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L'agent diplomatique entretient constamment des rapports avec le gouvernement près duquel il réside, pour les affaires ordinaires. S'il surgit une question importante, à moins qu'il n'ait des instructions précises et spéciales, il se contente de notifier à ce gouvernement qu'il se dispose à la discussion et qu'il va prendre les ordres de son gouvernement; dès qu'il a reçu ces ordres, il débat, il discute, il transige, enfin il négocie.

Telle est l'échelle de diverses fonctions que les agents politiques ont à remplir au dehors.

II. La première classe des devoirs qui leur sont imposés est donc toute renfermée dans l'exercice de leur vigilance : cette vigilance suppose qu'ils ont acquis la connaissance exacte des intérêts et des droits nationaux dans le pays de leur résidence; ce qui comprend nécessairement toute l'étendue de nos rapports commerciaux et toute celle de nos rapports politiques. Ce ne peut être que dans la pratique d'une agence bien exercée, que cette connaissance se complète; les intrigues, les ambitions personnelles et le caractère individuel des gouvernants, sont une partie essentielle de la science politique et ne peuvent être bien connus que de ceux qui ont la charge journalière de les étudier et de les combattre. Dans cette partie de leur tâche, les agents ne sont gênés par aucune restriction; ils sont dans le domaine plein et illimité de leur zèle; il recherchent tout ce qui est susceptible d'être connu; ils transmettent à leur gouvernement tout ce qu'ils sont parvenus à découvrir.

III. Mais en entrant dans la seconde classe des devoirs de leur place, la prudence, qui est une des plus importantes qualités que les fonctions diplomatiques exigent, doit accompagner toutes leurs déterminations; il ne s'agit pour eux sans doute que de laisser voir aux ministres du gouvernement près duquel ils résident, qu'ils ont observé tel ou tel indice de leurs vues: cependant, ils ne doivent pas se décider, sans réflexion, à cette manifestation de leur surveillance; car l'effet naturel de cette manifestation doit être d'empêcher, d'arrêter la marche de ces ministres, et il est tel cas où il peut être utile de les laisser aller plus avant, de leur donner une marge plus ample, pour se prononcer mieux ; il se peut aussi qu'étant peu assuré de réussir à arrêter la malveillance d'un gouvernement, il ne convienne pas de paraître apercevoir des vues que la dignité nationale voudrait voir rétractées aussitôt qu'elles se dévoilent : c'est à l'habileté des agents à consulter sur ce point l'esprit de

la mission dont ils sont chargés et l'honneur du gouvernement qu'ils représentent ici leur responsabilité est toute entière dans l'exercice de leur discernement.

IV. Lorsque l'agent politique entre en relations officielles avec les ministres du gouvernement local, il doit sans cesse avoir présent à l'esprit le système des droits nationaux, qui sont tracés par les usages reçus et par le texte des traités; s'il s'agit d'une amélioration dans les rapports établis, il doit chercher ses titres dans l'esprit de ces traités et dans le système général des intérêts respectifs des deux gouvernements.

Quoique, dans l'exécution de cette classe de devoirs, l'agent diplomatique voie d'un coup d'œil la route qui s'ouvre devant lui, il faut cependant qu'il fasse usage de toute sa sagesse avant de s'y engager. Il ne doit jamais perdre de vue que quand il parle officiellement, les ministres ne voient plus en lui que le gouvernement qu'il représente. Cette pensée doit être sans cesse pour lui un motif de circonspection et de retenue.

La première règle à observer à cet égard est de ne rien présumer, de ne jamais agir sans autorisation, de réclamer des instructions précises, et de se bien pénétrer de ce principe, qu'en matière de discussion positive, soit qu'il s'agisse de déclarer, soit qu'il s'’agisse de répondre, les gouvernements seuls proposent et négocient, et les agents diplomatiques ne sont que les organes. Ils n'ont pas la faculté ni d'accorder, ni de refuser, ni de transiger; ils exposent seulement les déterminations du gouvernement qu'ils représentent. Mais s'ils sont des organes sans volonté, ils ne doivent pas être des organes sans intelligence en énonçant les décisions dont ils sont les interprètes, ils ont la charge d'en plaider la justesse, et de choisir le temps et les moyens d'en assurer le succès. Leur responsabilité à cet égard est toute entière dans leur fidélité à se renfermer dans leurs instructions et dans leur sagacité à bien en connaître la portée. En effet, dans toute instruction relative à une discussion de droit, il y a des dégrés d'exigence ou de sacrifice qui, laissent au discernement de l'agent une grande latitude. Mais il ne faut pas s'y méprendre, la responsabilité d'un agent n'est pas déterminée par le maximum des sacrifices et par le minimum d'exigences qui sont portés dans ses instructions: le mieux, dans ce qu'il était possible de faire, entre essentiellement dans les devoirs de sa mission; ce mieux doit être son but, et c'est par ses efforts seuls, et non par les résultats, que sa conduite sera jugée.

V. Tout chef de mission doit connaître parfaitement pour le pays où il réside:

1o Ce qui regarde la mission même et ses droits, ses immunités, ses relations;

2o Le personnel de la Cour, ses usages, son cérémonial; liste civile ;

3o L'organisation du pays au point de vue politique, administratif et judiciaire;

4o Le système commercial.

Pour s'assurer de la manière dont les agents comprennent leurs devoirs à cet égard, le ministre des affaires étrangères devrait exiger d'eux des rapports portant :

a. Sur le personnel diplomatique dépendant du chef de mission; Sur l'état des archives de la mission, analyse sommaire des dossiers; Les usages et l'étiquette de la Cour ; - Les audiences d'arrivée et de congé, leur cérémonial; Les devoirs de société à remplir avant les audiences; Les devoirs de nécessité et de politesse à remplir après les audiences; — Les immunités diplomatiques;

Le rang que les agents observent entre eux, les honneurs, les prérogatives dont ils jouissent à la Cour et ailleurs; -Les missions accréditées dans la capitale où l'agent réside; leur personnel, leur budget.

b. Portrait physique et moral du souverain et des membres de sa famille; liste civile, apanages, douaires; - État de la Cour et du personnel qui y figure; - Ministres, courtisans, personnages influents.

c. Manière dont le gouvernement est organisé; - Budgets; Revenus publics; - Force armée; Marine; Entrer dans des détails plus particuliers en ce qui concerne l'organisation du département des affaires étrangères; ses attributions, son personnel, son budget. Législation relative à l'état civil, aux successions, à la naturalisation, aux étrangers, aux passe-ports.

d. Système commercial du pays; - Ressources industrielles ; —— Éléments du commerce international; Personnel des consuls bel

ges; Prérogatives dont ils jouissent, immunités et franchises. On recommanderait aux agents, de joindre à leurs rapports, les principales lois organiques.

Ces travaux auraient pour résultats de faire connaître au gouvernement la situation politique des divers États; ils mettraient le personnel de la mission à même de se rendre maître du terrain sur

lequel il agit; enfin, ils permettraient au Ministre des affaires étrangères, d'apprécier la capacité de ses agents.

Tous ces résultats sont incontestablement utiles 1.

AGRÉATION;

CHAPITRE II.

DÉSIGNATION

DEMANDE DE RAPPEL DES AGENTS DIPLOMATIQUES;
PAR UN SOUVERAIN ÉTRANGer de l'agent a ACCRÉDITER A SA COUR.

Lorsqu'un gouvernement se propose d'accréditer un agent diplomatique auprès d'une Cour étrangère, il est d'usage qu'il fasse pressentir sur le choix qu'il se propose de faire l'intention du gouvernement auprès duquel il veut envoyer son ambassadeur ou ministre. Le gouvernement étranger agrée la nomination ou exprime le vœu qu'une autre personne soit désignée.

L'usage de l'agréation, introduit généralement aujourd'hui, ne repose pas sur un principe déterminé du droit des gens, mais sur des motifs de courtoisie et sur le désir d'éviter qu'un agent officiellement nommé ne soit pas reçu.

Il n'existe pas de règle absolue, quant aux formalités observées pour notifier, d'une part, la nomination, de l'autre, l'agréation ou la non agréation. Quelquefois les souverains s'écrivent directement, souvent c'est le ministre rappelé ou le chargé d'affaires par intérim qui fait connaître le nouveau choix en demandant l'agréation. Il arrive aussi que le Ministre des affaires étrangères fait part verbalement du choix à l'Envoyé du pays où le nouveau ministre doit se rendre. Tout ceci dépend des relations personnelles qui existent entre les deux souverains, des circonstances qui rendent la place vacante. A part le cas où les souverains s'écrivent directement, les communications sont verbales. Il suffit que les intentions soient réciproquement constatées d'une manière irrécusable. On conçoit que les souverains n'interviennent que lorsqu'ils entretiennent des rapports tout à fait intimes. Une proposition officielle de leur part serait compromettante, car si un refus intervenait, il aurait quelque chose de blessant.

C'est donc presque toujours dans des entretiens particuliers et confidentiels, que ces questions délicates sont débattues et arrêtées.

1 J'ai mis à profit pour cette partie de mon travail, les instructions adressées en l'an vi par M. de Talleyrand aux agents diplomatiques français.

Les revirements de fortunes ministérielles et de systèmes de gouvernement sont si fréquents, qu'il y aurait grave imprudence à toucher par écrit autrement qu'avec une réserve extrême des questions aussi brûlantes.

L'usage de l'agréation se conçoit aisément : l'envoi d'un agent diplomatique près d'un souverain étant un acte de courtoisie, on doit tâcher avant tout que la personne de cet envoyé soit agréable au gouvernement avec lequel il doit traiter. En agir autrement, ce serait placer l'agent dans une position fausse et mettre en péril le succès de sa mission. Une lettre de créance est, en outre, un acte bilatéral; elle peut donc, en strict droit, être refusée.

Le secret le plus absolu doit être gardé sur tout ce qui tient aux difficultés que l'envoi d'agents diplomatiques peut faire naître. Il faut soigneusement éviter surtout l'intervention toujours passionnée et les appréciations souvent injustes de la presse, qui ont pour résultat presque certain de rendre l'entente impossible. Le public ne pouvant jamais être initié à la connaissance de tous les faits, ne saurait juger sainement ces sortes de litiges.

L'usage établi autrefois entre Rome d'une part, et l'Autriche, l'Espagne, la France et le Portugal, d'autre part, donnait une forme particulière à l'agréation.

Le souverain pontife, lorsqu'il voulait accréditer un nonce auprès de ces Cours, usait du procédé qu'on appelle la Terna il faisait remettre une liste de trois candidats entre lesquels le souverain intéressé choisissait. Ces Cours jouissaient d'un privilége que le Souverain Pontife avait accordé au Roi Très-Chrétien, à Sa Majesté Impériale et Royale Apostolique, à Sa Majesté Catholique, et à Sa Majesté Très-Fidèle.

:

A Vienne, on se soumet à la formalité de l'agréation on a pour habitude constante de sonder préalablement les Cours étrangères avant d'y envoyer un agent politique, lorsqu'on n'a pas de motif particulier de savoir d'avance que le choix que l'on compte faire sera gracieux il suffit que le cabinet impérial soit prévenu verbalement que la personne qu'il avait en vue n'est pas agréable à la Cour près laquelle il voulait l'accréditer, pour qu'il s'abstienne de procéder à son envoi. Il propose ensuite une autre personne ou il ajourne toute proposition. Il ne demande aucune explication à cet égard; il n'en donne pas lorsqu'il refuse lui-même d'accepter un agent diplomatique étranger. Cette absence complète d'explications paraît la mar

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