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mari, et subsidiairement sur sa faiblesse et son inexpérience. La loi l'a organisée, non seulement dans l'intérêt du mari, mais encore dans l'intérêt particulier de la femme. D'où je tire cette conséquence lorsque le mari donne, après coup, son consentement à l'acte que sa femme a fait sans autorisation, cette ratification postérieure laisse subsister l'action en nullité qui compète à la femme (1). Je reviendrai sur ce point (a).

[[J'ai reproduit cette dissertation parce qu'elle rend bien compte d'un système qui diffère essentiellement du nôtre. Je pense que l'idée qui domine dans notre droit sur cette question et qui a motivé les dispositions que nous étudions, c'est la dépendance de la femme et l'obéissance qu'elle doit à son mari. Il se peut qu'accessoirement on ait voulu tenir compte de la faiblesse de la femme, mais cette considération n'a pas dû peser d'un grand poids, car la femme, dès la mort de son mari, recouvre sa capacité, sans qu'on puisse dire que sa faiblesse soit diminuée. Donc la seule chose qui justifie et explique les incapacités dont souffre la femme mariée, c'est l'obéissance qu'elle doit à son mari. Mais, dira-t-on, pourquoi ne point limiter, dans ce cas, au mari seul, le droit de se plaindre de l'acte que sa femme a fait sans son autorisation, puisque cette incapacité est dictée uniquement à cause de l'obéissance que sa femme lui doit? La réponse à cette objection est facile. Le motif qui a déterminé le législateur à frapper de nullité les actes faits par la femme, sans l'autorisation de son mari, est un motif d'ordre public, car il n'est pas permis au mari de renoncer à la puissance maritale, pas plus qu'il ne peut abandonner la puissance paternelle. Donc, la nullité étant d'ordre public est par là-même absolue, et peut être opposée par tous ceux qui y ont un intérêt, qui, dit l'article 183, doit être né et actuel. Ainsi, tout s'harmonise dans notre droit et il n'est pas difficile de trouver la pensée du législateur lorsque cette pensée a dicté d'une manière non équivoque, toutes les dispositions de ce chapitre.]]

(1) Val., Explic. somm., p. 119; Cours de C. civ., t. I, p. 329 et suiv. Comp. Oudot, Du droit de famille, p. 68 et suiv.; MM. Aubry et Rau, t. V, § 472, p. 138, note 5; Dem., t. II, nos 113 et suiv.; Laurent, t. III, n° 95.

(a) Je laisse encore ce passage dans le texte. Mais disons immédiatement que la nullité en notre droit est radicale et que la ratification du mari est sans effet vis-à-vis de lui ou des autres.

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Des cas dans lesquels la femme est incapable d'agir sans autorisation.

L'incapacité de la femme est double: sans autorisation elle ne peut faire valablement ni des actes extrajudiciaires ni des actes judiciaires. [[Si, cependant, elle est séparée de biens, certains pouvoirs lui sont accordés relativement à l'administration de ses biens.]]

I. De l'incapacité de la femme en matière d'actes extrajudiciaires. -[[L'incapacité de la femme en général est énoncée aux articles 176 et 177 qui se lisent comme suit:

176.-"La femme ne peut ester en jugement sans l'autori"sation ou l'assistance de son mari, quand même elle serait non commune ou marchande publique. Celle qui est séparée de "biens ne le peut faire non plus si ce n'est dans le cas où il "s'agit de simple administration."

177.—“ La femme, même non commune, ne peut donner ou "accepter, aliéner ou disposer entre-vifs, ni autrement contracter, "ni s'obliger, sans le concours du mari dans l'acte, ou son consen"tement par écrit, sauf les dispositions contenues dans l'acte de "la 25 Vic., chap. 66.

"Si cependant elle est séparée de biens, elle peut faire seule "tous les actes et contrats qui concernent l'administration de ses "biens."

La différence qu'il y a entre ces articles et les articles correspondants du code Napoléon, c'est, outre la référence au statut 25 Vic., ch. 66, l'omission des mots "celle qui est séparée de biens" et suivants dans l'article 176 et du second alinéa de l'article 177, et l'insertion, dans les articles 215 et 217 du code Napoléon, des mots "ou séparée de biens" après les mots "marchande publique" dans l'article 176 et "non commune " dans l'article 177. De plus, l'article 216 du code Napoléon dit que l'autorisation du mari n'est pas nécessaire lorsque la femme est poursuivie en matière criminelle ou de police. Cette autorisation n'est pas non plus requise dans notre droit, mais les commissaires n'avaient pas besoin de le dire dans un code civil. Ajoutons, pour compléter cette observation, que nos codificateurs ont inséré dans l'article 177 les mots "ni autrement contracter, ni s'obliger" qui, il est vrai, manquent dans l'article 217 du code Napoléon, - lequel ne mentionne que la donation, l'aliénation, l'hypothèque, et l'acquisition, mais que la doctrine a supplées. Remarquons, en

outre, que les auteurs de notre code ont également trouvé dans la doctrine française l'exception qui permet à la femme séparée de biens d'administrer ses biens sans autorisation.

Etablissons maintenant l'incapacité de la femme en matière d'actes extrajudiciaires.]]

La femme mariée ne peut point:

1° DONNER, c'est-à-dire procurer ou s'engager à procurer à quelqu'un un avantage pécuniaire, sans équivalent pécuniaire en

retour.

2o ALIENER, soit à titre gratuit, soit à titre onéreux.

Aliener, c'est rem suam alienam facere; c'est transférer à quelqu'un la propriété d'une chose dont on est propriétaire.

Aliéner à titre onéreux, c'est transférer la propriété de sa chose en échange d'un équivalent pécuniaire qu'on reçoit en retour. Ainsi, la vente est une aliénation à titre onéreux : car le vendeur reçoit, en échange de la propriété qu'il transfère, le prix qu'on lui paie, ou la créance du prix, lorsque l'acheteur ne le paye pas immédiatement.

Aliéner à titre gratuit, c'est donner. Ainsi, la donation est une aliénation à titre gratuit: car le donateur ne reçoit en échange du droit qu'il transfère qu'un équivalent purement moral, la reconnaissance du donataire, ou la satisfaction d'avoir contribué à son bonheur.

3° HYPOTHEQUER, c'est-à-dire établir sur un immeuble un droit réel en vertu duquel le créancier qui le reçoit peut, d'une part, se faire payer sur le prix de cet immeuble par préférence aux autres créanciers, et, d'autre part, quand le débiteur l'aliène, le saisir entre les mains du tiers acquéreur.

4° ACQUÉRIR À TITRE ONÉREUX OU À TITRE GRATUIT.

Acquérir à titre onéreux, c'est recevoir un avantage pécuniaire en échange d'un équivalent de même nature qu'on procure ou qu'on s'engage à procurer à une autre personne.

Acquérir à titre gratuit, c'est recevoir sans donner.

Ainsi, l'acheteur acquiert à titre onéreux; le donataire, à titre gratuit.

La femme qui n'est point autorisée ne peut acquérir ni à titre onéreux, parce qu'en acquérant à ce titre elle donne quelque chose en retour; ni à titre gratuit, parce que les bonnes mœurs sont intéressées à ce qu'un mari connaisse la cause des libéralités qu'on veut faire à sa femme.

Voici donc le principe posé: la femme ne peut ni aliener ni s'obliger sans l'autorisation de son mari ou de justice (a).

Une exception est apportée au principe (b); précisons-la.

La femme SÉPARÉE DE BIENS a la libre administration de sa fortune. Ce pouvoir d'administrer lui confère, non pas la liberté absolue de faire toutes sortes d'actes, mais simplement la faculté d'aliéner son mobilier et de s'obliger, dans la sphère de l'administration qui lui est confiée. Donc tout acte, obligation ou aliénation, qui dépasse les limites d'un acte de large administration est en dehors de sa capacité, et, par conséquent, nul: car, lorsqu'on n'est plus dans les termes de l'exception, on reste dans la règle.

Ainsi, quoique séparée de biens, la femme ne peut point, sans autorisation, contracter valablement des obligations étrangères à l'administration de ses biens: ceux avec lesquels elle a traité n'ont action ni sur ses immeubles, ni même sur ses meubles (1).

Quand, au contraire, elle s'est valablement obligée, c'est-à-dire quand l'engagement qu'elle a pris a la nature et les caractères d'un acte d'administration; si, par exemple, elle a fait un marché avec un ouvrier pour la réparation de quelqu'un de ses biens, l'exécution de cette obligation peut être poursuivie sur ses meubles. Peut-elle l'être également sur ses immeubles ?

L'affirmative est généralement admise. La femme séparée qui fait des actes d'administration s'oblige valablement de la manière la plus complète, aussi énergiquement qu'elle s'obligerait avec l'autorisation de son mari, et, par conséquent, sur tous ses biens, c'est-à-dire tant sur ses immeubles que sur ses meubles, conformément au principe de l'article 1980 (2).

Résumons. La femme qui n'est point autorisée ne peut ni faire ni recevoir une donation, ni aliéner ni acquérir à titre onéreux, et, par conséquent, ni acheter, ni vendre, ni échanger; elle

(1) Dem., t. I, p. 423; Val., sur Proud., t. I, p. 463; Cours de C. civ., p. 335; MM. Demol., t. II, nos 163 et suiv.; Laurent, t. III. n° 97.

(2) Dur., t. II, n° 492; Dem., t. I, p. 423; Val., sur Proud., t. I, p. 465; M. Demol., t. I, n° 161. Voy. aussi mon Examen crit. du commentaire de M. Troplong sur les priv., t. I, no 6.

(a) Notre article dit que la femme ne peut donner ou accepter, aliéner ou disposer entre-vifs, ni autrement contracter, ni s'obliger. Il ne parle pas de la réception des créances, ou du paiement des dettes, mais ces actes sont évidemment compris dans sa disposition qui est aussi formelle que compréhensive.

(b) Cette exception, ainsi que nous l'avons vu, est consacrée par un texte formel dans notre droit.

ne peut ni s'obliger, ni hypothéquer, ni accepter une succession...; en un mot, elle est incapable de faire un acte susceptible de produire un effet de droit pour ou contre elle. Telle est la règle.

A ne consulter que les termes de notre article 177, cette règle serait indépendante du régime sous lequel la femme est mariée. Il n'en est rien pourtant. L'incapacité de la femme existe, il est vrai, sous tous les régimes, mais plus ou moins complète, suivant le régime qu'elle a stipulé. Il faut à cet égard faire une distinction:

Si la femme ne s'est point réservé le droit d'administrer ses biens en tout ou en partie, elle ne peut rien, son incapacité est absolue: elle s'applique aussi bien aux actes de simple administration qu'aux actes de disposition.

Que si, au contraire, elle a conservé, d'après ses conventions matrimoniales, l'administration de ses biens, en tout ou en partie, ce qui a lieu notamment sous le régime de la séparation de biens (art. 1422), son incapacité n'est plus que relative à certains actes incapable de tout acte de disposition, elle peut faire tout acte d'administration.

Sous quelque régime qu'elle soit mariée, la femme ne peut point faire le commerce sans l'autorisation de son mari. Mais, lorsqu'elle est autorisée à faire un négoce, elle peut, sans qu'elle ait besoin d'aucune autorisation, faire tous les actes qui s'y rapportent.

[[En effet, l'article 179 dit que "la femme, si elle est mar“chande publique, peut, sans l'autorisation de son mari, s'obliger pour ce qui concerne son négoce, et cn ce cas, elle oblige aussi son son mari, s'il y a communauté entre eux.

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"Elle ne peut être marchande publique sans cette autorisation "expresse ou présumée."

Ces dispositions qui permettent à la femme de faire, sans autorisation, des actes d'administration, lorsqu'elle est séparée de biens, ou des actes de commerce, lorsqu'elle est marchande publique, de l'autorisation expresse ou présumée de son mari, sont des exceptions à la règle qu'énonce l'article 177. Il y a d'autres cas où cette règle ne s'applique pas. Ainsi, la femme peut, sans autorisation: 1° donner ou refuser son consentement au mariage de ses enfants mineurs; 2° accepter des donations offertes à ses enfants mineurs (art. 303); 3° reconnaître un enfant naturel (M. Baudry-Lacantinerie (n° 632). Il suffit, pour le moment, d'indiquer sommairement ces cas qui font voir quelle est l'étendue de notre règle. Il en sera question dans le § 5 infra.

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