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» Son époux et son Roi, pour lequel elle avait tout quitté, et qu'elle aima par-dessus tout, après son Dieu;

» Ses enfants..., mais je n'ai pas de parole pour dire cet amour, et si j'en avais, il est un silence et des larmes qui les feraient expirer;

» Ses pauvres, enfin, qui étaient les siens parce qu'ils étaient ceux de Dieu, et qui de leurs gémissements composent aujourd'hui l'éloge le plus cher à la mère qu'ils ont perdue!

» N'a-t-elle pas pensé à leurs petits enfants, - et n'avons-nous pas les écoles de la reine? Y a-t-il une seule bonne œuvre, un seul établissement de charité qui n'ait connu ses largesses toujours renaissantes, depuis la crèche et l'asile jusqu'à l'hospice, l'hôpital, le refuge et la prison!

» C'est qu'elle avait les deux attraits de Jésus-Christ : l'amour des petits et des infirmes, de l'enfance et du malheur! Elle avait aussi appris de lui à être douce et humble de cœur, et nous demandons si ce n'est pas pour elle qu'a été prononcée cette parole célèbre :

>> Fille, femme, mère, Reine, telle que nos vœux l'auraient pu faire, plus que tout cela, chrétienne. Elle accomplit tous ses devoirs sans présomption, et fut humble, non-seulement parmi toutes les grandeurs, mais encore parmi toutes les vertus (1).

» Douce, non par bienséance seulement, mais par un inépuisable fonds de bonté; simple, comme tous les esprits supérieurs, et nous savons de plus en plus, ce que sa modestie n'avait pu cacher à un petit nombre, combien la Reine était de ces esprits-là; prudente, non par calcul, mais par intelligence; discrète comme toutes les âmes droites; dévouée et s'offrant à Dieu sans cesse pour sa première et sa seconde patrie...

» Elle a vécu sans reproche devant Dieu et devant les hommes, et une gloire si pure est un parfum qui réjouit le ciel et la terre (2).

» Mais Dieu devait à une Reine la couronne des vertus, la souffrance qui les sanctifie, la patience qui les achève. Patientia opus perfectum habet (3). » Aussi voyez combien riche il la lui a faite!

» On souffre à proportion qu'on aime; combien donc a-t-elle dû souffrir, elle qui a tant aimé!

» La Reine avait une sœur, une autre elle-même; Dieu lui a repris cet ange, cette princesse Marie dont le nom nous est resté comme un symbole de sentiment et de piété.

>> Ses larmes n'avaient pas tari, qu'il se fit dans son cœur une source de larmes nouvelle : la mort lamentable et soudaine du duc d'Orléans, à laquelle elle n'était pas plus préparée que la France! Hélas! il me semble que Dieu voulût que cette pure Majesté mourût par le cœur, car sa nature plus fragile que son âme, ne put résister au coup terrible qui suivit les deux autres, et pouvait bien briser la Reine puisqu'il ébranla le monde. Tout lui devint un glaive de douleur : sa patrie ingrate ou trompée, la gloire de son père, un instant outragée par le doute, le Roi et la Reine errants, fugitifs sur des rivages ignorés de leur fille, qui, pendant huit jours et huit nuits, souffrit le martyre de l'incertitude.

(1) Bossuet.

(2) Ib.

(3) Ep. S. Jacques.

» Rassurée enfin sur la paix des siens, le fond de sa vie ne fut plus dès lors qu'un secret de Dieu. Dans la plupart des vies, la prospérité et l'épreuve se succèdent. Dans celle-ci, il semblait que la joie et la douleur dussent y régner ensemble. Ne pouvons-nous pas dire que la Belgique fut en grande partie l'instrument de cette joie, comme la révolution fut l'instrument de cette douleur? Épouse et mère heureuse, Reine chérie du peuple, elle voyait grandir à côté du Roi un fils au front duquel doit passer le diadème de son père, et fille des rois, elle contemplait avec une ineffable affliction sa famille vouée à la proscription et sa patrie au châtiment, et si Louise-Marie goûtait encore quelque chose de son propre bonheur, c'est qu'elle le savait partagé par d'illustres infortunes.

D

» Mais la douleur fut maîtresse : elle vit bientôt descendre son père dans la tombe, et cette troisième mort appela la sienne! Elle fut sainte comme sa vie! (1)

>> Et quoique cette vie s'affaissât sous la pesanteur de la croix, Louise-Marie ne murmura à sa fin que cette acte de divine reconnaissance :

» Que Dieu est bon de me laisser mourir au milieu de tout ce que j'aime! » On vit bien à cette heure dernière où la Reine avait puisé sa constance, où sa faiblesse avait trouvé sa force et toutes ses vertus leur élévation... dans l'union avec son Dieu. Elle le vit arriver comme un hôte connu depuis longtemps et qui, après l'avoir aidée à vivre, venait l'aider à mourir! Elle avait besoin de lui pour vider le calice! elle le fit avec amour en présence de tout ce qui l'eut dû rendre amer! Elle reçut son Dieu, bénit ses enfants, colla ses lèvres mourantes sur la main de son royal époux, regarda sa mère et les siens, et rendit à Dieu son âme pleine de l'espérance qui ne confond pas !

» Nous vîmes alors s'accomplir ce qui est écrit:

» Le Roi pleurera, les princes seront désolés, et les mains tomberont au peuple de douleur et d'étonnement!

>> Nous l'avons dit, aucune parole ne peut rendre la mystérieuse émotion de tendresse que chacun retrouve en soi et rencontre dans les autres. J'ai tort de l'appeler ainsi, mes frères, car elle ne doit être un mystère que pour ceux qui ignorent la conduite de Dieu. Il avait accordé une mère à la famille belge; est-il donc étonnant que celui qui ne fait rien à demi et qui met l'harmonie dans ses œuvres, après avoir donné à Louise-Marie un cœur de mère pour nous, nous ait donné à tous des cœurs d'enfant pour elle!

» Là est la raison de ce qui se passe, la vraie cause du sentiment universel. >> Mais la tendresse n'est pas la seule chose qui soit au fond de notre douleur. Il s'y mêle un respect profond, qui a lui-même sa source dans le caractère de la vertu de l'auguste personne que nous pleurons. Nous le voyons hautement reconnu ce caractère, par toutes les autorités du pays, dans les paroles qu'elles adressent au trône. Leur accord est sublime, toutes l'ont nommée. non-seulement la bonne, la vertueuse, mais la sainte Reine! Tant il est constant que la vertu chrétienne possède une qualité plus qu'humaine, que les fruits de la grâce ne sont pas ceux de la nature, et que Dieu en venant par l'une au secours de l'autre, tient à faire discerner sa présence, et que ce Dieu

(1, Paroles du Roi,

fait homme, auteur de la grâce et consommateur de la foi, montre avec clarté où toutes les deux se trouvent véritablement. Jamais donc il n'a été plus vrai de dire que dans cette grande circonstance : La voix du peuple est la voix de Dieu!

» Jamais non plus on n'a vu se vérifier avec plus d'éclat la promesse de Jésus-Christ Celui qui s'humilie sera élevé!

:

» A proportion qu'elle a dérobé ses bonnes œuvres aux regards du monde, contente du regard de Dieu, à proportion, ce Dieu de justice et de bonté, imprime-t-il profondément dans la conscience publique la certitude et la science de cette incomparable vie !

1)

L'exemple est toujours un bienfait, mais il grandit encore quand il vient de haut. Il n'est une lumière aux yeux de tous, qu'à condition d'être élevé. Voyez donc ce que peut la vertu sur le trône, et quel don Dieu nous a fait en l'y plaçant! en l'unissant ainsi à la puissance!

» Je dis à la puissance, malgré les préjugés de mon temps, ou plutôt à cause des préjugés de mon temps, à cause surtout de tout le bruit que fait l'orgueil pour nier la hiérarchie des conditions humaines.

>> A une autre époque, la liberté chrétienne se réfugiait dans la chaire pour donner des leçons méritées aux maîtres du monde, et nunc Reges, intelligite. Aujourd'hui, plus que les Rois, les peuples ont besoin de leçons, et il faut apprendre au monde qu'il n'échappe pas à Dieu, quand il se donne des maîtres. Cette leçon, je le sais, est heureusement peu nécessaire ici; mais dût ma parole me revenir tout entière, sans avoir trouvé personne qui eût besoin d'elle, je la dirai cependant, afin que les échos de ce temple la portent où elle doit aller.... » Oui, la puissance est une chose divine (1), non-seulement dans la famille où elle naît d'elle-même par l'ordre de la nature, c'est-à-dire de son Auteur; non-seulement dans l'Église, cette grande famille des peuples où Dieu l'a prise sous sa sauvegarde en déterminant lui-même, sans intermédiaire, sa forme, ses limites, et la loi de sa transmission, comme il convenait à une société universelle et impérissable; mais aussi dans l'État où il a laissé ce soin aux hommes. Les sociétés peuvent donc quelque chose sur la forme, la condition, les accidents de la puissance; mais elles ne les créent pas dans son fond, puisqu'elles en dépendent, et n'existeraient même pas sans elle. Et quand des déchirements exigent sa réorganisation, elles sont encore sujettes alors à la grande loi des faits qui, dans leur génération, leurs liens et leur ensemble, sont sous la main de Dieu.

» Les multitudes si puissantes pour détruire, ne le sont donc pas pour édifier sans lui (2). Leur agitation ne révèle pas leur force, mais leur infirmité, et l'erreur à laquelle elles se livrent, l'erreur, cette faiblesse de l'esprit qui produit ou nourrit toutes les autres, n'est que le fruit amer de la disparition de la foi, lumière, raison supérieure et force tout ensemble, qui apprend à l'homme son insuffisance et le rattache noblement à Dieu.

» C'est d'elle que le peuple belge a appris le respect et l'amour du pouvoir. » C'est à elle qu'il doit d'avoir conservé l'un et l'autre.

(1) Omnis potestas à Deo. (S. Paul aux Romains.)

(2) Nisi Dominus ædificaverit domum, in vanum lab,raverunt qui ædificant eam.

(Ps.)

» Et c'est parce que le pouvoir a laissé chez nous à la Foi la libre expansion de sa doctrine et de ses œuvres qu'il a été lui-même affermi au milieu de l'ébranlement général, récompensé au milieu du châtiment universel.

» Réveillons donc notre foi et notre confiance au pied de cette tombe trèschrétienne, et sachons nous souvenir du puissant exemple de foi que la Reine nous laisse, et sachons nous en souvenir avec amour, puisque Dieu lui-même s'y est complu, et a pris soin de la glorifier d'une manière digne de lui.

» Il était si content d'elle, qu'il a voulu la voir mourir à l'extrémité du royaume, afin que, portée à travers nos provinces, comme sur les bras des populations, jusqu'au tombeau qu'elle avait choisi, elle imprimât en passant, dans le cœur de tous, l'empreinte de sa sainte vie et de sa sainte mort.

»Ne l'oublions jamais ce long cortége de deuil, ce char funèbre, cette couronne voilée, cette chapelle ardente que cherchaient tous les yeux, traversant ces multitudes accourues pour s'agenouiller au passage, pour prier et pour pleurer; ces prêtres, ces pontifes, se remettant les uns aux autres le dépôt vénéré, avec les prières et les bénédictions de l'Église.

N'oublions jamais ce moment douloureux et sublime où le Roi, entouré de ses fils, des princes de France et d'Allemagne, des représentants des Puissances étrangères, des ministres, des grands corps de l'État, des notabilités de la nation, d'une foule immense, innombrable, silencieuse, s'inclina devant l'auguste cercueil, et suivit à pied, la tête nue, les traits profondément altérés par la douleur, ce char de triomphe de la mort, dont on ralentissait la marche comme si l'on craignait d'arriver trop tôt à la tombe que l'on creusait et à l'heure du suprême adieu.

» Et plus tard... dans l'humble église, au pied du tabernacle et de ce sanctuaire de Marie où voulut reposer la Reine, nous avons vu une autre Reine, cette mère, cette chrétienne, cette martyre, cette Marie-Amélie, résignée et debout, et nous la regardions tous en pensant à la mère des Douleurs et en répétant tout bas: Stabat Mater!

» Non, non; Dieu ne nous fait pas témoins de si grandes choses pour nous ôter l'espérance. De pareilles douleurs doivent être fécondes et porter Dieu à répandre sur nous l'esprit qui doit nous sauver, l'esprit de grâce et de prières (1). Qu'il soit donc béni, de nous donner au Ciel un Ange de plus pour nous l'obtenir. Dominus dedit, Dominus abstulit, sit nomen Domini benedictum.

» Ah! cet acte de soumission si difficile à notre cœur ne le sera pas à notre foi.

» Mais considérez, Seigneur, considérez le sacrifice auquel nous consentons, le sacrifice que nous vous offrons! Vous nous l'avez enlevée; rendez-la-nous dans ces princes qu'elle nous a formés avec une sollicitude de reine et de mère, qu'elle a confiés au cœur de leur père, et placés, à la dernière heure, sous les ailes de la religion qui la lui rendait douce.

>> Et comme elle prie pour nous, pendant que nous prions pour elle, nous vous supplions, quand tout à l'heure les mains du pontife élèveront vers le

(1) Effundam super domum David et habitatores Jerusalem, spiritum gratiæ et precum (Zach. 12).

Ciel la victime sacrée, d'entendre ce qu'elle vous dira pour sa mère et pour les siens, pour le Roi et pour ses enfants, pour l'État et pour l'Église, pour la Belgique et pour la France.

» O mon Dieu, écoutez-la et exaucez-la! »

Après l'oraison funèbre, Monseigneur le cardinal-archevêque continua le saint sacrifice. La messe terminée, Son Éminence vint se placer vis-à-vis du catafalque, l'archevêque de Tyr, les évêques de Liége, de Tournay et de Namur prirent place sous les dais latéraux élevés aux quatre angles du cénotaphe.

Cinq absoutes furent successivement faites par ces prélats.
La cérémonie se termina à 2 heures.

Tous les corps constitués firent parvenir au Roi des adresses de condoléance. Le Sénat et la Chambre des représentants, qui n'étaient pas assemblés lors de la mort de la Reine, se hâtèrent, dès l'ouverture de la session, de porter au pied du trône l'expression de leurs sentiments.

Immédiatement après la mort de Sa Majesté, une souscription nationale s'ouvrit spontanément pour l'érection d'un monument à la mémoire de notre Reine vénérée et chérie. Un arrêté royal du 14 octobre 1853, décida que ce monument serait une église et que cette église serait construite à Laeken. Le 27 mai 1854, le cardinalarchevêque de Malines bénissait le terrain et la première pierre ; après cette bénédiction, le Roi posa solennellement la première pierre de l'édifice. A l'occasion de cette cérémonie, Son Éminence adressa à Sa Majesté les paroles suivantes :

" Sire,

» Le temple magnifique, dont nous allons bénir les fondements, sera un monument tout à la fois religieux et national. Erigé à l'honneur de Dieu, dédié à la très-sainte Vierge Marie et à saint Louis, il est également destiné à perpétuer la mémoire de la première Reine des Belges et à devenir le lieu de sépulture de la famille royale.

» Le peuple belge tout entier s'est associé avec élan à ce double but, et il a donné ainsi une preuve solennelle et de ses sentiments religieux et de son attachement à votre auguste dynastie.

» Votre Majesté, en approuvant ce projet patriotique et en contribuant à son exécution par un don très-généreux, a resserré les nombreux liens qui l'unissaient déjà à la Belgique.

» Puisse l'union si intime qui existe entre les Belges, leur Roi bien-aimé et sa Dynastie, s'affermir de plus en plus! Puisse-t-elle durer aussi longtemps que subsistera ce temple, qui en sera le symbole permanent !

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