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L'affaire n'est-elle point en état : le rôle des parties n'étant point, dans ce cas, terminé, l'affaire ne peut plus marcher régulièrement tant que la femme n'a pas été autorisée à la continuer. [[C'est le cas de la reprise d'instance, art. 437 C. P. C.]].

Toutefois, les procédures peuvent être utilement continuées sans autorisation, tant que le mariage n'a pas été notifié à l'adversaire de la femme: car il n'est pas tenu de savoir qu'elle a changé d'état (art. 436 code de procédure).

La femme engage un procès; le mari donne son autorisation : quelle en est l'étendue? La femme peut-elle, sans autorisation nouvelle, plaider en appel?

Si l'autorisation est expressément limitée à tel ou tel degré de juridiction, à tel ou tel recours, il est évident qu'elle n'a qu'un effet limité et restreint au degré et au recours textuellement prévus. Ainsi, par exemple, la femme qui est autorisée à plaider en première instance ne peut point, sans une autorisation nouvelle, plaider en appel.

A l'inverse, si l'autorisation est expressément donnée in omnem causam, c'est-à-dire pour suivre le procès dans toutes ses phases, la femme qui l'a obtenue peut, sans autorisation nouvelle, ester en appel (1).

Mais que décider si l'autorisation n'est, dans ses termes, ni restreinte au premier degré, ni étendue à toutes les phases du procès, lorsqu'elle est, par exemple, conçue en ces termes: pour suivre tel procès, pour former telle demande ?

Il faut, je crois, résoudre la question par une distinction:

La femme qui a obtenu cette autorisation n'a pas besoin d'être autorisée de nouveau pour ester en appel : car l'appel ne constitue point une affaire nouvelle ce n'est rien autre chose que la suite ou plutôt la continuation devant une juridiction supérieure d'une affaire qui a déjà été jugée par un tribunal d'un degré inférieur.

La requête civile (art. 505, C. pr.), constitue, au contraire, une affaire vraiment nouvelle : car le procès qui a subi et épuisé les [[divers]] degrés de juridiction est réellement terminé. La femme ne pourra donc point, sans une autorisation nouvelle, ester en requête civile (2) (a).

(1) Contra, M. Laurent, t. III, no 149.

(2) Comp. M. Demol., t. II, n 285 et suiv.

(a) Mourlon décide la inême chose quant au recours en cassation. J'ai retranché cette partie comme étant inapplicable dans notre droit. Voir, sur ces questions, M. Baudry-Lacantinerie, no 627.

[[Remarquons, à cet égard, qu'il y a deux espèces d'autorisation: l'autorisation expresse et l'autorisation tacite. La première doit de toute nécessité précéder l'action (car nous ne parlons pas maintenant de la défense), l'autre se fait par la comparution du mari pour autoriser sa femme, c'est l'assistance dont parle l'art. 176. Quand il s'agit de poursuivre une femme, on met son mari en cause à l'effet de l'autoriser et alors peu importe que le mari comparaisse ou non, peu importe même qu'il refuse formellement son autorisation, la femme pourra être condamnée, mais elle ne pourra contester l'action sans y être autorisée soit par son mari, soit, à son défaut ou sur son refus, par le juge. Voyez, en ce sens, la cause de Marmen v. Brown et vir., ci-dessous.

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Jurisprudence. Je ferai maintenant une courte revue de la jurisprudence sur ce sujet, en écartant les décisions qui ne font qu'affirmer la disposition de l'article 176.

Cas où l'autorisation maritale n'est pas requise. Dans les espèces qui suivent, on a jugé que l'autorisation maritale n'était pas requise.

et

Quand la femme séparée de biens fait une procédure judiciaire pour la conservation de ses biens mobiliers, par exemple en portant opposition à leur vente sur saisie-exécution: Cary v. Ryland (3 L. C. R., p. 132), et Owens v. Laflamme (24 L. C. J., p. 207). Quand le mari poursuit sa femme: Lussier v Archambault, (11 L. C. J., p. 53), et Sanfaçon v. Poulin (13 Q. L. R., p. 53). Quand le mari est mis en cause, mais ne soutient pas sa femme que celle-ci conteste l'action: Bonneau v. Laterreur (1 Q. L. R., p. 351). Pourtant, dans une cause récente de Marmen v. Brown et vir. (R. J. Q., 5 C. S., p. 245), le juge Routhier a jugé que lorsque, dans une action en dommages contre mari et femme communs, le premier déclare qu'il n'entend pas assister ni autoriser sa femme, toutes les procédures subséquentes faites par celle-ci, sans autorisation maritale ou judiciaire, sont nulles et doivent être rejetées du dossier pour défaut d'autorisation à ester en justice. Dans cette dernière cause, le juge Routhier a déclaré que la décision dans Bonneau v. Laterreur n'avait pas fait jurisprudence, et que les autorités y citées n'ont pas d'application dans notre droit. La décision dans la cause de Marmen v. Brown et vir me paraît conforme à la doctrine véritable. Remarquons qu'il ne s'agit que du cas où la femme veut contester l'action. Si elle ne comparaît pas, elle pourra être condamnée par défaut malgré que son mari refuse son autorisation, pourvu, toutefois, que ce dernier soit en cause.

Quand le mari et la femme sont tous les deux poursuivis et comparaissent et plaident séparément, mais par le même procurear: McCormick & Buchanan, en appel (16 L. C. J., p. 243). Quand la femme est poursuivie en sa qualité de curatrice à son mari interdit: Lemieux v. Forcade (2 R. L., p. 626).

Quand la femme, poursuivie comme veuve, prétend par exception à la forme qu'elle est sous puissance de mari, elle peut faire cette exception sans autorisation, mais avant d'adjuger sur icelle, la cour ordonnera que le mari soit mis en cause: Smith v. Chrẻtien (23 L. C. J., p. 8).

Quand la femme séparée de biens est marchande publique et qu'elle poursuit pour des faits relatifs à son commerce: Methot Dunn (M. L. R., 1 S. C., p. 224 et 12 R. L., p. 634). Dans l'espèce, la demanderesse, sans l'assistance de son mari, poursuivait le défendeur, propriétaire d'un journal, pour y avoir écrit que la société commerciale, dont la demanderesse faisait partie, était insolvable. Le défendeur opposa par exception à la forme le défaut d'autorisation maritale. Le considérant suivant donne la portée du jugement: "Considérant qu'en vertu des dispositions de "cet article 176, la demanderesse, séparée de biens d'avec son "mari, peut diriger seule les actions qui dépendent de la jouissance et de l'administration de ses biens, comme poursuivre ses débiteurs et ceux qui la troublent dans cette jouissance" («). Quand on poursuit la femme séparée de biens sur un billet qu'elle a donné à ses créanciers, pour obtenir la radiation d'une hypothèque grévant un de ses immeubles, vû que la signature de ce billet ne constitue qu'un acte d'administration pour lequel la femme n'avait pas besoin d'autorisation: Dudevoir e. Archambault (12 R. L., p. 645).

Quand une femme séparée quant aux biens poursuit pour des loyers: Desmarteau v. Baillie (3 L. N., p. 100).

Quand la femme séparée de biens poursuivie pour le recouvrement d'une créance, appelle en garantie un tiers qui s'est engagé à payer cette créance pour elle: Marcou v. Phillips (18 R. L., p. 574).

(a) Les rapports contiennent deux arrêts dans lesquels on a jugé que la femme marchande publique ne peut poursuivre sans l'autorisation de son mari. Ce sont les causes de loung v. Feehan (2 R. de L., p. 437) et de Lynch v. Poole (M. C. R., p. 74). Dans la dernière cause, la femme était commune en biens et il n'est pas douteux que, dans ce cas, il lui fallait l'autorisation maritale. Quant à la femme séparée de biens, les termes de l'article 176" quand même elle serait non-commune ou marchande publique," sont qualifiés par l'exception portée dans la seconde partie de cet article.

Quand la femme est poursuivie pour contravention à l'acte des licences Ruckwart v. Bazin (19 R. L., p. 655).

Mode de l'autorisation maritale. Le défaut d'autorisation peut-il être couvert? - D'autres décisions se rapportent au mode de l'autorisation ainsi qu'à la question de savoir si le défaut d'autorisation peut se couvrir.

Dans la cause de McCormick & Buchanan (2 R. L.. p. 733), la cour d'appel a jugé que l'assistance du mari à une demande judiciaire constitue une autorisation suffisante à la femme de poursuivre ses droits, sans les mots "autorisé par son dit mari à l'effet des présentes."

Dans la cause de Thomas v. Charbonneau (M. L. R., 1 S. C., p. 253), la cour de revision a décidé que le défaut d'autorisation de la femme mariée pour ester en justice doit être plaidée par exception à la forme, et que cette informalité est couverte par la comparution du défendeur et son défaut d'invoquer le défaut d'autorisation dans le délai de la loi; qu'il faut procéder par exception à la forme, même dans le cas où la demanderesse allègue qu'elle est autorisée et que le défendeur nie le fait de cette autorisation; qu'un plaidoyer au fond contenant ces moyens sera rejeté sur motion. Cette décision fut rendue en 1880 par les juges Torrance, Rainville et Jetté. Le juge Rainville discute avec une grande lucidité toute cette question d'autorisation de la femme. Il soutient notamment que l'autorisation maritale nécessaire à la femme pour ester en justice peut intervenir, même après que l'instance a été introduite, et en tout état de cause, pourvu que ce soit avant jugement; que le tribunal ne peut lorsque la femme est demanderesse la déclarer d'office ou même sur les conclusions du défendeur, non-recevable, faute d'autorisation, il ne peut que

surseoir.

Cependant, dix ans plus tard, la même cour de revision, composée cette fois des juges Johnson, Jetté et Mathieu, a décidé dans la cause de Lamontagne v. Lamontagne (M. L. R., 7 S. C., p. 162): -1° qu'une action pour faire casser un testament n'est pas une matière de simple administration, et que la femme séparée de biens ne peut intenter une semblable action sans l'autorisation de son mari; 2° qu'il ne suffit pas que la femme allègue dans sa déclaration qu'elle est autorisée par son mari, mais que ce dernier doit être partie à l'action ou donner son consentement par écrit; 3° que le défaut d'autorisation est une nullité

radicale qui ne peut se couvrir par la ratification ou le consentement du mari donné subséquemment (a).

Le juge Jetté a longuement discuté cette question et vu l'importance de la matière, le fait que ce juge faisait partie du tribunal dans la cause de Thomas v. Charbonneau et que la jurisprudence consacrée dans la cause de Lamontagne v. Lamontagne a reçu la sanction de la cour d'appel, je puiserai largement dans ses remarques. D'ailleurs, l'exposition de cette question importante est si claire et lucide et, j'ajouterai, si conforme à la véritable doctrine, que le lecteur ne trouvera pas la citation trop longue.

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Le juge Jetté établit, comme point de départ, que le code civil pose, "comme règle fondamentale, dans la matière qui nous occupe l'incapacité de la femme mariée. Sous quelque "régime qu'elle ait contracté mariage, communauté, exclusion "de communauté ou séparation de biens, la femme, comme " règle, est incapable.

"On compare quelquefois cette incapacité à celle du mineur, "mais elle est bien différente.

"La loi ne déclare le mineur incapable, qu'à raison de sa faiblesse, de son inexpérience, elle le protège contre ceux qui "pourraient profiter de cette inexpérience et elle le rend incapable "de faire des contrats désavantageux. Mais elle ne le prive pas "de toute capacité, au contraire, et chaque fois que le mineur agit sagement, et fait un contrat favorable, la loi tient ce contrat pour bon et lie celui qui s'est obligé envers le mineur.

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L'incapacité de la femme ne découle pas de la même source, "c'est dans la puissance maritale qu'on en trouve le principe. C'est parce que la femme est soumise à la puissance maritale qu'elle est incapable. Aussi ne peut-elle rien faire sans l'auto"risation de son mari, ni un contrat désavantageux, ni même un “contrat favorable. Ainsi, elle ne peut accepter une donation sans autorisation.

"Or, sous quelque régime qu'elle soit mariée, la femme est "soumise à la puissance maritale, et par conséquent elle est incapable.

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"Mais à cette règle, la loi fait une exception: elle lui permet, " lorsqu'elle est séparée de biens, de faire sans autorisation "non pas tous les actes ou contrats, mais simplement ceux qui concernent l'administrations de ses biens.

(a) Le juge Mathieu, croyant que l'autorisation n'était pas requise dans l'espèce, a fait enregistrer son dissentiment.

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