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argument additionnel à ceux donnés par les auteurs, l'article 548 du code de procédure civile, qui n'a pas d'équivalent dans le code français. Cet article porte que lorsque le jugement a pour objet l'accomplissement de quelque acte physique, l'officier chargé de l'exécuter peut employer la force requise pour y parvenir en observant les formalités voulues (13 Q. L. R., p. 53).

Tout dernièrement, dans la cause de Fisher v. Webster (R. J. Q., 6 C. S., p. 25), le juge Pagnuelo a décidé que le mari a une action pour contraindre sa femme d'habiter avec lui et, faute par elle de se conformer à l'ordre de la cour, pour la faire déclarer déchue des droits matrimoniaux stipulés par elle dans son contrat mariage.

Enfin, dans une cause également récente de Lamarche v. Cartier (R. J. Q., 6 C. S., p. 56), la cour de revision a jugé que lorsque le mari et la femme non séparés de corps, sont poursuivis conjointement, il suffit, dans le bref, d'indiquer le domicile du mari, la femme ne pouvant avoir d'autre domicile que celui de son mari.

Il reste quelques arrêts quant à la responsabilité qui incombe au mari pour les dettes contractées par sa femme. Dans la cause de Morkell v. Jackson (14 L. C. R., p. 181), il a été jugé que le mari n'est pas responsable des dettes encourues par sa femme commune en biens quand cette dernière a quitté le domicile conjugal sans cause et tient un établissement séparé d'avec son mari.

Dans une autre cause très récente de Sheridan v Hunter (R. J. Q., 5 C. S., p. 472), le juge Routhier a décidé que la femme, en l'absence d'une séparation de corps en justice, ou de circonstances particulières suffisantes, étant tenue d'habiter avec son mari, ce dernier n'est pas responsable du loyer que sa femme, séparée d'avec lui de fait, s'est engagée de payer pour une maison autre que le domicile conjugal, et que la femme n'est présumée avoir un mandat tacite de son mari pour l'achat des choses nécessaires à la vie qu'autant qu'elle demeure avec lui (a).

Dans la cause de Bonnier v. Bonnier (3 R. L., p. 35), on a tenu le mari responsable de dettes contractées par la femme chez un marchand auquel le mari avait spécialement défendu de faire des avances soit à sa femme soit à sa famille, mais le juge s'est basé sur le fait que le mari et sa famille avaient profité des avances, et que le mari en avait eu connaissance.

(a) Ce jugement a été confirmé par la cour de révision à Montréal le 29 septembre 1894. Le jugement de cette cour n'est pas encore rapporté mais le sera aux R. J. Q., 6 C. S.

Cependant, dans une espèce semblable, Roy v. Granger (11 L. N., p. 18), il a été jugé que le mari n'est pas responsable pour le prix de marchandises vendues à crédit à son épouse lorsqu'il avait formellement défendu au marchand de lui faire des avances, et qu'il est admis que le mari a toujours fourni à sa famille tout ce dont elle a besoin et que sa femme fait des dépenses extravagantes. Dans une autre cause, celle de D'Orsonnens v. Christin (7 L. N., p. 338), le mari a été condamné à payer le compte du médecin dont les services avaient été requis par sa femme séparée de biens. Tout cela, au fond, est une question d'agence, et dans une cause anglaise de Debenham & Mellon (6 App. Cas., p. 24), la chambre des lords a jugé que l'agence de la femme, quand le mari ne lui a pas, par aucun acte, conféré cette qualité, est une question de fait qui doit être appréciée suivant les circonstances de la cause.]]

III. Incapacité de la femme mariée;-Autorisation maritale. Nous étudierons sur cette matière :

1o Le fondement de l'incapacité de la femme;

2o Les cas dans lesquels la femme est incapable d'agir sans autorisation;

3o Les cas dans lesquels l'autorisation de justice peut et doit suppléer l'autorisation du mari;

4 Les cas dans lesquels l'autorisation du mari ne peut pas être suppléée par l'autorisation de justice;

5o Les cas dans lesquels l'autorisation du mari ou de justice n'est pas requise;

6° Quand et comment se donne l'autorisation du mari ;

7° Les formes de l'autorisation de justice;

8° Les effets de l'autorisation maritale ou de justice;

9° Enfin, les effets du défaut d'autorisation.

§ I. Du fondement de l'incapacité de la femme mariée.

La femme, dès le moment même de la célébration de son inariage et tant qu'il dure est, en principe, incapable de faire seule, c'est-à-dire sans l'autorisation de son mari ou de justice, les actes de la vie civile (a).

Quelle est la cause de cette incapacité ?

Est-ce la légèreté, l'inexpérience et la faiblesse de la femme? Faut-il dire qu'elle est incapable propter fragilitatem se.rús, comme l'est le mineur propter fragilitatem ætatis ?

(a) Il y a, cependant, une exception quant aux actes d'administration faits par la femme séparée de biens.

Non, peut-on répondre, et cela pour trois raisons:

1o Les filles et les veuves majeures sont jugées avoir assez d'expérience et de maturité d'esprit pour gérer sagement leur personne et leur fortune: la loi leur reconnaît une pleine et entière capacité; or, le mariage n'altère en aucune façon cette capacité naturelle.

2 Si la loi plaçait les femmes sur la même ligne que les mineurs, si elle les tenait pour inexpérimentées et inhabiles à la gestion de leurs propres affaires, elle ne leur confierait assurément pas, ainsi qu'elle le fait, la tutelle de leurs enfants, et même celle de leur mari quand il est interdit (art. 282 et 342).

3° Lorsqu'une personne est frappée d'une incapacité naturelle, le protecteur que la loi place près d'elle pour la guider et pour l'empêcher de faire des actes préjudiciables à ses intérêts, ne peut point l'autoriser dans un contrat qui intervient entre elle et lui: l'autorisation qu'il lui donnerait dans ce cas n'effacerait point son incapacité: car, intéressé qu'il est dans l'acte qu'il s'agit de fa re, il n'est point propre à la conseiller, à l'éclairer. Ainsi, par exemple, un curateur n'aurait point qualité pour autoriser le mineur émancipé à contracter avec lui: nemo potest esse auctor in rem suam. Cette règle ne reçoit pas d'application dans les rapports entre mari et femme. Alors même que la femme contracte avec son mari, c'est son mari qui l'autorise (1). Or, s'il peut en l'autorisant l'habiliter à contracter avec lui, n'est-ce point parce que la loi la juge capable de se protéger elle-même ? On conçoit, en effet, que, si elle était, de même qu'un mineur, naturellement incapable de défendre ses intérêts, on ne confierait point à son mari le soin de l'autoriser dans l'affaire où il a un intérêt contraire au sien.

Faut-il, par ces motifs, conclure que l'incapacité de la femme n'a d'autre fondement que la puissance maritale, c'est-à-dire l'obligation d'obéissance dont la femme est tenue envers son mari?

Cela ne se peut pas, dira-t-on encore, et pour trois raisons:

1° Si l'incapacité de la femme n'avait été organisée que dans l'intérêt du mari, comme moyen de rendre son autorité plus réelle et plus efficace, le droit de faire annuler les actes que sa femme a passés sans aucune autorisation n'appartiendrait qu'à

(1) Si le mari était incapable d'autoriser sa femme quand elle contracte avec lui, la loi eût compris cette hypothèse parmi les cas dans lesquels elle exige que l'autorisation du mari soit remplacée par celle de la justice; or, c'est ce qu'elle n'a point fait (voy. les art. 178 et 186).

lui seul; or, ce droit, la loi le confère, non seulement au mari dont la puissance n'a pas été respectée, mais encore à [[tous ceux, la femme comprise, qui ont un intérêt né et actuel à la nullité de l'acte (art. 183).]]

Cette faculté qu'a la femme d'obtenir l'annulation des actes qu'elle a faits à l'insu et contre le gré de son mari suppose nécessairement qu'en la frappant d'incapacité, la loi ne s'est pas exclusivement préoccupée de l'intérêt du mari: car, si elle n'avait pas entendu protéger la femme elle-même et sauvegarder sa propre fortune, dans quel but lui aurait-elle accordé le droit de faire annuler les actes qu'elle a faits sans autorisation?

2o Le mari, quoique mineur, est investi de la puissance maritale. Si donc l'incapacité de la femme n'avait d'autre fondement que l'obéissance qu'elle doit à son mari, celui-ci, quoique mineur, devrait pouvoir l'autoriser lui-même : car, tout jeune qu'il est, dès qu'il a le titre d'époux, il a par là même l'aptitude nécessaire pour recevoir de sa femme les marques de soumission auxquelles il a droit. C'est, en effet, ce qu'on décidait dans notre ancienne jurisprudence, où l'incapacité de la femme n'existait que comme une marque de l'obéissance que la femme doit à son mari (1). Or, le code [[Napoléon]] a suivi un autre système: lorsque le mari est mineur, ce n'est plus à lui que la loi confie le soin d'apprécier l'acte que veut faire sa femme, et de l'autoriser ou de l'empêcher suivant qu'il le juge ou non convenable; ce soin, la loi le confie à la justice (art. 224 C. N). La loi se préoccupe donc des intérêts pécuniaires de la femme, puisqu'elle charge la justice de les sauvegarder lorsque le mari, à cause de sa jeunesse et de son inexpérience, se trouve incapable de les bien défendre (a)!

3° Lorsque le mari est frappé d'une peine afflictive ou infamante, la loi le déclare indigne de la puissance maritale: elle lui retire son autorisation (art. 221 C. N.). Si ce droit d'autorisation n'était qu'une conséquence de la puissance maritale, la femme devrait, par la cessation même de cette puissance, cesser d'être incapable. Ce n'est pas pourtant ce que fait la loi [[en France.]] Elle ne veut pas que la femme puisse, même dans ce cas, agir seule à défaut de son mari, elle doit, chaque fois qu'elle veut

(1) Pothier, Traité de la puissance du mari, no 29.

(a) Je ferai remarquer que cet argument est inapplicable dans notre droit, où le mari mineur possède, comme sous l'ancien droit, les mêmes droits que le mari majeur (art. 182). Je ne laisse ce passage que pour ne pas tronquer l'argumentation de Mourlon. Du reste, sur une question de l'importance capitale de celle qui est discutée dans le texte, il importe de comparer les deux systèmes de jurisprudence. J'indiquerai plus loin la raison de notre loi telle que conçue.

faire un acte qui intéresse sa fortune, prendre préalablement l'autorisation de la justice. Or, si l'incapacité de la femme survit à l'extinction de la puissance maritale, n'est-ce point parce que cette incapacité n'a pas sa source unique en cette puissance (a)?

Que décider en présence de ces arguments pour et contre? Je crois, quant à moi, que les rédacteurs du code ont entendu établir un système mixte. Voici, si je ne me trompe, quelle a été leur pensée. L'incapacité de la femme a pour fondement :

1 L'obligation d'obéissance dont elle est tenue envers son mari. La puissance maritale, c'est-à-dire le droit de discipline intérieure et de gouvernement domestique qu'on accorde au mari, ne serait qu'un vain mot, si, à son insu et même contre son gré, la femme pouvait légitimement se mettre en relation d'affaires avec autrui, et disposer ainsi de sa fortune selon son bon plaisir. Voilà l'idée principale, fondamentale.

2° La faiblesse et l'inexperience naturelles de la femme. C'est l'idée accessoire.

La femme majeure qui ne se marie point estime elle-même qu'elle est assez forte, assez expérimentée, pour se passer d'un protecteur de là la liberté dont elle jouit de gérer sa fortune. comme elle l'entend.

Celle, au contraire, qui se marie, cherche une protection dans le mariage, un guide dans l'époux qu'elle se donne. Elle marque par là même qu'elle ne se sent ni assez forte ni assez expérimentée pour se charger seule du maniement de ses affaires. De là l'incapacité qui la protège contre elle-même (b).

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Les travaux préparatoires du code me donnent la confirmation de ce système. "Il est constant, disait M. Favard au Tribunat, que la loi a déclaré la femme incapable de s'engager, afin de la garantir de sa FAIBLESSE et sauver sa fortune." Pothier, disait encore M. Mouricault, soutient que l'incapacité de la femme est établie, non point dans son intérêt, mais comme une déférence due à son mari; mais cet assujettissement n'a-t-il donc pas AUSSI pour objet de donner un guide à l'inexpérience de la femme, de lui donner un protecteur contre la surprise?"

Je dis donc, avec M. Mouricault: L'incapacité de la femme repose principalement sur l'obéissance que la femme doit à son

(a) Nous n'avons pas une disposition de ce genre dans notre droit. Au contraire, aux termes de l'article 36, le mariage étant dissous pour les effets civils par la mort civile du mari, la femme peut exercer les droits et actions auxquels la mort naturelle de son mari donnerait lieu.

(b) Cette raison me paraît peu satisfaisante.

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