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Si l'on réfléchit que l'Angleterre eût été la première à ressentir les funestes effets d'une telle augmentation des forces de son ennemi, on avouera que ce n'a pas été trop faire de sa part que de récompenser la persistance de la Suède en demandant que les îles d'Aland, situées en face de Stockholm, fussent désarmées; ç'a été le premier à-compte qu'elle ait donné en échange des avantages que lui procure à elle principalement le traité protecteur du territoire suédois. Toutefois en disant que ce traité donne de grands avantages surtout à l'Angleterre, nous n'entendons pas nier l'importance qu'il a pour l'Europe entière. C'est que la puissance morale exercée par la Grande-Bretagne doit son origine à la nature de ses frontières toutes maritimes: ce qui lui fait peut-être même involontairement écouler ses propres avantages au dehors et les répandre jusque sur des rives lointaines. Quant à la France au contraire, il y a lieu de craindre qu'elle n'ait un jour à se repentir d'avoir pris part à la conclusion de ce traité; si elle veut en observer fidèlement les conditions, elle pourra être entraînée dans une guerre maritime contre la Russie et forcée dans ce cas de concourir à la destruction de la seconde flotte russe qui pourrait dans des circonstances données lui devenir utile pour accroître le contre-poids dont elle a besoin pour maintenir l'équilibre entre elle et l'Angleterre. Et qui sait si la prévision que le danger qui menaçait la flotte russe de la Baltique par suite de l'alliance avec la Suède venant se joindre à l'anéantissement déjà consommé de la flotte de la mer Noire constituerait un affaiblissement sérieux de la Russie au profit de l'Angleterre, n'a pas contribué pour beaucoup à décider la France à conclure la paix.

XLIV. Il est un fait consolant à signaler dans le cours de

cette guerre c'est que, malgré l'immolation d'un grand nombre de victimes, l'humanité y a joué un rôle éminent. Jamais champs de bataille n'ont été le théâtre de scènes de générosité plus sublime; jamais dans aucune guerre on n'a dépensé des milliards sans exiger du vaincu ces frais de guerre au moyen desquels on fait ordinairement payer à d'innocentes populations les coups qu'on leur a portés. Il était conforme à l'esprit général qui a présidé à cette guerre qu'au moment de la terminer les gouvernements, après avoir dès le commencement des hostilités renoncé à l'application de l'ancien droit maritime si contraire à nos mœurs, aient conquis des titres impérissables à la reconnaissance des nations en proclamant les principes d'un nouveau code maritime.

Voici en quoi consistaient les abus qu'on couvrait du nom de droit des mers dès que les hostilités éclataient entre deux nations, celles-ci ne se contentaient pas d'armer leurs vaisseaux de guerre pour se faire réciproquement le plus de mal possible soit en détruisant leurs stations, soit en entravant leurs convois militaires ou de commerce; mais en outre elles délivraient à des commerçants, à d'autres spéculateurs et à des aventuriers des patentes dites « lettres de marques », en vertu desquelles ces derniers pouvaient armer des vaisseaux en course et faire des prises. Dès lors les vaisseaux appartenant à l'État ainsi que ceux des armateurs particuliers non seulement avaient le droit de s'emparer des bâtiments propriété du gouvernement ennemi, droit contre lequel il n'y avait au fond rien à objecter; mais en même temps ils étaient libres de capturer les navires des particuliers dont le gouvernement était en guerre avec le leur, bien que ces particuliers ne fussent point cause de la guerre, et de capturer même ceux des commerçants plus innocents encore de nations nulle

ment engagées dans le conflit, lorsque ces bâtiments portaient des marchandises appartenant à l'ennemi ou s'approchaient de ports bloqués. Le blocus lui-même donnait lieu aux abus les plus révoltants; car souvent on déclarait bloqués ou fermés tous les ports d'un pays sans qu'on pût mettre cette mesure à exécution par la force armée. Si la pratique de ces lois anormales eût été absolue, le commerce, lorsqu'à peine il commençait à se développer au sortir du chaos du moyen âge qui en avait longtemps paralysé l'essor, eût été étouffé au berceau. Aussi dès le xve siècle voyonsnous les nations chercher à se garantir contre les funestes effets de ces mesures abusives dont elles avaient été ellesmêmes les instigateurs, et il fut du moins en partie adopté qu'il ne serait point porté atteinte à la propriété des neutres sur mer. Plus tard on poussa plus loin la tolérance en laissant circuler librement la propriété ennemie transportée sous pavillon neutre. C'est l'Angleterre qui opposa à cette dernière réforme la résistance la plus opiniàtre, que ne furent point capables d'ébranler les deux grandes coalitions des puissances neutres en 1780 et en 1800. La Grande Bretagne doit à cette rigueur de sa politique maritime une grande partie de sa prépondérance commerciale et de sa richesse. Elle obligea la moitié des États du monde à confier exclusivement à des navires anglais le transport de leurs marchandises; et tandis que les autres pays éprouvaient d'énormes difficultés à expédier leurs produits, elle ouvrait des débouchés immenses à ses manufactures. Personne n'ignore quel usage elle a fait de sa marine, notamment contre le premier empire français. Bien que la France ait généralement suivi la coutume d'armer des corsaires, sa marine était toutefois dans une proportion trop grande d'infériorité avec la marine anglaise pour espérer

exercer sur l'empire des mers la même tyrannie que le lion britannique; aussi déjà depuis deux siècles la France, tantôt seule, tantôt de concert avec d'autres États et principalement avec les États septentrionaux, a-t-elle fait des efforts presque continus afin d'obtenir plus de liberté en faveur de la navigation maritime.

La prépondérance commerciale de l'Angleterre est actuellement établie pour longtemps; moins qu'autrefois elle a à redouter une rivalité sérieuse de la part des autres nations. Son industrie a pris un tel développement, le nombre de ses navires marchands s'est tellement accru que la marine française, qui elle aussi dans ces derniers temps a subi un accroissement considérable, serait désormais à même d'occasionner de graves dommages aux immenses envois de marchandises faits par la Grande-Bretagne et qu'il ne deviendrait guère plus possible à cette dernière puissance de les protéger suffisamment en cas de guerre. De l'avis des marins les plus compétents on est à la veille d'une transformation générale de la marine à voiles en marine à hélices, et s'il est vrai que les navires de ce dernier système ne pourraient pas croiser longtemps en pleine mer à cause des difficultés qu'ils auraient de se pourvoir de charbon en 'assez grande quantité, il est vrai aussi qu'ils pourraient inquiétér les bâtiments anglais au moment de leur entrée dans le canal ainsi que dans les eaux de la plupart des colonies britanniques et au moment de leur sortie. Le commerce d'aucune nation n'aurait en de certaines circonstances autant à souffrir de ce changement que celui de l'Angleterre. Cette puissance a donc d'abord agi dans son propre intérêt, si en échange de ce que la France a renoncé à l'armement de corsaires et en prévision qu'aucun autre État n'aurait plus le courage d'autoriser la piraterie en cas de

guerre, elle a abandonné son ancien système de guerre maritime. C'est ainsi que les puissances signataires de la paix du 30 mars sont arrivées à formuler cette importante déclaration : que la course est abolie; le pavillon neutre couvre la mar<<chandise ennemie, à l'exception de la contrebande de guerre; « la marchandise neutre, à l'exception de la contrebande de << guerre, n'est pas saisissable sous pavillon ennemi; les blocus << pour être obligatoires doivent être effectifs, c'est-à-dire << maintenus par une force suffisante pour interdire réelle<<ment l'accès du littoral de l'ennemi. >>

Nous n'entendons point méconnaître la valeur de la concession faite par la Grande-Bretagne; mais nous ne saurions non plus perdre de vue ce point important qu'elle avait un puissant intérêt à voir en outre de la France les États-Unis d'Amérique surtout renoncer au maintien de la piraterie. Or le gouvernement de Washington a déclaré être prêt à accepter le nouveau droit maritime à condition pourtant qu'il recevrait plus d'extension. Si en cas de guerre les États-Unis n'armaient plus de corsaires, ils se trouveraient en désavantage principalement à l'égard de la Grande-Bretagne dont la marine militaire est plus nombreuse. Ils demandent par conséquent qu'on ajoute à la déclaration du 16 avril que les vaisseaux ennemis portant de la marchandise ennemie soient garantis des attaques des vaisseaux de guerre. Cette nouvelle réforme donnerait à la vérité une garantie excessive au commerce; mais d'un autre côté on alimenterait la guerre elle-même, tandis que si leur commérce souffre, les belligérants sont plus tôt forcés de se tendre la main.

XLV. Au commencement du Congrès il était fortement question de contraindre la Russie, sous forme de l'extension

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