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payer une pension. Enfin, dans la cause de Mulligan v. Patterson (M. L. R., 6 S. C., p. 29), on a jugé que lorsqu'il existe un désaccord et une incompatibilité de caractère entre une bellemère et sa bru, l'offre de la belle-mère de recevoir chez elle la bru ne sera pas acceptée et elle sera condamnée à payer une pension alimentaire.]]

V. De la nature de la dette alimentaire. Quelques personnes ont, dans le principe, soutenu qu'elle était solidaire; d'autres, qu'elle était indivisible. Aujourd'hui, on convient généralement qu'elle n'est:

Ni solidaire: car la solidarité, lorsqu'elle n'est point stipulée par les parties, ne peut avoir lieu qu'en vertu d'une disposition expresse de la loi (art. 1105), et, dans l'espèce, cette disposition expresse de la loi n'existe point.

Ni indivisible; et, en effet, la dette indivisible est celle qui n'est point susceptible d'exécution partielle; or, la dette alimentaire, ayant pour objet une somme d'argent ou des aliments à fournir en nature, peut très bien s'exécuter par partie: rien n'y fait obstacle.

Mais, dira-t-on, l'obligation de faire vivre est de sa nature indivisible, car on ne peut pas faire subsister quelqu'un à demi.

Cet argument n'est qu'un pur jeu de mots. Sans doute, la vie n'est point susceptible de parties: on vit ou l'on meurt, cela est évident. Mais on peut vivre plus ou moins largement, suivant ses ressources. On peut vivre avec 2,000 francs, avec 1,500 francs, avec 500 francs par an. Sous ce rapport, la vie est susceptible de plus ou de moins, et, par conséquent, de parties. Ce qui le prouve, c'est que les aliments ne sont dus qu'en proportion des ressources de celui qui les doit, c'est-à-dire en partie dans certains cas. Ainsi, lorsque le créancier a besoin de 2,000 francs, le débiteur qui n'en peut donner que 1,000 est quitte en payant cette somme, c'est-à-dire en fournissant ce qui est nécessaire pour satisfaire la moitié du besoin du créancier.

Supposons un créancier dont le besoin égale 20, et quatre débiteurs ayant des ressources égales et suffisantes pour payer la dette entière l'un d'eux pourra-t-il (sauf, bien entendu, son recours contre ses codébiteurs) être condamné pour le tout? En admettant l'affirmative, on violerait ouvertement la loi! Chacun des quatre débiteurs ne doit, en effet, les aliments que proportionnellement au besoin du créancier; or, dans l'espèce, ce besoin se trouve, quant à celui des débiteurs qui est actionné, réduit à cinq, puisque le créancier a trois autres créances au moyen desquelles

il peut, en agissant contre les autres débiteurs, obtenir ce qui lui

manque.

En résumé, lorsqu'il existe plusieurs personnes appelées concurremment à fournir des aliments, la dette alimentaire dont chacune d'elles est tenue doit être envisagée séparément, et eu égard à ses facultés comparées à celles du créancier, en ayant soin de comprendre dans la fortune de ce dernier, afin d'appré cier l'étendue de ses besoins, les créances alimentaires qu'il a contre les autres débiteurs. Les parts étant ainsi fixées, il y a alors autant de dettes distinctes et indépendantes qu'il y a de débiteurs (1).

[[Il y a eu, dans notre jurisprudence, quelque incertitude sur cette question de la solidarité de la dette alimentaire. Dans la cause de Lauzon v. Connoissant (5 L. C. J., p. 99), le juge Monk a jugé que les enfants qui sont tenus par la loi de fournir des aliments à leurs parents doivent y être condamnés solidairement et que les parents peuvent s'adresser, à cette fin, à celui de leurs enfants qu'ils jugent à propos. Plus tard, dans la cause de Leblanc v. Leblanc (23 L. C. J., p. 10), le juge Johnson a décidé que la dette alimentaire est divisible et que chaque débiteur doit y contribuer suivant ses moyens. Cependant, encore plus récemment, nous trouvons une décision du juge Mousseau, dans une cause de Valiquette v. Valiquette (M. L. R., 1 S. C., p. 129), jugeant que l'obligation de fournir une pension alimentaire est indivisible et que ceux qui y sont tenus, le doivent conjointement et solidairement ; que, par suite, l'un d'eux, poursuivi seul, a droit d'action contre les autres pour leur faire payer leur quote part; que cette solidarité ne cesse que lorsque ceux qui y sont obligés n'en ont pas les moyens, ce qui est une question de fait et ne peut être invoquée par défense de droit. Enfin, la cour d'appel a décidé, dans une cause de Mainville & Corbeil (33 L. C. J., p. 179), que l'obligation de la part des enfants de payer une pension alimentaire, quoique n'étant pas solidaire suivant l'acception généralement reçue du mot, incombe cependant à ceux des débiteurs poursuivis, sauf le recours de ces derniers contre les autres codébiteurs.

(1) MM. Val., sur Proud., t. I, p 448; Explic. somm., p. 117; Cours de code civil, t. I, p. 319; Demol., t. II, n° 63; Aubry et Rau, t. VI, $553, note 18; Duc., Bonn. et Roust.. t. I, n° 359; Duverg., sur Toull., t. I, n° 613; Laurent, t. III, nos 66 et suiv. Contra, Rodière, Traité de la solid. et de l'indivis, n° 155; Delv., t. I, p. 87; et, à certains égards, Dem., t. I, n° 292 bis, I.

M. Baudry-Lacantinerie, n° 610, se pose une autre question. Le créancier de la pension alimentaire qui a obtenu un jugement en sa faveur peut-il exécuter ce jugement sur tous les biens saisissables du débiteur, ou est-il obligé de lui laisser une quantité suffisante de biens pour le préserver à son tour du besoin? Il décide que le créancier peut tout saisir, sauf, s'il réduit par là son débiteur à l'indigence, le droit de ce dernier de réclamer à sou tour des aliments à ce créancier. Je puis ajouter que, puisque les aliments ne sont accordés que dans la proportion de la fortune de celui qui les doit, le débiteur, en faisant voir quelle est l'étendue de cette fortune, évitera de se faire réduire à l'indigence sur l'exécution du jugement rendu contre lui. Que si les moyens de ce débiteur ont diminué depuis le jugement, il peut toujours adresser au tribunal qui l'a condamné une demande de réduction, et cette demande sera accueillie si la diminution de la fortune du débiteur, à tel point qu'il ne peut plus fournir la pension, est démontrée.]]

La dette alimentaire est-elle héréditaire, c'est-à-dire transmissible activement et passivement aux héritiers? Il faut, pour résoudre cette question, user de distinctions.

La dette alimentaire s'éteint toujours par la mort du créancier. Toutefois, si la créance a été, en son vivant, réglée amiablement ou en justice, ses héritiers ont le droit d'exiger le payement des termes échus et non acquittés pendant sa vie, car il y avait pour le défunt droit acquis. Il ne faut pas, d'ailleurs, que le débiteur profite du retard qu'il a mis à se libérer. J'en dis autant pour le cas où le créancier, ayant formé une demande en pension alimentaire, est mort pendente lite: ses héritiers peuvent continuer le procès et obtenir une somme égale au besoin dans lequel le défunt s'est trouvé depuis sa demande jusqu'au jour de son décès. Décider autrement, ce serait faire bénéficier le défendeur de son injuste résistance.

Lorsque c'est le débiteur qui meurt, sa succession doit évidemment les termes échus et qu'il n'a point acquittés. Mais l'obligation cesse-t-elle pour l'avenir? On distingue. L'obligation alimentaire a sa cause génératrice dans la parenté ou l'alliance; le besoin du créancier n'est que la condition qui la fait naître. Si cette condition se réalise pendant que la cause (la parenté ou l'alliance) existe, c'est-à-dire du vivant du débiteur, l'obligation, étant née dans sa personne, passe à ses héritiers. Que si, au contraire, elle se réalise après que la cause (la parenté ou l'alliance) a cessé par la mort du débiteur, l'obligation ne peut pas naître

dans la personne de ses héritiers: cessante causá cessat effectus. Ainsi, le besoin du créancier est-il antérieur au décès du débiteur : les héritiers de ce dernier doivent y pourvoir tant qu'il dure. Est-il postérieur à cette époque: le créancier ne peut rien exiger (1).

[[Cette question a été discutée dans la cause de Turner & Mulligan, jugée par la cour d'appel, le 29 septembre 1894, et non encore, au moment où j'écris ces lignes, rapportée. En cour supérieure, le juge Davidson avait décidé que lorsque le créancier de la pension alimentaire avait obtenu un jugement contre son débiteur, il pouvait poursuivre les héritiers ou représentants de ce débiteur, au décès de ce dernier, aux fins que ce jugement fût déclaré exécutoire contre ces héritiers ou représentants (voir le rapport de cette cause, R. J. Q., 4 C. S., p. 117).

Ce jugement fut infirmé par la cour d'appel. Considérant, dit le jugement de ce tribunal, que la dette d'aliments a pour cause la parenté. Considérant que le jugement rendu contre le débiteur de la pension alimentaire, n'est que la déclaration judiciaire de la dette que ce débiteur devait et qu'il n'a pas changé la nature de cette dette. En conséquence, la cour d'appel a refusé de déclarer le jugement rendu contre le débiteur exécutoire contre les héritiers de ce dernier.

(1) Voy., en ce sens, MM. Aubry et Rau, t. VI, § 553, p. 100 et note 10.

On peut, contre ce système, faire remarquer que l'art. 762 C. N., [[nous n'avons pas cette disposition,]] qui accorde aux enfants adultérins ou iucestueux une action alimentaire contre la succession de leur père ou de leur mère, ne distingue pas si leur besoin est antérieur ou postérieur à l'ouverture de la succession. La règle qu'il établit est absolue. -- Aussi quelques personnes pensent-elles que l'obligation alimentaire est toujours héréditaire; qu'il n'y a pas à cet égard à distinguer si le créancier était ou non dans le besoin au moment de la mort du débiteur (M. Dur., t. II, no 407).

Dans un troisième système, on soutient, au contraire, qu'elle n'est jamais héréditaire, et qu'ainsi elle cesse alors même que le créancier était déjà dans le besoin au moment de la mort du débiteur. Elle a, en effet, pour fondement la parenté ou l'alliance; or, la parenté et l'alliance sont des qualités essentiellement personnelles, et, par conséquent, non transmissibles aux héritiers. La dette alimentaire suppose, d'ailleurs, la réciprocité; or, cette réciprocité est impossible lorsque le débiteur est décédé il est, en effet, trop évident que ses légataires ne seraient point admis à réclamer, en cas de besoin, des aliments à ses parents (MM. Demol., t. II, nos 40 à 42, et Laurent, t. III, no 48). — La cour de cassation s'est prononcée en ce dernier sens par son arrêt du 8 juillet 1857 (Sir., 57. 1. 809). [[Voyez aussi, dans ce sens, M. Baudry-Lacantinerie, n° 609, qui appuie son sentiment d'arguments d'une grande force.]]

Ce jugement, tant qu'une cour plus élevée n'aura pas rendu une décision contraire, me paraft régler la question. Au demeurant, je le crois, conforme à la doctrine la plus sûre. Il m'autorise suffisamment à rejeter la distinction de Mourlon.]]

CHAPITRE VI. DES DROITS ET DES DEVOIRS RESPECTIFS DES ÉPOUX.

I. Devoirs communs aux époux. "Les époux se doivent mu"tuellement fidélité, secours et assistance" (art. 173).

Du devoir de fidélité. Ce devoir n'est point purement moral; la loi en garantit l'observation par une sanction pénale. — Toutefois, quoiqu'il soit commun aux deux époux, on peut dire qu'il existe avec plus d'énergie pour la femme que pour le mari: car, lorsqu'elle est coupable, elle encourt des peines auxquelles son mari, bien qu'adultère, ne serait point soumis.

Ainsi, 1 l'adultère de la femme, en quelque lieu qu'elle lait commis, autorise son mari à demander contre elle la séparation de corps; l'adultère du mari, au contraire, n'est une cause de séparation de corps que dans le cas où le mari a tenu sa concubine dans la maison commune (voy. art. 187 et 188) (a).

[[Je ne parle que des peines civiles dont l'adultère est puni. Je puis dire, cependant, qu'en France, l'adultère de la femme constitue une offense punie de peine repressives.]]

Si la loi sanctionne plus sévèrement le devoir de la femme que celui du mari, c'est, a-t-on dit, parce que l'infidélité de l'une est plus grave que l'infidélité de l'autre. La faute de la femme est plus grave: 1° parce qu'étant, à raison de son sexe et de nos mœurs, tenue à plus de réserve, elle blesse plus essentiellement, lorsqu'elle s'en écarte, la morale et l'ordre public; 2° parce qu'en manquant à son devoir, elle peut donner le jour à des bâtards, qui, sous la protection de la règle pater is est quem nuptia demonstrant, viendront à l'égal des enfants légitimes, prendre leur place dans la famille du mari.

Du devoir de se donner des secours. Lorsque l'un des époux a une fortune qui lui est propre, tandis que l'autre est pauvre,

(a) Remarquons, cependant, que l'adultère du mari commis en dehors de la maison commune, peut, s'il est accompagné de scandale, constituer une injure grave aux termes de l'art. 189 et justifier à ce titre la séparation de corps.

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