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2° A l'égard du mari. La personne placée à côté d'un incapable pour le protéger ne s'oblige point lorsqu'elle l'autorise à faire un acte qui auctor est, non se obligat. Ainsi, ceux qui ont contracté avec un mineur émancipé n'ont point d'action contre le curateur qui l'a assisté. Cette règle est applicable au mari : l'autorisation qu'il donne à sa femme n'a point d'effet contre lui, ne l'oblige point. Tel est le principe. Mais, quant au mari, des exceptions existent.

Ainsi : 1° lorsque le régime sous lequel il est marié lui attribue la jouissance des biens dont sa femme conserve la propriété (art. 1416 et 1421), l'autorisation qu'il donne pour les aliéner a un effet contre lui, en ce sens qu'elle le prive de la jouissance qu'il avait sur le bien aliéné (arg. tiré de l'art. 1555 C. N.) (a). II peut, il est vrai, restreindre son autorisation au droit de propriété de sa femme; mais, s'il la donne sans réserve expresse de son propre droit, il habilite par là même sa femme à faire une aliénation complète, c'est-à-dire de la pleine propriété.

2° Lorsqu'il est marié sous le régime de la communauté, le consentement qu'il donne aux actes de sa femme l'oblige directement lui-même et sur ses propres biens. Ainsi, lorsqu'elle emprunte une somme d'argent et qu'il l'autorise à cet effet, le paiement de l'obligation qu'elle contracte peut être poursuivi, non seulement sur ses biens personnels, mais encore sur ceux de la communauté et même sur les biens propres du mari (art. 1280 et 1290).

Nous trouvons dans l'article 179 une application de cette règle. Le mari qui autorise sa femme à faire le commerce l'autorise par là même à faire tous les actes relatifs à son négoce: donc, lorsqu'elle contracte une obligation comme marchande publique, c'est en réalité comme autorisée de son mari qu'elle la contracte. Aussi la loi déclare-t-elle que, si les époux sont mariés sous le régime de la communauté, le mari est alors tenu de cette obligation comme la femme elle-même (1). Et rien n'est plus juste! Les bénéfices que la femme retire de son commerce tombent dans

jusqu'à concurrence de son émolument. Or quand la femme commune en biens fait le commerce, elle le fait pour le compte de la communauté et elle oblige son mari. Il est vrai qu'elle s'oblige ellemême, mais il me paraît clair qu'elle ne s'oblige que comme commune, puisque c'est en cette qualité qu'elle fait le commerce. Dans ce cas,

le commerce est reellement celui de son mari car le mari est le chef de la communauté.

(1) Disposition reproduite dans l'art. 5 du C. de comm (a) Nous n'avons pas cet article.

l'actif de la communauté; or, si les chances de gain sont communes, l'équité demande évidemment que les chances de perte ne restent pas exclusivement à la charge de la femme: ubi emolumentum, ibi et onus esse debet (a).

[[Dans la cause de May v. Cochrane (20 R. L., p. 410), la cour de revision a jugé que le mari qui permet à sa femme commune en biens avec lui, de faire commerce, ne peut, après qu'il a retiré son autorisation, répudier les engagements qu'elle a contractés avec des personnes qui faisaient affaires avec elle lors de cette autorisation, et qui n'ont pas reçu avis du retrait de l'autorisation (b). Dans la cause de The Metropolitan Manufacturing Co. v. Langridge (34 L. C. J., p. 231), il a été décidé que lorsqu'un mari et une femme communs en biens vivent séparés de consentement mutuel et que la femme, bien qu'elle recoive de son mari une pension alimentaire, assume les fonctions de marchande publique à son insu et sans son autorisation, le mari n'est pas responsable de contrats faits par elle en cette qualité avec des personnes qui étaient au fait de cette séparation.]]

Fallait-il aller jusqu'à dire que le mari, dans le cas où sa femme a contracté des engagements emportant contrainte par corps, sera lui-même contraignable par cette voie? L'affirmative était suivie dans notre ancien droit. De nos jours, la négative est généralement admise. Si la femme qui contracte comme marchande publique s'oblige par corps, c'est que, quant à elle, la dette a une cause commerciale. Mais son mari n'est point commerçant; ce n'est point en cette qualité qu'il est tenu. obligé, c'est uniquement par l'effet de cette règle d'équité: ubi emolumentum, ibi et onus esse debet. La cause de son obligation est donc purement civile. Dès lors, point de contrainte par corps car, en matière civile, cette voie rigoureuse d'exécution n'est permise que dans certains cas déterminés, et notre hypothèse n'y est point comprise (1) (c).

S'il est

(1) La contrainte par corps est aujourd'hui supprimée en matière commerciale comme en matière civile [[en France]] (loi du 22 juillet 1867). [[Elle n'existe pas non plus en ce pays en matières commerciales, sauf le cas du capias qui, du reste, ne se limite pas aux dettes commerciales et ne s'applique pas aux femmes (art. 805 C. P. C.),]]

(a) Voir la note (b), p. 544 supra.

(b) Voir ce que j'ai dit à ce sujet, supra, p. 540.

(c) Je laisse ce passage, bien que, dans notre droit, il n'y ait pas de contrainte par corps pour dette commerciale proprement dite, sauf le capias, lequel ne peut être pris contre la femme. Il est évident que le mari ne pourrait être contraint par corps que pour son propre fait.

La femme commune oblige la communauté et son mari en même temps qu'elle s'oblige elle-même, lorsqu'elle contracte comme marchande publique, c'est-à-dire pour les besoins et à l'occasion du commerce qu'elle fait en son nom et pour son propre compte (a). Il en est différemment "lorsqu'elle ne fait que détailler les marchandises du commerce de son mari." Ce n'est plus elle alors qui est commercante, c'est son mari, dont elle n'est, à vrai dire, que la fille de boutique, ou, pour parler plus poliment, le mandataire. Les contrats qu'elle fait en cette qualité sont réputés faits par lui-même, par lui seul, et exclusivement pour son compte. En contractant de cette manière, elle n'oblige que lui, elle ne s'oblige point elle-même.

II. Des effets de l'autorisation de justice. En ce qui touche la femme, l'autorisation judiciaire supplée l'autorisation maritale; elle en produit tous les effets, avec la même étendue.

Il en est différemment quant au mari. L'autorisation qu'il donne produit dans certains cas des effets contre lui; l'autorisation de justice, au contraire, ne lui est point opposable et ne peut jamais lui préjudicier.

Ainsi: 1 la femme commune, qui oblige son mari et la communauté en même temps qu'elle s'oblige elle-même, lorsqu'elle contracte avec l'autorisation maritale (art. 1280-2° et 1290), n'oblige qu'elle seule, lorsqu'elle contracte avec l'autorisation de justice (art. 1296) (b). - Voy. toutefois deux exceptions dans l'article 1297.

2° Lorsque la femme aliène, avec l'autorisation maritale, un bien dont elle a, par son contrat de mariage, attribué la jouissance à son mari, l'aliénation qu'elle fait est valable quant à la pleine propriété; que si, au contraire, elle l'aliène avec la seule autorisation de justice, l'aliénation, valable quant à la nue propriété, est nulle et de nul effet quant au droit de jouissance qui appartient à son mari.

En résumé, l'autorisation de justice rend bien la femme capable de s'obliger valablement, elle et sa propre fortune; mais sans jamais préjudicier aux droits que le mari peut, en vertu du contrat de mariage, avoir sur ses biens.

(a) Voir, cependant la note (b) p. 544, supra,

(b) Voyez, dans ce sens, la cause de Augé et al . Daoust, citée supra, p. 528.

§ IX. - Des effets du défaut d'autorisation.

Selon notre ancien droit [[comme d'après le code]], l'acte émané d'une femme mariée, non autorisée, [[est]] radicalement nul. De là cette double conséquence :

I. Il [[n'est]] susceptible d'aucune ratification ou confirmation. - Nul ab initio, il [[est]] nul à perpétuité: on ne ratifie pas le néant.

II. Toute personne intéressée [[a]] qualité pour en demander la nullité: car ce qui est nul n'existe pour personne la nullité [[peut]] donc être demandée par le mari, par la femme, et par les tiers qui [[ont]] contracté avec elle.

En d'autres termes, la nullité résultant du défaut d'autorisation [[est]] PERPETUELLE et ABSOLUE.

[[C'est ce que l'article 183 énonce en ces termes :

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Le défaut d'autorisation du mari, dans les cas où elle est requise, comporte une nullité que rien ne peut couvrir et dont se peuvent prévaloir tous ceux qui y ont un intérêt né et " actuel."

Il n'en est pas ainsi aujourd'hui en France. L'article 225 du code Napoléon, en effet, dit que "la nullité fondée sur le défaut d'autorisation ne peut être opposée que par la femme, par son mari, ou par leurs héritiers."

Il existe donc, entre notre droit et le droit français, une différence essentielle à ce sujet. Dans le droit français, l'acte fait sans autorisation par une femme mariée, au lieu d'être nul, comme dans notre droit, n'est qu'annulable.

Il s'en suit que bien que cet acte soit vicieux ab initio, en France, il peut devenir valable par une confirmation ou ratification postérieure. Au contraire, en ce pays, l'acte fait par la femme sans autorisation est nul ab initio et n'est pas susceptible de ratification ou de confirmation.

Autre différence en France, la nullité n'est que relative, ici, elle est absolue et peut être opposée, dit l'article 183, par tous ceux qui y ont un intérêt né et actuel.

Quelques arrêts de nos tribunaux peuvent être cités pour caractériser cette nullité (a). Ainsi, dans la cause de Rousseau v. The Royal Insurance company (M. L. R., 1 S. C., p. 395), la cour supérieure a jugé qu'une femme, commune en biens et sous

(a) Au reste, voir les arrêts cités ci-dessus, pp. 512, 513, 524, 525.

puissance de mari, ne peut valablement faire assurer les meubles de son ménage sans l'autorisation de son mari, et que le fait de n'avoir pas ainsi déclaré son état à la compagnie, rend nulle la police. La même doctrine a été affirmée dans une espèce semblable par les juges Strong, Taschereau et Gwynne de la cour suprême dans la cause de Boyce & The Phenix Mutual Life Insurance Co. (14 Supreme Court Reports, p. 723).

On a de plus jugé que le billet à ordre consenti par la femme sans l'autorisation de son mari est nul. Norris v. Condon, Casault, J. (14 Q. L. R., p. 1.).

Mais en cour de revision, dans cette meme cause, le juge Stuart a émis l'opinion qu'une femme mariée peut agir seule comme l'agent de son mari dans une matière dans laquelle lui seul a intérêt et que, dans ce cas, l'acte de la femme est en réalité l'acte du mari (14 Q. L. R., p. 184). Je puis ajouter que cela ne souffre aucun doute; la seule objection à l'exercice de la qualité de mandataire par la femme disparaît lorsque c'est son mari lui-même qui lui confère cette qualité.

L'article 183 dit que la nullité y prononcée peut être invoquée par tout ceux qui y ont un intérêt né et actuel. Cette disposition semble exclure l'intérêt purement moral. C'est ainsi, du reste, que le juge Andrews l'a interprétée dans la cause de Letourneau v. Blouin et al. (R. J. Q., 2 C. S., p. 425). Il y a décidé que le mari séparé de corps n'a pas d'action pour faire prononcer la nullité de la vente faite par sa femme, sans son autorisation ou celle de la justice, d'un immeuble qui lui appartient, s'il n'a pas un intérêt né et actuel; que l'intérêt né et actuel de l'article 183 du code civil est un intérêt pécuniaire immédiat et qu'un simple intérêt moral, comme celui de faire respecter son autorité maritale, on un intérêt pécuniaire éventuel, comme celui résultant du danger que sa femme revienne plus tard réclamer de lui une pension alimentaire, n'est pas un intérêt suffisant aux termes de l'article 183.

On pourrait objecter que s'il faut un intérêt pécuniaire immédiat pour que le mari puisse demander la nullité d'un acte fait par sa femme sans autorisation, le mari n'attaquera jamais cet acte. En effet, on ne conçoit pas que le mari puisse être préjudicié par un semblable acte. Si, par exemple, dans le cas de l'aliénation, le mari à la jouissance de l'immeuble aliéné par sa femme, il conservera cette jouissance malgré l'aliénation. pourrait dire, dans le cas d'une succession mobilière échue à la femme et dont la communauté aurait profité sans la rénoncia

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