Images de page
PDF
ePub

Avant de rapporter la jurisprudence se rattachant à l'article 177, qui énonce l'incapacité de la femme à contracter, je dois expliquer la référence au statut 25 Vict., ch. 66. Ce statut autorise la femme mariée, a déposer, sans l'autorisation de son mari, de l'argent dans La banque de la cité et du district de Montréal et à l'en retirer. Depuis la passation de cette loi, ce privilège a été étendu à d'autres banques.

Notre jurisprudence contient plusieurs arrêts sur ce sujet, mais je ne citerai pas ceux qui ne font qu'affirmer le principe de l'article 177. Dans la cause de Benjamin v. Clarke (3 L. C. J., p. 121), on a refusé de maintenir une action intentée contre une femme qui avait acheté des marchandises sans l'autorisation de son mari. Cependant, dans une autre cause, celle de Cholet v. Duplessis (12 L. C. R., p. 303), le juge Badgley a affirmé la validité d'un billet à ordre donné par la femme séparée de biens sans l'autorisation expresse de son mari, pour des provisions et effets nécessaires à la vie, ce billet étant endossé par le mari. A l'inverse, dans la cause de Danziger & Ritchie (8 L. C. J., p. 103), la cour d'appel a décidé que la femme qui achète des effets non nécessaires à la vie sans l'autorisation de son mari, ne peut être tenue responsable de cet achat. On a également jugé dans cette cause, comme dans la cause de Leblanc v. Rollin (M. C. R., p. 68), que le billet à ordre signé par la femme sans l'autorisation de son mari est nul, mais, dans la dernière cause, tout en affirmant la nullité d'un semblable billet vis-à-vis de la femme, on en a admis la validité à l'égard des endosseurs (a). Dans la cause de

Geddes v. O'Reilly (6 L. N., p. 92), le juge Torrance a décidé qu'une femme séparée quant aux biens ne peut s'engager sans l'autorisation de son mari à payer à un agent d'immeubles une commission pour la vente d'une de ses propriétés. Dans la cause de Hart & Joseph (M. L. R., 6 Q. B., p. 301), la cour d'appel jugé que la réduction dans le taux des intérêt dus sur une créance hypothécaire n'est pas un acte d'administration mais une véritable donation; ainsi une semblable réduction faite par une femme séparée de biens, sans l'autorisation de son mari, est nulle.

La cour d'appel a jugé dans la cause de Jodoin & La banque d'Hochelaga (R. J. Q., 3 B. R., p. 36), que l'acquiescement d'une femme non spécialement autorisée à cet effet, à ce que la banque s'approprie des actions à elle appartenant, en paiement de sa dette,

(a) Voyez, quant à la responsabilité de l'endosseur, l'article 55 de l'Acte des lettres de change, 1890.

est nul, un pareil acquiescement requérant l'autorisation spéciale du mari. Enfin, dans une cause toute récente, Dawson v. Bedard et al. (R. J. Q., 6 C. S., p. 48), la cour de revision, infirmant le jugement de la cour supérieure, a jugé que lorsqu'une femme mariée, marchande publique, est représentée pour les fius de son commerce, par son mari, et que ce dernier à endossé un billet au nom de sa femme, le fait que le mari endossé ce billet comporte suffisamment l'autorisation maritale pour valider l'endossement; que lorsque cet endossement dépassait les pouvoirs que la femme avait donnés à son mari et que la femme l'a subséquemment ratifié, une nouvelle autorisation maritale n'est pas requise pour rendre cette ratification valable, vu que l'autorisation nécessaire existait déjà par l'endossement et que la ratification rétroagit jusqu'au jour du contrat; que le consentement donné après coup par le mandant à un acte non autorisé de son mandataire, est censé, en loi, avoir été donné avant l'acte et le valide à tous égards. Ce jugement a été infirmé par la cour d'appel le 27 décembre 1894. Le jugement de ce tribunal confirme le jugement de la cour supérieure et infirme celui de la cour de revision. Il porte plutôt sur le fait que sur le droit. La femme, sur demande d'un de ses créanciers, avait fait cession de ses biens et avait porté, dans son bilan, la créance de Dawson. La cour de revision avait vu là une ratification de l'endossement fait en son nom par son mari. Cette ratification elle la croyait autorisée par le fait que le mari avait endossé le billet en question au nom de sa femme. La cour d'appel, au contraire, n'a pas voulu donner à cet endossement du mari une portée aussi considérable. Au moment de la préparation du bilan de la femme, le prometteur du billet avait fait faillite, et il n'était pas à présumer que le mari voulait, dans ces circonstances, autoriser la ratification de sa femme. D'ailleurs, l'identité de la créance portée au bilan n'était pas démontrée, et le mari n'était pas partie à la demande de cession de biens dirigée contre sa femme; ainsi, toute procédure faite par la femme, dans cette cession de biens, était nulle (a).

Quant à la preuve et au mode de l'autorisation, on a décidé, dans la cause de Métrissé & Brault (10 L. C. R., p. 157), qu'il

(a) Voir, comme affirmant le principe de l'article 177, les causes de Rouville & The Commercial Bank (1 R. de L., p. 406), de Brown v. Guy (4 L. N., p. 261; on y a jugé que la femme peut acheter des objets de nécessité pour la vie sans l'autorisation de son mari) et de The Oshawa Cabinet Co. v. Washburn (6 L. N., p. 23; on y a décidé que la femine ne peut, sans l'autorisation maritale acheter des meubles de ménage).

y a autorisation suffisante du mari quand la femme se déclare "dûment assistée et d'abondant autorisée" sans dire par qui, le mari comparaissant à l'acte pour déclarer qu'il ne sait signer, après lecture faite. La cour d'appel a également jugé, dans la cause de Crevier & Rocheleau (16 L. C. R., p. 328), qu'un contrat par une femme mariée sans autorisation par le mari donnée par l'acte même contenant le contrat n'est pas valable. Mais évidemment, le consentement par écrit du mari donné antérieurement au contrat, suffirait aux termes de l'article 177. Dans une autre cause, celle des Commissaires d'école de Sorel v. Crebassa (9 L. C. J., p. 23), la cour de revision a jugé que le dire du shérif, dans son rapport du bref de terris, que la femme séparée de biens devenue adjudicataire était autorisée par son mari, alors présent, n'est point suffisant, sans la production d'une autorisation écrite et précise. Enfin, dans la cause de Johnston v. Scott (3 L. N., p. 171), on a jugé que le fait par le mari d'endosser un billet à ordre signé par sa femme constitue de sa part une autorisation suffisante.]] (a)

II. Des actes judiciaires.

La femme ne peut point, sans autorisation, ester en justice (stare in judicio), c'est-à-dire plaider, figurer comme partie dans un procès.

La règle est générale. Elle s'applique :

1° Sous quelque régime que la femme soit mariée, [[sauf, comme le dit l'article 176, que la femme séparée de biens peut ester en justice quand il s'agit de simple administration. Cette exception tirée de l'ancien droit français n'existe pas en France.]]

2° A toute espèce de différends.

3o Alors même que la femme plaide contre son mari. Ainsi, lorsqu'elle forme une demande contre lui, elle ne peut le faire qu'en vertu de son autorisation, ou de celle de la justice. — Toutefois, lorsqu'elle veut former une demande en séparation de corps ou de biens, elle peut, sans aucune autorisation, présenter la requête qui doit précéder sa demande; quant à la demande ellemême, elle la forme, non point avec l'autorisation de son mari, mais avec l'autorisation du tribunal (b).

(a) Voir sur cette question de l'autorisation maritale et de la forme dans laquelle elle doit se donner, un arrêt de la cour de cassation du 26 juillet 1871, Sirey, 1871. 1. 65, et surtout l'importante note qui l'accompagne.

(b) Dans notre pratique, elle demandera cette autorisation par les conclusions de sa requête. Voir, au reste, les art. 972, 986 C. P. C.

[[On décide, en France, que lorsque le mari poursuit sa femme, cette dernière doit être tenue pour autorisée tacitement, par cela seul que son mari l'attaque. Si, au contraire, c'est elle qui actionne son mari, elle sera encore considérée comme autorisée tacitement si son mari accepte le débat et conclut sur le fond. En ce sens, cass. 18 mars 1878, Dalloz 78. 1. 201, Sirey 78. 1. 193 (M. Baudry-Lacantinerie, n° 627).]]

4° Quelque rôle qu'elle ait dans l'instance, c'est-à-dire soit qu'elle agisse comme demanderesse, soit qu'elle agisse comme defenderesse.

Sous ce dernier rapport cependant une exception a été admise : l'autorisation n'est point nécessaire lorsque la femme est défenderesse en matière criminelle, correctionnelle ou de police.

Quel est le motif de cette exception ?

La défense, a-t-on dit, est de droit naturel, rien ne doit l'entraver.

Mais la défense n'est-elle pas aussi de droit naturel en matière civile ?

Le mari, a-t-on dit encore, ne peut point, par son refus d'autorisation, empêcher l'action de la société qui poursuit la réparation d'une infraction aux lois.

Mais le mari peut-il donc, en matière purement civile, empêcher, par son refus, l'exercice des actions civiles auxquelles sa femme est soumise ?

Voici, si je ne me trompe, la véritable pensée de la loi.

En matière civile, le mari et la justice peuvent, dans certains cas, refuser justement, utilement, l'autorisation que sollicite la femme de plaider comme défenderesse: car il se peut que sa défense soit le résultat d'un entêtement ridicule et injuste. Ce refus d'autorisation amènera contre elle une condamnation par défaut, car la femme défenderesse sans autorisation est réputée défaillante; mais cela ne vaut-il pas mieux qu'une condamnation contradictoire, après beaucoup de temps perdu, et avec des frais énormes à supporter ?

Il n'en est pas de même lorsque la femme est défenderesse en matière criminelle; dans ce cas, elle a toujours intérêt à se défendre, ne fût-ce que pour faire diminuer la peine qu'elle doit encourir. Sa défense étant dans tous les cas utile et juste, on ne peut pas la forcer de se laisser condamner par défaut; or, si

l'autorisation de se défendre ne peut en aucun cas lui être refusée justement, à quoi bon la demander (1)?

Revenons à notre règle.

Une fille ou une veuve majeure est engagée dans un procès; elle se inarie : —l'autorisation est-elle nécessaire? On distingue : L'affaire est-elle en état au moment du mariage: le changement qui s'est opéré dans la capacité de la femme est un fait indifférent. Le rôle des parties et de leurs procureurs étant achevé et la défense complète, rien ne peut plus retarder le jugement. Dès lors, il n'est besoin d'aucune autorisation (articles 434, 435 code de procédure civile).

(1) Lorsque la femme a commis un délit ou un crime, deux actions, l'action publique et l'action civile, existent contre elle [[en France.]] Elle peut, sans aucune autorisation, défendre à l'action publique. En est-il de même quant à l'action civile ? N'y peut-elle, au contraire, valablement défendre qu'autant qu'elle a été autorisée ? On distingue :

Si la partie civile agit en même temps que le ministère public et devant le tribunal criminel, la femme ainsi poursuivie n'a pas besoin d'autorisation : la loi, qui la déclare capable de se défendre, quant au fait principal, l'habilite par là même quant aux conséquences de ce fait: accessorium sequitur principale. - La partie civile, par les preuves qu'elle fournit, aide d'ailleurs le ministère public à prouver le délit : il faut donc que la femme puisse se défendre contre elle. L'art. 359 du code d'instruction criminelle confirme ce système. Il dit, en effet, que la partie civile peut former sa demande à l'audience même où s'agite l'action publique, jusqu'au jugement, et, par conséquent, au dernier moment de la procédure; or, cette faculté serait entravée, il serait même souvent impossible d'en user, s'il fallait, pour cela, assigner préalablement le mari en validité de la demande formée contre la femme.

Si, au contraire, la partie civile forme sa demande devant le tribunal civil, la femme n'y peut défendre qu'autant qu'elle est autorisée: alors, en effet, on ne peut plus dire qu'elle est poursuivie au criminel.

-Une troisième hypothèse est possible. La femme peut être poursuivie devant le tribunal correctionnel par la partie lésée, sans l'être par le ministère public (art. 145 et 182 code instr. crim.): a-t-elle, dans ce cas, besoin d'une autorisation? "Oui, sans aucun doute, a-t-on dit : car, dans l'espèce, l'action est exclusivement civile, et rien n'empêche la partie lésée d'assigner, aux fins d'autorisation, le mari en même temps que la femme.'

J'aime mieux la négative. Le tribunal correctionnel saisi de l'action civile doit, avant d'accorder les dommages et intérêts réclamés par la partie lésée, constater le délit. Cette constatation peut amener contre la femme une condamnation correctionnelle: car le ministère public qui est présent peut immédiatement conclure à l'application de la peine. Or, du moment que la femme est exposée à subir une peine, elle n'a pas besoin d'autorisation pour se défendre (Val., Explic. somm,, p. 123; Dem., t. I, no 299 bis, III; M Demol., t. II, n° 143). [[Je laisse cette note car la question débattue est importante, il arrive, en effet, à nos tribunaux repressifs inférieurs de condamner une partie à payer des dommages. Le lecteur saisira facilement ce qu'il y a là d'inapplicable à notre organisation judiciaire.]]

« PrécédentContinuer »