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D'après la constitution Dei miseratione de Benoit XIV qui date de 1741, l'Ordinaire choisit parmi les clercs une personne de bonnes mœurs, reconnue pour sa probité et sa science légale dont l'office consiste à soutenir la validité du mariage. A raison de cette fonction, ce clerc est connu sous le nom de défenseur du mariage, defensor matrimonii. Son devoir est d'assister au procès et de soutenir de vive voix et par écrit la validité du mariage. Si le jugement déclare le mariage nul, le défenseur du mariage est tenu d'en appeler au degré suivant de la hiérarchie ecclésiastique, et cela malgré qu'aucune des parties n'ait interjeté appel de la sentence de l'Ordinaire. Sur cet appel qui, en ce pays, se fait de l'Ordinaire au Métropolitain, ce dernier nomme un défenseur du mariage qui soutient la validité de ce mariage devant la cour d'appel. Ce jugement étant confirmé, il est alors libre aux parties de contracter un nouveau mariage, à moins qu'on n'en appelle plus loin. Mais le mariage n'est censé annulé que s'il y a concours de deux jugements prononçant son invalidité. Cependant, s'il y a appel en dernier ressort au Saint Siège, ce dernier jugement fixera le sort du mariage.

Lorsque le premier jugement a déclaré le mariage valide et que ce jugement est infirmé sur appel, il est du devoir du défenseur d'appeler du second jugement. S'il ne le faisait pas, vû la contrariété de jugements, le mariage serait censé valable, car dans le doute præsumptio stat pro valore matrimonii (a).]]

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Le mariage produit de nombreux effets. Je cite les plus importants:

1° Entre les époux, devoirs de fidélité et de secours réciproques, puissance maritale, incapacité de la femme, même habitation pour les époux, même domicile, même nationalité (art. 173 à 184, 83, 23), hypothèque légale de la femme sur les biens de son mari (art. 2029), droit réciproque de successibilité (art. 636);

2° Entre les époux et les enfants, légitimité des enfants issus du mariage (art. 218 et suiv.), légitimation des enfants naturels nés avant le mariage (art. 237), obligation pour les époux d'élever leurs enfants (art. 165), dette alimentaire et réci

(a) Voir sur cette question de procédure, Loranger, t. II, pp. 564 et

suivantes.

proque entre les père et mère et leurs enfants (art. 166 et 168), puissance paternelle (art. 242 et suiv.);

3° Entre les époux et leurs ascendants, cessation de la puissance paternelle, c'est-à-dire émancipation des époux mineurs (art. 314);

4 Entre chacun des époux et les parents de l'autre, alliance; dette alimentaire et réciproque entre les gendres et belles-filles d'une part, et les beaux-pères et belles-mères d'autre part (art. 167); incapacité quant au mariage entre certains alliés (art. 124 et 125).

Notre chapitre, quoique fort général dans les termes de sa rubrique, est tout spécial; il ne contient point, ainsi qu'on pourrait le croire, la théorie générale des effets du mariage. Cette théorie générale n'existe nulle part; les effets du mariage sont expliqués çà et là dans les différents titres du code. Le chapitre que nous étudions n'a trait qu'aux rapports des époux avec leurs ascendants, leurs descendants et quelques-uns de leurs alliés. Ces rapports eux-mêmes ne sont considérés qu'au point de vue de l'obligation dont sont tenus les père et mère de nourrir, entretenir et élever leurs enfants, et de la dette alimentaire entre les ascendants et les descendants, entre les époux et quelques-uns de leurs alliés.

Remarquons même que cette obligation est plutôt, en ce qui touche les rapports des époux avec leurs ascendants et leurs descendants, un effet de la paternité et de la filiation, qu'un effet du mariage. Ce qui le prouve, c'est qu'elle existe entre tous ceux dont la paternité et la filiation sont légalement établies, aussi bien entre les père et mère et leurs enfants naturels qu'entre les époux et leurs enfants légitimes (1).

Obligation pour les époux de nourrir, entretenir et élever leurs enfants.

"Les époux contractent par le seul fait du mariage, l'obliga"tion de nourrir, entretenir et élever leurs enfants (art. 165)." Ils doivent donc, non seulement les nourrir, les loger, soit chez eux, soit chez toute autre personne à laquelle ils les confient, mais encore les mettre en état, par une éducation convenable, de pourvoir eux-mêmes à leur subsistance.

Cette obligation est-elle civile, c'est-à-dire sanctionnée par une (1) Aussi MM. Aubry et Rau en traitent-ils, non dans leur t. V, au titre Du mariage, mais dans leur t. VI, au titre De la filiation.

action, ou purement morale? Suivant l'opinion générale, on résout la question par une distinction.

L'obligation de nourrir et d'entretenir nos enfants est civilement obligatoire : les père et mère qui manquent de l'accomplir peuvent y être contraints.

L'obligation de les élever, c'est-à-dire de les mettre à même de gagner leur subsistance, soit en les faisant instruire dans les arts ou les lettres, soit en leur faisant apprendre un métier, n'est qu'un pur devoir de morale: sa sanction est dans la conscience des pères et mères.

Cette distinction ne me semble point logique. Ce qui est vrai de la nourriture et de l'entretien de l'enfant doit l'être également de son éducation: la loi, en effet, n'établit point deux obligations ayant chacune des caractères particuliers, l'une toute à la fois naturelle et civile, l'autre purement naturelle ou morale: une seule existe, comprenant ensemble la nourriture, l'entretien et l'éducation. Si donc cette obligation est civile quant à l'un de ses termes, elle l'est nécessairement pour tous, puisque la loi ne distingue pas.

Et, d'ailleurs, toute obligation reconnue et consacrée par la loi est, sauf disposition contraire et formelle, civilement obligatoire; et toute obligation civile engendre une action.

L'action née du devoir d'éducation appartient:

:

1o A chacun des époux contre l'autre car, par le fait seul de leur mariage, ils ont contracté ensemble, c'est-à-dire l'un envers l'autre, l'obligation mutuelle de nourrir, entretenir et élever leurs enfants (a). Ainsi, lorsqu'un père, assez riche pour donner à ses enfants une éducation raisonnable, les abandonne ou ne leur fait donner qu'une éducation dérisoire, la mère peut l'appeler devant les tribunaux et exiger de lui, par la voie que la justice détermine, l'accomplissemont de son devoir;

2° Aux enfants eux-mêmes. Mais, comme ils sont mineurs, leur action sera exercée [[par leur tuteur]] (1).

(1) Dem., t. I, p. 405; M. Val., Cours de C. civ., t. I, p. 309; M. Demol., t. II, no 9. Contrà, Marc., sur l'art. 385.

--

(a) L'article 203 du code Napoléon contient ce mot "ensemble" qui est omis par notre code. On pourrait, ce me semble, même en l'absence de ce mot, faire la même argumentation, car si les époux contractent cette obligation, ils la contractent vis-à-vis de tout intéressé. Or, ne pourrait-on pas dire, si l'on adopte le sentiment de Mourlon, que l'autre époux est un intéressé? Il faut remarquer, cependant, que M. Baudry-Lacantinerie, (n° 584), conteste cette solution qui accorde l'action au conjoint.

[[Quant au devoir des père et mère d'elever leurs enfants, c'est-à-dire de les faire instruire, nous trouvons, dans notre jurisprudence, un arrêt rendu dans une cause de Boileau v. Seers (M. L. R., 1 S. C., p. 239), où l'on a jugé que le père est tenu en loi à l'entretien et à l'éducation de son enfant et que ni lui ni ses représentants ne peuvent opposer les dépenses faites pour ces objets en compensation à une dette légitimement due à l'enfant. Dans l'espèce, le représentant du père de l'enfant opposait en compensation, à une créance due à ce dernier, une somme de six cents piastres dépensée par le père pour l'instruction de son enfant au collège et à l'université, où il avait étudié la médecine et obtenu le titre de docteur.

Je rapporterai plus loin, en parlant de la dette alimentaire, les décisions qui s'appliquent plus particulièrement à l'obligation que les époux contractent par le mariage de nourrir et entretenir leurs enfants.]]

De la dette alimentaire.

La dette alimentaire a ceci de particulier qu'elle existe toujours avec réciprocité, en sorte que toute personne qui, à raison de la parenté ou de l'alliance, a droit à des aliments, est elle-même, quand il y a lieu, obligée d'en fournir à son débiteur. D'où l'on peut dire que celui-là doit des aliments qui a le droit d'en exiger (art. 168, 166 et 167 combinés).

Ce principe de réciprocité me paraît toutefois souffrir une exception. Je la signalerai tout à l'heure (voy., p. 485).

I. Entre quelles personnes existe la dette alimentaire. existe :

1° Entre ascendants et descendants;

-

Elle

2o Entre alliés à titre d'ascendants et de descendants (1), à quelque degré que ce soit.

Elle n'existe point entre parents ou alliés collatéraux. Le frère lui-même, si absolue que soit sa misère, ne peut rien exiger de son frère, si riche qu'il soit.

Ainsi, les aliments sont dus:

1° Par les ascendants, père, mère, aieuls ou bisaieuls..., à leurs descendants, fils, petits-fils ou arrière-petits-fils (art. 166 et 168).

La dette alimentaire ne doit pas être confondue avec l'obli

(1) Voy. cependant, ci-dessous, p. 483.

gation de nourrir, entretenir et elever nos enfants. Celle-ci commence à la naissance de l'enfant, et ne cesse que lorsque les père et mère, l'ayant fait homme, l'ont ainsi mis en état, par l'éducation physique ou morale qu'ils lui ont donnée, de gagner lui-même honorablement sa subsistance. Pendant ce temps, ils ont dû le tenir chez eux ou chez toute autre personne à leurs frais, soigner son corps, prendre soin de sa santé, et enfin lui donner ou faire donner une éducation convenable et proportionnée à leur fortune. Ce devoir rempli, alors commence pour eux un devoir d'une autre nature, c'est-à-dire l'obligation, lorsque, par suite de quelque maladie ou de toute autre cause, leur enfant, devenu homme, se trouve dans le besoin et hors d'état de pourvoir à sa subsistance, de lui venir en aide, soit en le recevant chez eux, soit en lui fournissant une pension en argent.

Entre ces deux obligations, la différence est marquée. La première, que j'appellerai devoir d'éducation, a pour objet, non pas une somme d'argent, mais des soins à donner. Les père et mère sont tenus de s'occuper de la personne de leur enfant, tant qu'il n'est point fait homme: ils doivent l'avoir avec eux ou chez une autre personne qui les représente; ils doivent l'élever, en un mot. La seconde, au contraire, a pour objet, non pas des soins, mais simplement une somme d'argent. Lorsqu'en effet les père et mère ont élevé leur enfant, ils ne lui doivent plus que des secours pécuniaires, au cas où quelque maladie ou toute autre cause l'a mis dans l'impossibilité de travailler. Ils ne sont pas tenus alors de l'avoir avec eux, de s'occuper de sa personne, de panser ou de faire panser ses plaies s'il est malade... Dès qu'ils lui payent la somme dont il a besoin pour vivre, ils sont pleinement quittes envers lui.

Cette distinction a son importance doctrinale. Les règles qui régissent ces deux obligations diffèrent, en effet, sous trois rapports:

Première difference. L'obligation que j'ai appelée devoir d'éducation, celle, en un mot, qui a pour objet les soins à donner à la personne, ne comporte point le principe de réciprocité que comporte la dette alimentaire. Ainsi, les enfants doivent à leurs père et mère, quand il y a lieu, des aliments, c'est-à-dire des secours pécuniaires; ils ne leur doivent jamais de soins. Les enfants ne sont, en aucun cas, tenus d'avoir avec eux leurs père et mère et de soigner leur personne.

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Seconde différence. Les alliés ne se doivent point de soins: la dette alimentaire, au contraire, existe à l'égard de quelquesuns d'entre eux.

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