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"Ces principes étant posés, voyons maintenant comment ils s'appliquent dans l'espèce qui nous est soumise.

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Trois questions se soulèvent en cette cause:

1° "Quelles sont les actions qu'une femme séparée de biens, "peut intenter, şans l'autorisation de son mari ou de la justice?... 20"En quelle forme se donne l'autorisation, lorsqu'elle est " requise?

36 Le défaut d'autorisation peut-il être couvert par une "intervention, ou ratification subséquente du mari?

1° "Quelles sont les actions qu'une femme séparée de biens "peut intenter, sans l'autorisation de son mari ou de la justice?" Le savant juge cite l'article 176 et continue:

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"Cet article est le seul, dans tout le code, qui détermine la capacité de la femme à ester en justice.

"Lorsqu'il s'agit de la capacité de contracter il en est autre"ment: le code l'énonce dans trois articles séparés : les art. 177, "1318 et 1422.

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"Or, il y a une différence assez marquée dans la rédaction de ces divers articles. Ainsi, tandis que l'article 177 reproduit "exactement l'ancien droit, et parle simplement des actes d'administration, comme étant les seuls permis à la femme séparée "de biens, l'art. 1318,- qui reproduit à la lettre l'art. 1449 du "C. N.,- dit que la femme séparée reprend la LIBRE adminis"tration de ses biens et qu'elle peut disposer de son mobilier et “l'aliéner; et l'art. 1422,- copié de l'art. 1536 du C. N.,— dit que: Lorsque les époux ont stipulé, par leur contrat de mariage, 'qu'ils seront séparés de biens, la femme conserve l'ENTIÈRE "administration de ses biens meubles et immeubles, et la libre "'jouissance de ses revenus'.

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"Les articles 1318 et 1422 semblent donc aller plus loin que l'art. 177, ils affirment plus énergiquement la capacité de la "femme pour contracter.

"La même différence a été signalée en France entre l'article "217 qui correspond à notre article 177 et les articles 1449 "et 1536. "

Le juge Jetté cite Troplong, Mariage, t. 2, no 1410, et Demolombe, t. 4, n° 164, et continue :

"La doctrine et la jurisprudence s'unissent donc, en France, "pour restreindre la portée des articles 1449 et 1536 du C. N.

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- c'est-à-dire de nos articles 1318 et 1422 - et pour faire prévaloir la disposition de l'art. 217 qui, comme le dit si bien "Troplong, est un article principe.

Le savant juge adopte cette interprétation et passant à examiner la capacité de la femme pour ester en justice, ajoute:

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"Sous l'ancien droit, on n'avait fait aucune différence entre la capacité de s'obliger et celle d'ester en justice. Le code Napo"léon, au contraire, inaugure un système tout différent, et tout "en maintenant la capacité de la femme séparée quant aux "obligations relatives à l'administration de ses biens, il lui enlève "absolument la capacité d'ester en justice, même pour des "demandes se rapportant à cette administration...

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Il est évident que notre code n'a pas été aussi loin; cependant, il a, sous ce rapport, déterminé la capacité de la femme séparée de la manière la plus précise en la limitant aux actes "de simple administration.

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Le juge Jetté examine quels sont ces actes de simple administration, plus spécialement quant à la question agitée dans l'espèce, la demande en nullité de testament, et passe ensuite à la deuxième question :

2° "L'autorisation étant requise en quelle forme doit-elle se "donner?

"L'article 177 du code nous donne les deux seuls modes d'au"torisation de la femme par le mari :

"Le concours du mari dans l'acte ; et 2° le consentement écrit " du mari."

Et après avoir cité Merlin, Repertoire, v° Autorisation maritale, sec. 6, art. 3, § 4, qui enseigne que le jugement intervenu dans une cause où la femme a plaidé sans être autorisée peut être annulé, le juge Jetté ajoute:

"Nous irons plus loin et nous dirons que sous l'empire de "notre code, non-seulement ce jugement pourrait être annulé, "mais qu'il est radicalement nul. Et c'est ce que nous allons "établir en examinant la 3e question."

3o« Le défaut d'autorisation peut-il être couvert par une "intervention ou ratification subséquente du mari?

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"Il est de principe que l'autorisation maritale ne peut se donner qu'à deux époques déterminées, avant ou au moment même de "l'acte que le mari autorise. L'autorisation doit donc être untérieure ou concomitante, postérieure elle est sans effet."

Ainsi donc, voilà la véritable doctrine expliquée à l'encontre de celle qui a été énoncée dans Thomas v. Charbonneau. L'autorisation doit se donner au moment de l'action, ou bien le mari doit être partie à la demande aux fins d'assister sa femme. Quand le mari n'est pas partie à l'action, il faudra prouver son autorisation. Mais l'autorisation pour plai

der doit-elle être donnée par écrit? Il n'y a pas de difficulté quant aux actes, l'art. 177, en effet, est formel. Mais l'art. 176 ne parle pas de consentement par écrit, il n'exige que l'autorisation ou l'assistance du mari. L'art. 215 du code Napoléon est au même effet et M. Laurent (t. III, n° 125) en conclut que l'autorisation, dans ce cas, peut se manifester par des faits et se prouver par témoins. Sans me prononcer sur cette question, je crois qu'il serait plus prudent d'apporter une preuve écrite de

cette autorisation.

J'ai dit que la doctrine suivie par la cour de revision dans la cause de Lamontagne v. Lamontagne a reçu la sanction de la cour d'appel. Je fais allusion à l'arrêt récent rendu par cette cour dans la cause de Peloquin & Cardinal (R. J. Q., 3 B. R, p. 10). L'appelante, femme séparée de biens, qui s'opposait à la vente de ses immeubles saisis sur son mari, était désignée comme femme séparée de biens dûment autorisée par son mari. Ce dernier n'était pas partie à l'opposition et aucune preuve d'autorisation ne fut apportée. L'opposition, cependant, fut contestée au mérite et fut renvoyée par la cour supérieure. Sur appel de ce jugement par l'opposante, la question du défaut d'autorisation fut soulevée pour la première fois à l'audition en appel. Cette objection fut fatale à la cause de l'appelante, car bien que se prononçant en sa faveur sur le mérite de l'opposition, la cour d'appel renvoya cette opposition, jugeant que le défaut de preuve de l'autorisation entraînait la nullité de toutes les procédures faites au nom de l'appelante et que la cour était tenue de prendre connaissance de cette nullité en tout état de cause.

Cas où l'autorisation maritale est requise. — Je citerai maintenant quelques arrêts où la nécessité de l'autorisation maritale a été affirmée.

D'abord, il y a la cause de Lamontagne v. Lamontagne (a) où elle a été requise dans le cas où la femme intentait une action en nullité de testament.

Il y a de plus la cause de Duncan v. Foy et al., (M. L. R., 7 S. C., p. 186). La cour supérieure y a jugé que dans une action dirigée contre une femme séparée de biens, accompagnée de saisie-arrêt avant jugement, dans laquelle cette femme et son mari ont comparu conjointement par le même procureur, la femme ne pourra pas subséquemment présenter sans autorisation une requête pour faire casser la saisie-arrêt.

(a) Supra, p. 320.

D'ailleurs, quand la femme est défenderesse et que le mari est mis en cause pour l'assister, il importe peu qu'il comparaisse dans la cause ou non. La femme sera condamnée même quand le mari déclare formellement qu'il lui refuse son autorisation pour plaider à l'action. Voir, dans ce sens, Roy v. Betournay (34 L C. J., p. 203). Mais on suppose alors que la femme ne conteste pas l'action. Si elle voulait la contester, il lui faudrait l'autorisation maritale ou celle du juge. Voir, en ce sens, la cause de Marmen v. Brown et vir. (R. J. Q., 5 C. S., p. 245), citée cidessus, (p. 518), dans laquelle, contrairement à celle de Bonneau v. Laterreur (1 Q. L. R., p. 351), on a jugé que lorsque, dans une action en dommages contre mari et femme communs, le premier déclare qu'il n'entend pas assister ni autoriser sa femme, toutes les procédures subséquentes faites par celle-ci sans autorisation maritale ou judiciaire sont nulles et doivent être rejetées du dossier.

Enfin, dans la cause de Catelli v. Ferland (R. J. Q., 4 C. S., p. 375), on a jugé que, dans une demande de cession de biens adressée à une femme mariée, marchande publique, le mari de cette femme doit être mis en cause pour assister sa femme aux fins de la cession de biens, et que le défaut d'adresser la demande de cession au mari comme à la femme entraîne la nullité de toutes les procédures.]]

§ III.

-Des cas dans lesquels l'autorisation de justice peut et doit suppléer l'autorisation du mari.

Il se peut: 1° que le mari, par caprice ou par quelque passion injuste, refuse, sans raison légitime, l'autorisation dont la femme a besoin pour passer un acte qu'elle a intérêt de faire; 2° qu'il soit dans l'impossibilité physique ou légale de la donner. La faculté qu'a la femme de s'adresser alors à la justice, et de se faire autoriser par elle, à défaut de son mari, pare à ce double inconvénient. Ainsi, l'autorisation de justice peut suppléer à celle du mari :

1° Lorsqu'il refuse INJUSTEMENT l'autorisation qu'on lui demande. [[L'article 178 dit que "si le mari refuse d'autoriser "sa femme à ester en jugement ou à passer un acte, le juge peut "donner l'autorisation."]]

(a) Voir, comme affirmant le principe de l'article 177, les causes de Blumhart v, Boule (1 L. C. J., p. 63) et de Méthot v. Perrin (5 R. L., p. 695).

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2° Lorsqu'il est absent. [[L'article 180 est en ces termes : "Si le mari est interdit ou absent, le juge peut autoriser la femme, soit pour ester en jugement, soit pour contracter."]] En est-il de même lorsqu'il est simplement non présent? En principe, non: car la non-présence du mari ne constitue point l'impossibilité d'obtenir son autorisation. On peut attendre son retour ou lui écrire, puisqu'on sait où il est. Toutefois, si, en cas d'urgence, il était impossible à la femme d'avoir, en temps utile, l'autorisation de son mari, elle pourrait alors la suppléer par une autorisation de la justice. Cette solution est, à la vérité, contraire à l'article 180 du code civil, qui ne parle que du mari absent; mais, ce texte n'étant point conçu dans un sens exclusif, on peut, en se fondant sur son esprit, l'appliquer toutes les fois qu'il y a impossibilité constatée d'obtenir en temps utile l'autorisation du mari. C'est, en effet, l'observation qui fut faite au Conseil d'État, lors de la discussion à laquelle a donné lieu le point que nous étudions (voy. Fenet, t. IX, p. 78) (1).

[[Dans la cause de Dasylva v. Lizotte (13 Q. L. R., p. 262), il a été décidé que la femme dont le mari est absent peut être autorisée par justice à ester en jugement, mais ce ne peut être que pour la poursuite des droits qui lui sont propres et non de droits appartenant à la communauté qui n'est pas dissoute et dont elle n'a pas l'administration.

Plus récemment, dans la cause de Turcotte v. Nolet (R. J. Q., 4 C. S., p. 438), la cour de revision a jugé que la femme dont le mari est aux Etats-Unis, dans un endroit inconnu, peut être autorisée par le juge à ester en justice, et que l'absence prévue à l'article 180 n'est pas celle définie à l'article 86 et ne doit pas nécessairement en réunir les conditions.

Lorsque le mari est mineur, on ne reconnaît la validité de son autorisation, en France, que pour les actes qu'il est capable de faire lui-même comme mineur émancipé. Dans les autres cas, la femme doit être autorisée par justice. Ici, au contraire, l'article 182, conforme en cela à l'ancien droit, donne à l'autorisation du mari mineur la même force que si ce mari était majeur. “Le "mari, quoique mineur", dit cet article, " peut, dans tous les cas, autoriser sa femme majeure; si la femme est mineure, l'autori

(1) Dur., t. II, no 506; Dem., t. I, no 305 bis; M. Demol., t. II, no 214.- Contra, Marc., sur l'art. 222; MM. Aubry et Rau, t. V, § 472, note 39; Laurent, t. III, n° 127. [[Aussi M. Baudry-Lacantinerie (n° 640). Cela se fait tous les jours dans la pratique, par exemple, quand le mari est absent du pays pour cause de voyage.]]

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