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D'autres rejettent cette distinction. La règle établie par l'article 179 est absolue. La femme, y est-il dit, ne peut faire le commerce sans l'autorisation de son mari. On peut regretter sans doute que la loi n'ait pas fait la distinction qu'on propose; mais enfin elle ne l'a pas faite dura lex sed lex (1)

[[Cependant, on a permis, dans l'espèce désignée sous le titre de Ex parte Gagnon (4 L. N., p. 108), à une femme mariée de faire commerce quand son mari ne pouvait l'autoriser vu son absence.

J'ajouterai que M. Baudry-Lacantinerie, no 641, ne se prononce pas sur la question. Il se contente de dire que plusieurs auteurs reconnaissent, à la justice, le droit d'autoriser la femme à faire commerce, quand le mari, pour cause d'impossibilité physique, morale ou légale ne peut donner cette autorisation. Cette solution, ajoute-t-il, est fondée sur des motifs d'utilité pratique beaucoup plus que sur des raisons de droit.

Le même auteur croit que l'autorisation de la justice ne pourrait pas suppléer le refus du mari d'autoriser sa feinme à contracter un engagement théâtral ou peut-être, d'une manière générale, à exercer une profession quelconque. D'ailleurs, en supposant même que la justice pourrait autoriser la femme à contracter un engagement théâtral, le mari pourrait rendre cette autorisation vaine en changeant de résidence et en forçant sa femme à le suivre.

Remarquons, cependant, que notre article 179, pour favoriser le commerce, et pour protéger les créanciers de la femme qui s'est constituée marchande publique, consacre ici une exception à la règle générale qui veut que l'autorisation du mari soit donnée d'une manière expresse ou du moins que cette autorisation résulte du concours du mari à l'acte soit judiciaire soit d'une autre nature dont il s'agit. Le législateur dit que la femme ne peut être marchande publique sans l'autorisation expresse ou présumée du mari. Ainsi, il suffirait de circonstances moins concluantes que le concours du mari à l'acte de commerce pour prouver l'autorisation de ce dernier. L'article 179 ne s'explique pas sur la nature de cette autorisation présumée, ni sur les circonstances qui peuvent l'établir. La simple connaissance du fait, sans protestation de la part du mari, pourrait-elle faire présumer cette autorisation? On répond affirmativement à cette question en France comme on le faisait sous l'ancien droit. On considère la femme autorisée du moment qu'elle fait le commerce au vu et su

(1) MM. Bravard, sur l'art. 4, C. comm.; Demol., t. II, no 248; Aubry et Rau, t. V, § 472, note 70.

de son mari. Patientia mariti pro consensu est (u). Il est, du reste, hors de doute que, si à cette connaissance du mari, viennent s'ajouter des actes de ce dernier, qui font voir qu'il a approuvé le commerce de sa femme, le mari sera non-recevable à prétendre que cette dernière a agi sans son autorisation. Ainsi, le mari a profité de ce commerce, il a vécu des profits que sa femme a réalisés, il a payé ses dettes, il a agi comme son commis ou représentant: son autorisation devra nécessairement se présumer. Je reviendrai sur cette question, infra, p. 539.]]

2o Lorsque, étant mariée sous un autre régime que celui de la séparation de biens, elle veut accepter une exécution testamentaire (voy. l'explic. de l'art. 906) (b).

SV.

- Des cas dans lesquels l'autorisation du mari ou de justice n'est pas requise.

La nécessité de l'autorisation du mari ou de justice ne s'applique point:

I. Aux actes d'administration, lorsque la femme s'est, par son contrat de mariage, réservé le droit d'administrer sa fortune en tout ou en partie.

II. Au testament. Deux raisons ont fait admettre cette exception : 1° le testament devant être exclusivement l'œuvre de la volonté personnelle du testateur, il importe que la femme qui le fait soit libre de toute influence étrangère, ce qui n'aurait pas lieu si elle ne pouvait le faire qu'avec l'autorisation de son mari; 2° le testament d'ailleurs ne porte aucune atteinte à l'autorité maritale, puisqu'il ne doit produire ses effets qu'à l'époque où elle aura cessé d'exister, c'est-à-dire au décès de sa femme (c).

III. Aux droits que la loi lui confère directement et par une disposition formelle. Tels sont, par exemple: le droit de consentir au mariage de ses enfants (art. 119 et 120); et le droit d'accepter pour eux les donations qui leur sont offertes (art. 303 et 789) (d).

IV. Aux actes conservatoires de sa fortune acquise, pourvu qu'ils soient de telle nature qu'elle ne soit pas obligée pour les (a) Sirey 1871, 1, 65, en note, 3e colonne. M. Baudry-Lacantinerie, n° 647.

(b) M. Baudry-Lacan vinerie (no 641) ajoute à ces cas, celui auquel le mari refuse d'autoriser sa femme à compromettre. Il tire argument, cependant, de dispositions qui n'existent pas dans notre droit. (c) L'article 184 qui énonce cette disposition se lit comme suit: 184. La femme peut tester sans l'autorisation de son mari." (d) Voir supra, p. 511.

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faire d'ester en justice, [[sauf, dans le cas des procès, le droit de la femme séparée de biens d'ester en justice dans des affaires où il s'agit de simple administration.]] Que lui défend, en effet, la loi? 1° d'ester en justice, [[sauf l'exception ci-dessus]]; 2° de faire des actes d'alienation ou acquisition; 3° de s'obliger. Mais là s'arrêtent ses prohibitions. La femme peut donc, à elle seule, pourvu qu'il ne s'agisse point d'ester en justice, [[en dehors des cas permis par la loi]], faire tous les actes qui ne renferment ni acquisition, ni alienation, ni obligation, c'est-à-dire les actes simplement conservatoires de sa fortune acquise. C'est ainsi, par exemple, qu'elle peut faire une sommation à ses débiteurs, à l'effet de les constituer en demeure, ou un protêt pour assurer ses droits contre les endosseurs d'une lettre de change. La loi, quant à ces actes, lui permet d'agir seule, parce qu'ils sont de telle nature qu'ils ne peuvent que lui profiter, sans nuire jamais à son mari (1).

V. Aux obligations dont elle est tenue indépendamment de sa volonté, c'est-à-dire qui lui sont IMPOSÉES par la loi, en d'autres termes, aux obligations qui se forment SANS convention: car c'est uniquement sa volonté qu'on a faite dépendante tout ce qu'exige la loi, c'est que la femme qui est mariée ne puisse pas, par l'effet de sa volonté personnelle, s'obliger sans autorisation.

Cette cinquième exception comprend :

1° Les obligations qui ont leur source dans ce principe d'équité; personne ne doit injustement s'enrichir aux dépens d'autrui. Ainsi, lorsque la femme emprunte sans autorisation une somme d'argent, elle n'est point, en principe, obligée de la rendre; toutefois, si elle en a profité, si au lieu de la dissiper follement, elle l'a employée à des dépenses utiles ou nécessaires, par exemple au payement de ses dettes ou à la réparation de quelqu'un de ses biens, elle est tenue alors dans la limite du profit qu'elle en a retiré.

2° Les obligations qui naissent de ses délits et quasi-delits. - Que les obligations qu'elle contracte par convention soient annulables lorsqu'elle les contracte sans autorisation, rien de plus juste les tiers doivent s'imputer d'avoir contracté avec elle: ils supportent la peine de leur imprudence, s'ils n'ont point connu

(1) Ces actes sont valables sans doute; mais la femme qui les a ordonnés sans autorisation est-elle valablement obligée de payer, à l'huissier qui les a faits, les frais qu'ils ont occasionnés? J'admettrais l'affirmative. La capacité qu'elle a de faire l'acte lui-même emporte implicitement la capacité accessoire de faire ce qui est nécessaire pour l'accomplir: qui veut la fin veut le moyen.

son état; de leur complicité, dans l'hypothèse contraire. Les tiers qui ont souffert de ses délits ou de ses quasi-délits n'ont, au contraire, aucune faute à se reprocher: on ne peut pas, on ne doit pas laisser à leur charge un dommage dont ils n'ont pas pu se garantir.

Quant aux obligations qui naissent des quasi-contrats, une distinction est nécessaire.

La femme peut être valablement obligée par un quasi-contrat, lorsque le fait qui le constitue émane d'un tiers. Ainsi, lorsqu'en son absence, quelqu'un gère utilement ses affaires, elle est tenue de lui rembourser toutes ses dépenses, encore que le profit qu'elle en a retiré ait été détruit plus tard par un cas fortuit (art. 1043 et 1046).

Elle n'est pas obligée, au contraire, lorsque le fait qui constitue le quasi-contrat est le sien propre. Ainsi, lorsque, sans y avoir été autorisée par son mari, elle gère l'affaire d'une personne absente, elle n'est obligée ni envers les tiers avec lesquels elle a contracté en son nom pour le besoin de la gestion, ni même envers le maître, c'est-à-dire envers la personne dont elle a géré l'affaire, à moins toutefois qu'il ne soit démontré que la gestion dont elle s'est chargée a été imprudemment entreprise: car cette gestion constituerait alors une faute, c'est-à-dire un quasi-délit, qui l'obligerait envers le maître (1).

(1) Dem., t. I, no 300 bis, V; Marc, sur l'art. 217; Dur., t. II, no 497; MM. Demol., t. II, n° 181; Aubry et Rau, t. IV, § 441, note 1. [[M. Baudry-Lacantinerie, t. II, no 1334.]]

Je ne saisis pas bien ce système. La femme qui, sans autorisation de son mari, gère l'affaire d'autrui, n'est pas obligée envers les tiers avec lesquels elle a contracté pour le besoin de sa gestion; cela est de toute évidence. On ajoute qu'elle n'est pas obligée envers le maître; c'est ce que je ne comprends pas. Et, d'abord, il est bien évident qu'elle est obligée de rendre les sommes ou valeurs qu'elle a reçues pour le compte du maître autrement, elle s'enrichirait à ses dépens, ce que la loi ne permet point. Quant aux dommages qu'elle a causés en gérant mal ou en abondonnant intempestivement la gestion qu'elle a commencée, n'en doit-elle pas la réparation? Cela me paraît évident encore les fautes ou imprudences qu'elle a commises constituent un quasi-délit; or les quasi-delits l'obligent! Pourquoi d'ailleurs rendre le maître victime d'un dommage qu'il n'a pas pu prévenir ? La femme qui, sans autorisation de son mari, gère l'affaire d'autrui, s'oblige donc envers le maître, dans tous les cas où un gérant capable serait lui-même obligé. S'il en est différemment de la femme qui accepte un mandat, c'est que la personne qui le lui a donné doit s'imputer d'avoir confié ses intérêts à un incapable; mais le même reproche ne peut pas être adressé au maître, puisque c'est à son insu que son affaire a été gérée. Comp. Val., sur Proud., t. I, p. 463; MM. Larombière, Théorie et pratique des obligations, t. V, sur l'art. 1374 C. N., n°9; Laurent, t. III, no 101.

De même, si elle reçoit une somme ou toute autre valeur, qui ne lui soit pas due, elle n'est point tenue de la rendre si elle l'a dissipée de bonne foi: celui qui la lui a payée doit alors s'imputer la faute qu'il a commise.

§ VI. Quand et comment doit se donner l'autorisation du mari.

Elle peut l'être 1° avant

I. Quand elle peut être donnée. l'affaire que la femme se propose de conclure; même où l'affaire se conclut.

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Mourlon (n° 792)

Peut-elle l'être après que l'affaire est finie? [[La question est controversée en France. dit que l'affirmative est soutenue par les meilleurs esprits. On se base sur la nature de la nullité qui entache l'acte fait par la femme sans l'autorisation de son mari. Le code Napoléon rend cette nullité relative et l'on dit que puisque cette nullité a pour cause l'atteinte portée à l'autorité du mari, ce dernier en donnant son autorisation après coup fait disparaître le vice qui affectait l'acte de sa femme.

Mourlon critique longuement cette doctrine, soutenant que la nullité est décrétée dans l'intérêt du mari et de la femme (a). Sans me prononcer sur le mérite de cette controverse, qui serait oiseuse dans notre droit, je constaterai que chez nous l'acte fait par la femme sans l'autorisation de son mari est radicalement nul et qu'aucune ratification ne peut faire disparaître ce vice inné; cet acte, c'est le néant et on ne ratifie pas le néant. C'est ce que le législateur a déclaré dans les termes les plus énergiques en disant que "le défaut d'autorisation du mari, dans les cas où elle est "requise, comporte une nullité que rien ne peut couvrir" (art. 183). Inutile de discuter en face d'une disposition aussi formelle (b).

Mais il est bon de faire observer, au risque de me répéter et afin de faire bien saisir le principe de la loi, que la nullité de l'acte fait par la femme sans l'autorisation de son mari, est décrétée non à cause de la faiblesse ou de l'inexpérience de la femme, mais parce que cet acte porte atteinte à la puissance maritale, ce qui est une matière d'ordre public. Il convient d'ajouter qu'en pro

(a) Voir M. Baudry-Lacantinerie, no 639, dans le même sens. (b) Voir ci-dessus la citation faite des remarques du juge Jetté dans la cause de Lamontagne v. Lamontagne, p. 521.

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