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soumirent à une révision générale afin d'y inclure les changements adoptés par la législature et firent leur rapport final qui porte la date du 23 mai 1866. Le 26 du même mois, la proclamation du gouverneur émana et le 1er août 1866 le code civil entra définitivement en vigueur (a).

II. Effet légal de la codification, Il nous reste maintenant à faire une revue des principaux changements que le code civil a apportés à nos lois et à notre jurisprudence civiles. Avant d'en tracer le tableau, nous aurons tout d'abord à nous demander quelle a été l'effet légal de la codification elle-même.

Il est exact de dire qu'il n'y a pas, à proprement parler, de droit ancien ni de droit nouveau en cette province. Le but même de la codification n'était pas d'élaborer un nouveau code de lois qui s'inspirerait plus ou moins de l'ancienne jurisprudence, mais de donner à des lois existantes, et que la législature voulait conserver, une expression concise. Cela est si vrai, que les commissaires durent, d'après les instructions formelles du législateur, rechercher les lois qui étaient en vigueur, écarter celles qui avaient été abrogées ou qui étaient tombées en désuétude et, quelle que fût leur opinion quant à l'opportunité de changer certaines dispositions de ces lois, faire du tout un code concis qui serait soumis à l'approbation de la législature. Il leur fut seulement permis de proposer des amendements et ces amendements devaient suivre l'article qui énonçait la disposition alors en vigueur et que l'on voulait faire modifier. La législature discuta le projet, elle adopta quelques-uns des changements suggérés et en écarta d'autres. Il en résulte que, dans la pensée du législateur, le code civil n'est que l'expression des lois civiles existantes, sauf quelques amendements qu'on a eu le soin d'imprimer entre crochets. Sous ce rapport, bien que les auteurs du code Napoléon ne se soient pas posés en novateurs, il y a une distinction capitale à faire entre le code Napoléon et le code civil du Bas-Canada. En France, la révolution avait fait table rase de tout, les anciennes lois avaient été profondément modifiées, un nouveau droit, qu'on est convenu d'appeler le droit intermédiaire, résultat du travail législatif des corps publics qui se succédèrent en France, y avait été greffé. L'on avait aboli les substitutions, mis des entraves à la disposition à titre gratuit des immeubles, et introduit le divorce, et finalement l'on adopta un code de lois, qui s'inspire largement du droit

(a) On pourra consulter, sur les travaux des commissaires, la préface de la première édition du code civil par le juge Thomas McCord,

de l'ancien régime, mais qui n'en constitue pas moins un droit nouveau. Ici, il en a été autrement et notre code n'est que l'expression, plus ou moins modernisée, si nous pouvons nous exprimer ainsi, de l'ancien droit civil du Bas-Canada.

L'article 2613 s'exprime ainsi sur l'effet légal de la codification. 2613. Les lois en force, lors de la mise en force de ce code, " sont abrogées dans les cas :

"Où il contient une disposition qui a expressément ou impli"citement cet effet;

"Où elles sont contraires ou incompatibles avec quelques dispositions qu'il contient;

"Où il contient une disposition expresse sur le sujet particu"lier de telles lois.

"Sauf toujours qu'en ce qui concerne les transactions, matières "et choses antérieures à la mise en force de ce code et auxquelles " on ne pourrait en appliquer les dispositions sans leur donner un "effet rétroactif, les dispositions de la loi qui, sans ce code, s'appliqueraient à ces transactions, matières et choses, restent en "force et s'y appliquent, et ce code ne s'y applique qu'en autant qu'il coïncide avec ces dispositions."

"

A cela, ajoutons l'article 2615 qui complète la pensée du législateur.

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2615.-" Dans les cas de différence entre les deux textes du pré"sent code sur les lois existantes à l'époque de sa promulgation, le "texte le plus compatible avec les dispositions des lois existantes doit prévaloir. Si la différence se trouve dans un article indi"qué comme modifiant les lois existantes, le texte le plus compa"tible avec l'intention de l'article, d'après les règles ordinaires "d'interprétation, doit prévaloir."

Il résulte de ces deux articles que ce qu'on peut appeler l'ancien droit n'est abrogé que lorsque le code civil contient une disposition qui a expressément ou implicitement cet effet, ou qui s'exprime d'une manière expresse sur le sujet particulier de ces lois, enfin lorsque la doctrine du droit ancien est contraire à celle du code ou incompatible avec ses dispositions. Hors de ces cas, l'ancien droit est encore en vigueur, sauf naturellement le cas de désuétude.

Les dispositions de droit nouveau, nous l'avons dit, sont imprimées entre crochets, les autres dispositions sont censées être déclaratoires de la loi et de la jurisprudence en vigueur lors de la mise en force du code, on aura donc recours à ces lois et à cette jurisprudence, quand la disposition doit être

l'objet de l'interprétation juridique. Autre conséquence, quand le code civil est muet sur un sujet quelconque, il faudra référer au droit ancien. Ainsi, dans les cas de contrainte par corps et généralement dans toute la procédure, on a recours à l'ordonnance de 1667, lorsque le code de procédure ne décide pas formellement une question (a).

L'article 2615 se rapporte aux deux textes du code qui sont chacun d'eux authentiques. Si la disposition n'est pas de droit nouveau, on adoptera la version la plus compatible avec la doctrine du droit ancien. Si, au contraire, cette disposition est de droit nouveau, l'on suivra, dit le législateur, les règles ordinaires d'interprétation. Dans la cause de Harrington et al. & Corse (26 L. C. J., p. 108) jugée par la cour d'appel, le juge Ramsay s'est occupé de cette conciliation des deux versions quand il s'agit d'une disposition de droit nouveau. Toutes choses étant égales, il déclare qu'il adoptera le texte qui se rapproche le plus du droit ancien. On pose, ajoute-t-il, quelquefois, la règle que s'il s'agit d'une question de droit français, l'on doit suivre plutôt le texte français, et le texte anglais, quand la disposition est tirée du droit anglais. Il n'admet toutefois cette règle que d'une manière fort restreinte et seulement pour interprêter une expression technique. Une autre ressource, serait de trouver lequel des deux textes est l'original et lequel, la traduction. Mais outre qu'il

sera presque toujours impossible de faire cette constatation, le juge Ramsay ajoute que le plus souvent, de sa connaissance personnelle, les deux textes étaient originaux. Dans l'espèce, il s'agissait d'interprêter l'article 889 du code civil et le savant juge adopta le texte anglais parce que ce texte était plus conforme à l'article correspondant du code Napoléon (b).

Pendant qu'il est question des articles 2613 et 2615, il convient de rapporter brièvement la jurisprudence qui se rattache à ces deux articles. Ainsi, dans une cause généralement désignée comme Yule v. Braithwaite, mais qui devrait s'appeler Braithwaite, Ex parte (12 L. C. J., p. 207), le juge Monk a permis, en 1868, à un exécuteur testamentaire, nommé avant le code, de renoncer à sa charge, conformément à l'article 911 du code civil

(a) Les articles 1360 et 1361 du code de procédure civile contiennent des dispositions analogues à celles des articles 2013 et 2615 du code civil.

(b) Remarquons, en passant, que dans le cas de l'article 1961 du code civil, la cour d'appel a déclaré que la version anglaise seule exprime l'intention du législateur. (R. J. Q., 3 B. R., p. 200.)

qui est de droit nouveau. On ne paraît pas avoir soulevé la question de l'application de cet article, mais je crois qu'il y a bien jugé dans cette décision, car quand une loi nouvelle permet à une personne de se libérer d'une charge, il importe peu, à mon avis, que l'acceptation de la charge fût ou non antérieure à la loi en question.

Dans la cause de Montizambert & Dumontier (4 Q. L. R., p. 234) la cour d'appel a décidé en 1877 que les dispositions du chapitre 37 des statuts refondus pour le Bas-Canada, articles 74-6, avaient été abrogées par l'effet des articles 2168, 2169, 2170 et 2171 du code civil qui contiennent des dispositions expresses sur ce sujet.

Dans la cause de Chouinard et vir. v. Chouinard et al. (13 Q. L. R., p. 275), jugée en 1886 par le juge Casault, la. cour supérieure a décidé que lorsque, dans un testament, qui a reçu son exécution par la mort du testateur avant la mise en force du code civil, le testateur a exprimé la volonté que l'exécution du testament fût continuée jusqu'à l'arrivée d'un événement déterminé, et que les exécuteurs sont morts sans se donner les successeurs que le testateur les avait chargés de nommer, le tribunal ou le juge peut, en vertu des pouvoirs conférés par l'article 924 du code civil, et sans donner à cet article un effet rétroactif, nommer un exécuteur pour continuer l'exécution du testament.

Enfin, dans la cause de Dubord v. Aubin (17 R. L., p. 414), décidée en 1889, le juge Mathieu a décidé que l'article 1313 étant de droit nouveau et l'article 1312 contenant aussi des modifications à l'ancien droit, les dispositions nouvelles de ces articles ne s'appliquent pas aux causes en séparation de biens antérieures au code.

III. Changements apportés par le code civil aux lois existantes.— Il me faut maintenant énumérer quelques uns des changements que le code civil a apporté aux lois existantes. Je ne ferai que signaler ce qu'il y a de plus saillant, car chaque amendement sera apprécié en temps et lieu. Ainsi, l'ancien droit n'accordait l'envoi en possession des biens d'un absent qu'au bout de dix ans, l'article 93 réduit ce terme de moitié. L'article 388 déclare que les rentes constituées et toutes les rentes perpétuelles ou viagères, sauf l'emphythéose, sont meubles. Des changements très importants se rencontrent dans le titre des successions. Il n'importe plus que les biens soient meubles ou immeubles, conquets ou propres. Ils ne forment, aux termes de l'article 599, qu'une

seule et même hérédité. L'ordre des successions est modifié; ici il m'est impossible de rien préciser, les indications viendront en temps et lieu. L'héritier bénéficiaire n'est plus exclu en ligne collatérale par celui qui offre de se porter héritier pur et simple (art. 683). Aux termes de l'article 932, la substitution ne peut plus s'étendre qu'à deux degrés outre l'institué; telle était la doctrine du vieux droit français, mais on considérait cette doctrine modifiée par la liberté illimitée de tester. la liberté illimitée de tester. L'article 1012 abolit le recours que les majeurs pouvaient exercer contre leurs contrats en cas de lésion, c'est un des changements les plus notables du code. Mais la modification la plus importante en même temps que la plus radicale, c'est celle de l'article 1025 qui déclare que le consentement seul suffit pour transférer la propriété, sans la tradition. L'article 1040 soumet l'action paulienne à la prescription annale. La théorie des fautes subit, à l'article 1064, un changement radical. Il ne sera plus question de la faute lourde, légère ou très-légère, on exigera seulement les soins d'un bon père de famille (a). La remise de la part de l'un de plusieurs créanciers solidaires, n'affecte plus que la part de ce créancier (art. 1101). Depuis le code civil, un seul notaire peut recevoir les actes, sauf le cas des testaments (art. 1208). L'article 1265 abolit le don mutuel d'usufruit. Des changements sont introduits quant aux ventes à réméré, il en sera question plus tard; il en est de même du titre des Rentes viagères, au sujet duquel je fais le même renvoi. Maintenant le créancier peut, en cas de stipulation à cet effet, garder le gage, à défaut de paiement (art. 1971). Au titre de l'Enregistrement des droits réels, il y a trop de changements, pour que je puisse en parler ici. Du reste, ces dispositions ont été encore modifiées depuis la codification. L'article 2202 déclare que la bonne foi se présume toujours dans la possession. De notables changements ont été faits au titre de la prescription, il en sera également question plus loin.

Je ne prétends pas avoir indiqué toutes les modifications importantes que le code civil a fait subir à l'ancien droit. Pour cela, il aurait fallu écrire un traité à part, alors qu'il vaut bien mieux renvoyer le lecteur aux précis que MM. de Bellefeuille et McCord impriment en tête de leurs codes. J'aurai d'ailleurs l'occasion d'y revenir en temps et lieu et ce que j'en dirai aura alors plus de suite.

(a) Ce qui n'empêche pas que l'étendue de la faute se mesure toujours par la nature du devoir.

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