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contraire et montra diplomatiquement trop d'hostilité. Les gouvernements sont comme les hommes on les voit d'abord glisser d'un côté, puis se pencher de l'autre pour éviter de tomber, sentir tour à tour le malaise de ces positions extrêmes et chercher ensuite le repos dans un moyen terme. C'est ce que vient de faire l'Autriche; car il n'en faut pas douter, ce rapprochement amical des deux empereurs à Weimar était depuis longtemps souhaité et l'on pourrait presque dire sollicité par la cour de Vienne. Dès 1856, après l'arrangement de la difficulté relative à Bolgrad, cette cour essaya quelques tentatives qui demeurèrent infructueuses. C'est seulement dans ces derniers temps que les instances obligeantes du roi Frédéric-Guillaume, oncle des deux empereurs, réussirent à faire agréer à son neveu de Russie, lors de son récent voyage à Berlin, la proposition d'une rencontre avec l'empereur François-Joseph, entrevue destinée, dans la pensée du roi de Prusse, non pas à reconstituer l'ancienne alliance austro-russe devenue impossible de part et d'autre, mais à opérer entre les deux princes un rapprochement amical susceptible d'adoucir les rapports de leurs cabinets. >>

MÉMOIRE INÉDIT

SUR LA

QUESTION DES LIEUX SAINTS

La question des lieux saints mérite encore aujourd'hui une étude particulière, non-seulement parce qu'elle est redevenue en plein xixe siècle le point de départ d'une lutte mémorable, mais aussi parce que rien ne saurait mieux qu'une telle étude faire connaître la situation réciproque en Orient des sectes chrétiennes et des musulmans. Les documents historiques se rattachant à cette grande question n'ont pas encore été suffisamment étudiés : l'esprit de parti s'est seulement emparé de quelques-uns pour en tirer des conclusions souvent contraires à la vérité. Tous les hommes d'État sérieux ont du reste la conviction profonde que cette question se présentera plus tard avec non moins de gravité que la dernière fois, et que la position que la Russie occupe en face de ses coreligionnaires de Turquie fait que la question des lieux saints et avec elle la question d'Orient restent toujours pendantes. Nous n'avons pas la prétention d'épuiser ici ce vaste sujet; mais cet exposé confirmera au moins la grande vérité que ni les guerres ni les congrès ne sont capables de guérir des maux dont le développement se confond avec la vie même de plusieurs peuples.

La terre sainte, malgré l'occupation séculaire des Turcs, est restée pour tous les rites chrétiens l'objet de la vénération la plus

profonde. Ni les schismes qui ont déchiré le sein de l'Église, ni la terrible oppression de la domination musulmane d'autrefois, laquelle tout en n'excluant pas une certaine tolérance religieuse, a cependant à différentes époques menacé les chrétiens de l'orient d'une destruction complète, n'ont pu empêcher que presque toutes les nations chrétiennes n'aient conservé dans la ville sainte et dans ses environs des couvents et des lieux de pélerinage. Jérusalem d'après plusieurs voyageurs contient 16,000, d'après d'autres 20,000 habitants, parmi lesquels on compte à peu près 2,000 grecs, 1,000 catholiques, 350 arméniens, 100 coptes, 20 syriens, 20 abyssiniens et 40 chrétiens du rite évangélique. Les musulmans ont détruit une partie des édifices construits dans les siècles précédents sur les lieux auxquels se rattache l'histoire de la vie et du martyre de Jésus-Christ; ils en ont laissé d'autres tomber en ruines; enfin ils se sont emparés de quelques-uns, entre autres de la maison de Pilate dont ils ont fait une caserne, de la prison de Saint-Pierre qui appartient actuellement à un corroyeur turc, et de plusieurs églises que nous nommerons plus tard. Le nombre des monuments qui aujourd'hui encore se trouvent en la possession des chrétiens ne manque pourtant pas d'importance. Il faut mentionner en première ligne : l'église catholique de l'Annonciation à Nazareth, l'église de la Nativité à Bethléem, appartenant à tous les rites; l'église actuellement détruite de Sichem, bâtie par Sainte-Hélène à l'endroit du puits de Jacob; l'église grecque de Cana, sur les lieux où le Christ changea l'eau en vin; l'église catholique de Tibériade, où saint Pierre reçut sa mission; l'église de la Présentation, que Justinien fit construire dans l'enceinte du Temple et dont les Turcs ont fait une mosquée; l'église catholique de la Flagellation à Jérusalem; l'église du SaintSépulcre à Jérusalem, appartenant à tous les rites; l'église des Apôtres sur le mont Sion, et l'église de l'Ascension sur le mont des Oliviers, lesquelles sont toutes les deux occupées par les musulmans; l'église de la Sainte-Vierge à Gethsemani, à tous les rites, et la grotte de l'Agonie appartenant aux catholiques, également à Gethsemani. En deuxième ligne il faut citer l'église catholique de Saint-Jean in montana; l'église catholique de la Trans

figuration sur le mont Thabor, actuellement détruite; et l'église de la Décapitation à Sébaste, appartenant aux Turcs. Dans la plupart de ces églises il y a des sanctuaires et des lieux de pélerinage tels qu'autels, chapelles, grottes, etc., occupés par l'une ou par l'autre des sectes chrétiennes ou par plusieurs ensemble. Quoique la possession de ces lieux ne puisse se manifester que par l'exercice du droit accordé à l'une ou à l'autre secte de les orner de tapis et d'y allumer des lampes, et quoique cette possession plus idéale que réelle n'exclue nullement les autres sectes du droit d'y faire des prières, la question de la possession de telle ou telle pierre, de tel ou tel sanctuaire est devenue depuis des siècles la cause de nombreuses contestations et même de voies de fait entre les chrétiens de la terre sainte. Les Arméniens, les Coptes, les Syriens et les Abyssiniens étaient toujours en trop grande minorité pour pouvoir faire prévaloir leurs prétentions; la véritable lutte n'a cessé d'exister entre les grecs et les catholiques. Les fonctionnaires turcs semblent n'avoir vu dans ces tracasseries qu'un excellent moyen de garnir leur bourse; la Porte cependant a plusieurs fois essayé d'y mettre fin par des jugements qu'elle a fait rendre sur les lieux mêmes ou par des firmans qui avec le temps ont dû se contredire d'autant plus que l'indifférence, le caprice, les considérations politiques et souvent aussi la corruption ont joué un rôle important dans l'émission de ces sortes de documents.

Une enquête minutieuse sur la question de savoir comment les différentes sectes se sont mises en possession de tel ou tel sanctuaire est à peu près une impossibilité. Pour s'orienter tant soit peu dans l'inconcevable dédale des firmans, des arrêts, des capitulations et des traités invoqués tantôt par l'un, tantôt par l'autre parti et interprétés nécessairement en sens inverse par chacun, il est bon d'envisager toute la question sous cinq faces différentes. D'abord il faut considérer la priorité de la possession; il faut ensuite estimer la valeur des firmans que les catholiques et les grecs ont obtenus des premiers conquérants de la Palestine et des sultans turcs; puis il faut discuter les traités que la Porte a conclus avec la France et la Russie et qui ont trait à la question religieuse; il faut ne pas perdre de vue le droit incontestablement

supérieur de la Porte qui résulte de sa position politique, et enfin il faut avoir égard à la proportion numérique et à la coopération respective des deux principales sectes pour la conservation des lieux saints.

La priorité de possession est revendiquée par les Grecs aussi bien que par les Latins. Dans les derniers siècles les Latins jouirent cependant de la majeure partie des lieux de pèlerinage et il est hors de doute que les Grecs ont successivement empiété sur leur terrain jusqu'au point de les expulser plus ou moins entièrement de plusieurs sanctuaires jadis occupés par les catholiques seuls. Aussi la question, si l'on veut se placer à un point de vue vraiment impartial, est-elle moins de savoir si les Latins sont fondés dans leurs réclamations contre les empiétements récents des Grecs que de rechercher s'il n'y a pas eu sous le couvert d'une certaine légalité usurpation de la part des Latins quand ils se sont arrogé la possession exclusive des lieux les plus vénérés. C'est sur ce terrain qu'il faut aborder la question, pour l'envisager sous son côté historique plutôt que sous son côté politique. Nous avouerons qu'à ce dernier point de vue les Grecs se trouvent en grand désavantage : la Russie, au lieu de faire triompher leur cause leur a en somme par sa diplomatie maladroite et agressive fait un tort immense, et la Porte pour les affaiblir au centre même de leur union politique et religieuse a été naturellement portée à les contrecarrer par les concessions qu'elle fit aux Occidentaux.

La polémique concernant les intérêts des chrétiens en Orient ne commença à prendre un caractère grave qu'en 1850. Il parut alors à la librairie de Lecoffre, à Paris, un livre intitulé: «Question des lieux saints,» par M. Eugène Boré, qui fit grande sensation surtout à Paris et à Constantinople, et qui a provoqué dans cette dernière ville plusieurs réponses anonymes restées à peu près inconnues en Europe. Le livre de M. Boré a été écrit à Jérusalem sous l'inspiration même du patriarchat catholique; aussi sa partialité a-t-elle été bien prouvée depuis non seulement par les Grecs, mais encore par un prêtre catholique, M. l'abbé Michon. L'auteur du présent mémoire n'a pas voulu se contenter d'un simple examen de ces réfutations; après avoir étudié la plupart des livres

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