à-dire par l'autorité religieuse, le législateur séculier règle les effets civils de ce mariage, la légitimité des enfants, la capacité de la femme, l'obligation des époux de se porter assistance. questions sont de sa compétence exclusive.

Ces

Mais si le législateur reconnaît l'existence d'empêchements qui ne relèvent que des lois de l'Église des parties, il doit pareillement reconnaître la compétence de l'autorité religieuse d'exécuter et d'interpréter ces lois. Du reste, quoi de plus naturel que de confier au pouvoir judiciaire de l'église qui décrète la loi qui peut entraîner la nullité du mariage, le soin de déterminer si cette loi s'applique et si elle peut produire son effet dans les circonstances particulières de chaque cause!

A tout événement, en ce qui concerne le mariage des catholiques, le principe est bien établi dans notre jurisprudence que l'autorité ecclésiastique seule peut prononcer la nullité du lien matrimonial. Ce principe a été affirmé par la cour d'appel, dans la cause de Lussier & Archambault (11 L. C. J., p. 53), et par la cour supérieure dans les causes de Vaillancourt v. Lafontaine (11 L. C. J., p. 305), Bergevin v. Barrette (4 R. L., p. 160) et de Laramée v. Evans (3 Thémis, p. 207; 25 L. C. J., p. 261; 3 L. N., p. 342; 5 L. N., p. 51). L'action est intentée devant la cour supérieure, on y fait la preuve des faits allégués

ensuite la demande est référée à l'Ordinaire du diocèse qui prononce la validité ou l'invalidité du lien matrimonial. Quand ce lien est annulé, le dossier revient à la cour supérieure, et cette cour prononce la nullité du mariage pour les effets civils. Les conclusions, dans la cause de Laramée v. Evans, demandaient que le prétendu mariage fût déclaré nul comme ayant été invalidement, abusivement et clandestinement contracté, et sans effet civil, et qu'après la preuve des faits à faire devant la cour supérieure, la demande fût référée "à l'autorité ecclésiastique catho"lique romaine du diocèse de Montréal, c'est-à-dire à l'Ordinaire " du lieu, pour être sur icelle demande, prononcé sur la valeur ou "le défaut de valeur du prétendu mariage quant au lien, et être "ensuite la sentence du dit Ordinaire rapportée devant cette cour "pour être ultérieurement, par la dite cour, prononcé sur la valeur "du dit prétendu mariage quant à ses effets civils."

Pour les protestants, comme ils admettent la compétence du tribunal séculier à prononcer la nullité du lien matrimonial, il est tout naturel que ce tribunal exerce une autorité qu'on lui reconnaît. Je puis ajouter, quoique la remarque soit probablement superflue, que ce n'est pas là faire une position exceptionnelle aux catholiques, mais c'est tout simplement respecter les croyances et les convictions de chaque église. Chez les catholiques, la doctrine que l'autorité ecclésiastique seule peut prononcer la nullité du sacrement, est enseignée sous peine d'anathème.

La loi civile respecte cette croyance, comme elle respecte la doctrine de ceux qui disent que l'État seul est compétent en la matière. Ce n'est pas de l'intolérance, c'est, au contraire, de la tolérance la plus absolue.

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Remarquons, cependant, qu'il y a un tempérament à cette doctrine. D'Hericourt enseigne que "lorsqu'on traite la question "de la validité du mariage de personnes qui sont décédées, à "l'occasion de leur succession, de leur état ou de celui de leur famille; le lien qu'avait formé le sacrement étant rompu, l'affaire "devient séculière et ne peut être décidée que par le juge laïque." Cela est évident, car, dans ce cas, il ne s'agit que de déclarer que le mariage n'a jamais pu produire des effets civils" (a). III. De la procédure devant l'autorité ecclésiastique. Il importe de dire un mot de la procédure suivie par l'autorité ecclésiastique en ces matières.

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(a) Je n'ai pu faire plus que poser ces principes. Le lecteur trouvera des développements dans le Commentaire sur le code civil de feu le juge Loranger, t. II, pp. 545 et suivantes, dans le jugement du juge Jetté dans la cause de Laramée v. Evans et dans celui du juge Papineau dans la même cause, 3 Thémis, p. 265.

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