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Jésus, et Jésus et le Centenier, qui étaient aux Carmes déchaussés (1). Tous deux avaient été enlevés par les Français. L'un seulement nous a été rendu en 1815 et orne maintenant le fond de l'une des chapelles latérales de saint Paul: c'est le Baptême de Jésus-Christ. Le seul reproche que l'on ait fait à cette belle toile, c'est que la vigueur musculeuse du saint Jean Baptiste (2) est plus propre à représenter un Hercule qu'à rappeler l'idée d'un pénitent du désert. Qu'on nous permette d'exposer les motifs qui nous empêchent d'adhérer à cette critique sévère. Les arts du dessin ne gagneraient rien, ce nous semble, à admettre des types immuables pour toutes les figures historiques, mythologiques ou sacrées, Les anciens ont fait des Vénus, dont les caractères varient à l'infini, depuis la sévère et presque mâle beauté de la Vénus de Sparte jusqu'aux formes molles de la voluptueuse Vénus d'Ionie. Il y a presque le même intervalle entre les formes légères et, pour ainsi dire, aériennes que l'Albane a données à ses nymphes et à ses amours, et les formes puissantes dont Rubens a doté jusqu'aux graces sans qu'on puisse y méconnaître

(1) Le couvent des Carmes déchaussés, situé rue Hors-Château, avait été dévasté en 1637 dans le flagrant des vengeances populaires provoquées par l'assassinat de La Ruelle, et ces religieux s'étaient réfugiés à Huy, Le récès du magistrat et du conseil de Liége qui leur rendit la permission de rentrer chez eux est du 29 août 1640, et ce n'est que quelques années après, disent les historiens, et au moyen de secours qu'ils obtinrent de personnes charitables, qu'ils purent d'abord réparer leur maison et rebâtir ensuite leur église. V. Dewez, loco citato, p. 247.

(2) Mémoire de De France lu à la Société d'Emulation, rapporté par Villenfagne, Mélanges de 1788.

les caractères de la beauté. Les grands maîtres ont habituellement donné à saint Jean Baptiste adulte l'air presque épuisé d'un ermite accoutumé au jeûne le plus sévère et ils ont bien fait puisque cette donnée entrait dans la combinaison des grands effets qu'ils voulaient produire; mais, s'il n'est pas rare, comme nous le croyons, que le régime le plus austère fortifie, au lieu d'affaiblir, la complexion des hommes qui vivent loin du séjour des villes, par quel motif serait-il interdit au peintre de donner à saint Jean Baptiste un peu de vigueur, surtout s'il espère tirer un grand parti de cette innovation ? or, c'est précisément ce qui nous paraît résulter de la manière dont notre artiste a conçu son sujet. Son saint Jean Baptiste, ainsi que les autres figures qui entourent le Christ appartiennent toutes à une race forte; et malgré l'expression grave de leur physionomie et qui marque bien qu'elles sont toutes occupées du grand mystère qui va s'accomplir, leur vigueur même atteste et rappelle, si je puis m'exprimer ainsi, qu'elles appartiennent toutes exclusivement à l'humanité. N'était-ce pas le moyen le plus sûr de faire d'autant mieux ressortir l'admirable caractère que l'artiste a imprimé à l'Homme-Dieu, dont les formes sont plus nobles et aussi gracieuses que le permettait la gravité du sujet, et dont la carnation plus blanche, sans sortir de la vérité, semble briller dans toutes ses parties d'un reflet de lumière céleste (1).

(1) Monsieur Jéhotte, frère de celui qui n'a pas cessé d'exercer sou art parmi nous, avait commencé la gravure de ce tableau, il serait bien à désirer que l'auteur de la belle estampe de Goffin, reprit son burin vigoureux pour achever l'œuvre de son frère.

Carlier avait fait pour l'église des Conceptionistes au Pont d'Amercœur, un saint Joseph adorant l'enfant Jésus. L'auteur des Délices du pays de Liége dit, dans son style naïf, que l'esprit ne peut rien imaginer qui ait plus d'agrément et plus de relief que ces deux figures. Nous tenons d'un artiste dont le jugement non moins favorable aura plus de crédit auprès de nos lecteurs (1), que l'on estimait ce tableau le plus beau de l'école romaine, en Belgique. Ce morceau, digne du Carrache, ne nous a pas été rendu.

Le chef-d'œuvre de Carlier, s'il fallait en croire les Délices du pays de Liége, était le tableau qu'il avait fait pour le baron de Stembier représentant ce magistrat avec sa famille (2). Sans adopter entièrement cet éloge qui nous semble exagéré, nous avouerons que cette toile nous paraît digne, en effet, du pinceau qui a produit les ouvrages dont nous avons déjà parlé. Celuici offre, dans sa composition, une singularité digne de remarque et que l'on rencontre toutefois assez fréquemment dans les anciens tableaux. Il représente le Christ apprenant aux Pharisiens que la simplicité des enfans est plus agréable à son père que les subtilités d'une science orgueilleuse. La figure du Christ est dans le

Un de nos plus jeunes artistes, M. Coquilhat, avait mis à la dernière exposition de Liége une copie du même tableau,' remarquable par sa fidélité, malgré la réduction considérable des proportions.

(1) De M. Dartois. V. la notice de Fassin, livrais. de janv. 1837. (2) Il avait été bourgmestre de Liége, et occupait la maison, rue Chaussée-des-Prés, qui fut vendue depuis au millionnaire Lecomte dont la fille unique épousa Delcreyer, général de la révolution liégeoise.

centre du tableau, tous les docteurs qui sont à sa droite (1) offrent non-seulement dans leurs costumes mais encore dans leurs traits de beaux types de figures juives, telles que les observateurs les plus sévères de la vérité historique nous ont accoutumés à les voir dans les scènes bibliques. Tous les personnages qui sont à la gauche du Christ, au contraire, à commencer par l'enfant qu'il tient par la main, sont tous portraits de Liégeois contemporains de Carlier : Carlier lui-même est derrière l'enfant, qui est un des fils du bourgmestre de Stembier, et l'épouse de Carlier, parfaitement ressemblante au petit portrait qu'il en a fait en miniature (2), figure à l'extrémité de la scène avec les membres de la famille de Stembier (3).

Les Délices du pays de Liége nous apprennent encore, sans nous indiquer les lieux où ils étaient, que Carlier avait fait aussi un Loth avec ses filles et un Alexandre au lit de la mort. Il nous a été impossible de découvrir l'Alexandre; mais son tableau de Loth est dans le cabinet de M. Ferdinand Desoer, et se fait remarquer à côté des œuvres de plusieurs autres grands maîtres qui s'y trouvent également (4).

Mais le véritable chef-d'œuvre de Carlier, d'après l'opinion la plus générale des anciens artistes qui ont

(1) C'est-à-dire, dans la partie gauche du tableau.

(2) V. page 28 de cette notice.

(3) Ce tableau, peint sur toile, de 6 pieds et demi de largeur sur 4 pieds et demi de hauteur, est maintenant dans le cabinet de M. Van Orle, à Liége.

(4) Ce tableau, peint sur toile, a 97 centimètres de hauteur sur 1 mètre 61 centimètres de largeur. M. Desoer possède aussi un portrait de Carlier peint par lui-même, de dimension moyenne.

pu comparer ses divers ouvrages, était le Martyre da saint Denis qu'il avait fait sur planche pour le plafond de la collégiale de ce nom. S'il fallait en croire D'Argenville (1), cette belle composition exécutée en secret et à l'insu de Bertholet, avait tellement excité la jalousie de ce dernier, qu'il aurait de dépit, jeté ses pinceaux au feu et renoncé entièrement à travailler depuis ce moment. Comme on sait que Bertholet, dont le caractère avait toujours été très-gai et qui se trouvait d'ailleurs dans une situation fort heureuse, tomba toutà-coup dans une profonde mélancolie, le besoin d'expliquer ce changement semble avoir seul donné naissance à cette supposition. L'auteur de la notice de Bertholet dans la Biographie universelle, après l'avoir reproduite d'après D'Argenville, trouve beaucoup plus naturel d'attribuer la maladie et la mort de ce peintre au puéril dépit conçu pour les succès de son élève, qu'au poison de la trop fameuse Brinvillers à qui pourtant un empoisonnement de plus ou de moins devait si peu coûter.

Essayons de détruire entièrement ces ridicules conjectures. Nous aurons rendu service à la société, si nous parvenons à prouver, par un exemple de plus, que les grands artistes, comme les hommes de mérite dans tous les genres, se recommandent aussi généralement par la candeur et l'élévation de leurs sentimens. D'abord, comme l'a judicieusement fait observer M. de Villenfagne (2), qui rapporté aussi cette anecdote, il est bien difficile de croire qu'on eût pu exécuter en secret un

(1) Abrégé des vies des peintres, déjà cité plus haut.
(2) Mélanges de littérature et d'histoire, p. 159, note 54.

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