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La nécessité de s'unir contre la France mit fin aux hostilités, avant que la guerre eut atteint son but.

Chaque fois que des guerres maritimes éclatent, les nations qui n'y prennent pas part, déclarent qu'elles entendent jouir des bénéfices de la neutralité. De leur côté, les Puissances belligérantes acceptent simplement la déclaration ou y font des objections. Car si la neutralité est un droit pour tout Etat indépendant, les limites de ce droit ne sont pas fixées. Le point où doivent s'arrêter les prétentions opposées n'a jamais été déterminé.

La Belgique, Puissance perpétuellement neutre, n'a pas de déclaration de neutralité à faire : la neutralité pour les autres Etats est une simple éventualité; pour notre pays c'est un fait permanent.

A la veille de la guerre d'Orient, la Suède et la Danemarck, notifièrent aux parties belligérantes, aux Etats maritimes de l'Europe, aux Etats-Unis et au Brésil, leur intention de rester neutres dans la lutte. La notification fut faite dans les termes suivants :

Le système que LL. MM. entendent suivre est celui d'une stricte neutralité fondée sur une loyale impartialité et un respect égal pour les droits de toutes les Puissances. Cette neutralité, d'après les vues uniformes des deux Cours, imposerait aux Gouvernements de LL. dites MM., les obligations et lui assurerait les avantages suivants :

4° L'abstention pendant la lutte de toute participation aux hostilités;

2o L'admission dans leurs ports des bâtiments de guerre et de commerce des parties belligérantes, sauf certaines exceptions, en observant, bien entendu, les règlements sanitaires et de police que les circonstances rendraient nécessaires; — refus d'admettre les corsaires;

3o Faculté aux bâtiments des parties belligérantes de se pourvoir dans les ports Suédois ou Danois, de tout ce dont ils pourraient avoir besoin, à l'exception des articles de contrebande de guerre;

4o Défense de vendre les prises dans leurs ports, sauf le cas de force majeure constatée;

50 Continuation en toute sureté des relations commerciales de la Suède et du Danemarck, avec les Etats en guerre, sous l'obligation toutefois pour les navires Suédois et Danois, de se conformer aux règles présentement reconnues pour les cas spéciaux de blocus déclarés et effectifs.

Cette déclaration était extrêmement vague si elle n'avait pour but que de réclamer les libertés renfermées dans le cercle des principes généralement reconnus, elle ne pouvait soulever aucune difficulté. Mais il en était tout autrement si les Puissances scandinaves

entendaient revendiquer les avantages poursuivis par les deux neutralités armées dont elles ont fait partie.

La déclaration fut acceptée purement et simplement, parce que dans le cas spécial auquel elle se rapportait, la question avait peu d'importance pratique; les forces anglo-françaises pouvaient bloquer les côtes russes et rendre impossible tout commerce maritime des neutres avec la Russie.

Voici la déclaration faite, par les Puissances occidentales, relativement aux neutres; nous donnons le texte français.

Sa Majesté l'Empereur des Français ayant été forcé de prendre les armes pour secourir un allié, désire rendre la guerre aussi peu onéreuse que possible aux Puissances avec lesquelles Elle demeure en paix. Afin de préserver le commerce des neutres de toute entrave inutile, Sa Majesté est disposée, pour le moment, renoncer à une partie des droits qui lui appartiennent comme Puissance belligérante en vertu du droit des gens. Il est impossible à Sa Majesté de renoncer à l'exercice de son droit de saisir les articles de contrebande de guerre et d'empêcher les neutres de porter les dépêches de l'ennemi. Elle doit aussi maintenir intact son droit, comme Puissance belligérante, d'empêcher les neutres de violer tout blocus effectif qui serait mis à l'aide d'une force suffisante devant les forts, les rades ou côtes de l'ennemi.

Mais les vaisseaux de Sa Majesté ne saisiront pas la propriété de l'ennemi chargée à bord d'un bâtiment neutre, à moins que cette propriété ne soit contrebande de guerre.

Sa Majesté ne compte pas revendiquer le droit de confisquer la propriété des neutres trouvée à bord des navires ennemis.

Sa Majesté déclare, en outre, que mue par le désir de diminuer autant que possible les maux de la guerre, et d'en restreindre les opérations aux forces régulièrement organisées de l'Etat, elle n'a pas pour le moment, l'intention de délivrer des lettres de marque pour autoriser les armements en course (1).

On le voit, l'Angleterre, en vue sans doute de se concilier des sympathies, se montrait, cette fois, plus favorable au commerce des neutres; mais il est à remarquer qu'elle ne sacrifie aucun de ses principes, et que, pour la guerre d'Orient, sa générosité ne lui coû

(1) On appelle armement en course, l'expédition de bâtiments armés, faite par des simples particuliers, avec l'autorisation du gouvernement, dans le but d'opérer la capture, en mer, des bâtiments de commerce et des marchandises appartenant à l'ennemi, L'autorisation d'armer en course s'appelle lettre de marque.

Les bâtiments ainsi armés prennent le nom de corsaires.

L'armement peut avoir pour objet l'attaque ou la defense: dans le premier cas, on dit que le navire est armé en course; dans le second qu'il est arme en guerre et marchandises

tait guère. Il y a plus, la déclaration consacre formellement les prétentions de la Grande-Bretagne en y faisant des exceptions provisoires. S. M. la Reine du Royaume-Uni renonçait pour le moment, à une partie des droits que lui confère la loi des nations. Quels sont ces droits? La déclaration ne le dit pas. Elle ne trace pas d'avantage les limites du droit de blocus et du droit de visite.

La France au contraire appliquait ses vues généreuses : La déclaration jointe au traité de Paris allait prouver bientôt qu'elle ne reniait rien de son passé.

De son côté, le gouvernement russe publiait la déclaration sui

vante :

Par suite de la réception de la nouvelle que l'Angleterre et la France ont déclaré la guerre à la Russie, le ministère des finances croit devoir porter à la connaissance du public, les mesures qui seront prises à cette occasion par le gouvernement impérial en ce qui concerne les sujets anglais et français, ainsi que leurs bâtiments de commerce et leurs propriétés.

Prenant en considération les déclarations des gouvernements anglais et français, le gouvernement impérial, dans son désir sincère d'écarter, autant que possible, des particuliers les conséquences désastreuses de la guerre, a arrêté les règles suivantes :

Un délai de six semaines est accordé aux navires anglais et français qui se trouvent dans nos ports, pour effectuer leur changement et faire voile sans empêchement pour l'étranger. Dans les ports de la mer Noire, de la mer d'Azof et de la mer Baltique, ce délai sera compté à partir du 25 (7 mai) avril courant, et dans les ports de la mer Blanche à partir du jour où la navigation aura été ouverte dans chacun d'eux.

Par exception, et par des considérations militaires, deux navires anglais, l'Anna Maclister et le William Broderic, dont le premier se trouve à Cronstadt et le second à Rével, doivent être retenus temporairement : toutefois ces navires ne seront aucunement confisqués, et ils seront relâchés par la suite, aussitôt que les circonstances le permettront.

Les navires de commerce anglais et français qui, après être sortis de nos ports, seront rencontrés en mer par nos croiseurs, même après l'expiration du délai fixé, en obtiendront la permission de continuer leur voyage, du moment que l'examen de leurs papiers de bord aura prouvé que leur cargaison a été embarquée avant l'expiration de ce délai.

La propriété des sujets anglais et français, embarquée sur des navires neutres, sera reconnue inviolable par nos croiseurs. Les marchandises anglaises et françaises, lors même qu'elles appartiendraient à des sujets anglais et français, seront sans empêchement admises sous pavillon neutre à l'importation dans nos ports, d'après les dispositions générales du tarif. De plus, les propriétés des Puissances neutres, qui pourront être trouvées à bord des navires ennemis, ne seront pas sujettes à confiscation.

D'ailleurs, il s'entend de soi-même que le pavillon neutre ne pourra couvrir les cargaisons et objets qui, d'après le droit de gens, sont reconnus contrebande de guerre; en conséquence, les navires à bords desquels il sera trouvé de la contrebande de cette nature, seront saisis par nos croiseurs et reconnus de bonne prise, conformément à l'avis déjà publié par le ministère des finances le 27 novembre de l'année dernière.

En laissant tous ses ports de commerce ouverts aux navires marchands des nations neutres, le gouvernement impérial ne peut néanmoins aucunement assumer la responsabilité des avaries et pertes auxquelles les navires pourraient être exposés par suite de faits de guerre.

Dès le mois d'octobre de l'année dernière, lorsque les bruits de guerre se répandirent, M. le Ministre des finances a déclaré, au nom de l'empereur, aux négociants anglais faisant le commerce à Saint Pétersbourg que, même en cas de guerre, ils n'auraient rien à craindre ni pour leurs personnes, ni pour leurs propriétés, et qu'ils pourraient compter sur la protection dont ils avaient joui jusqu'alors.

Tous les sujets anglais et français, à quelque classe qu'ils appartiennent, qui, en s'adonnant paisiblement à leurs affaires, observeront les lois en vigueur et s'abstiendront de ce que les lois défendent, jouiront pleinement, en Russie, de la même protection et de la même sécurité, tant pour leurs personnes que pour leurs propriétés.

La déclaration russe diffère sur deux points de celle des gouvernements alliés : l'empereur de Russie ne prenait nul engagement relativement aux corsaires; il frappait de confiscation les navires à bord desquels il serait trouvé de la contrebande de guerre.

Le Moniteur Belge du 25 avril contenait l'avis suivant :

Le commerce est informé que des instructions ont été adressées aux autoritės judiciaires, maritimes et militaires, pour les prévenir que les corsaires portant pavillon quelconque ou munis de commissions ou de lettres de marques quelconques, seuls ou avec les bâtiments qu'ils auraient capturés, ne sont admis dans nos ports qu'en cas de dangers imminents de mer. Ces autorités sont, en conséquence, chargées de surveiller les corsaires et leurs prises, et de leur faire reprendre la mer le plus tôt possible.

Il a été prescrit aux mêmes autorités de ne reconnaître de valeur légale à aucune commission ou lettre de marque délivrée par les Puissances belligérantes, sans l'autorisation du gouvernement du Roi. Toute personne soumise aux lois du royaume qui ferait des armements en course ou qui y prendrait part, s'exposerait donc, d'un côté, à être traitée comme pirate à l'étranger, et, de l'autre, à être poursuivie devant les tribunaux belges suivant toute la rigueur des lois.

Le traité de Paris du 30 mars 1856 devait enfin faire prévaloir quelques grands principes de droit maritime pour le temps de

guerre.

Les plénipotentiaires des puissances représentées au congrès signèrent, le 16 avril 1856, la déclaration suivante :

Les plénipotentiaires qui ont signé le traité de Paris du 30 mars 1856 réunis en conférence,

Considérant :

Que le droit maritime, en temps de guerre, a été pendant longtemps l'objet de contestations regrettables;

Que l'incertitude du droit et des devoirs en pareille matière donne lieu, entre les neutres et les belligérants à des divergences d'opinion qui peuvent faire naître des difficultés sérieuses et même des conflits;

Qu'il y a avantage par conséquent à établir une doctrine uniforme vu sur point aussi important;

Que les plénipotentiaires assemblés au congrès de Paris ne sauraient mieux répondre aux intentions dont les gouvernements sont animés qu'en cherchant à introduire dans les rapports internationaux des principes fixes à cet égard; Dûment autorisés, les susdits plénipotentiaires sont convenus de se concerter sur les moyens d'atteindre ce but, et, étant tombés d'accord, ont arrêté la déclaration solennelle ci-après :

1. La course est et demeure abolie (1).

2. Le pavillon neutre couvre la marchandise ennemie, à l'exception de la contrebande de guerre.

3. La marchandise neutre, à l'exception de la contrebande de guerre n'est pas saisissable sous pavillon ennemi.

4. Les blocus pour être obligatoires doivent être effectifs, c'est-à-dire,

(1) Il ne sera peut-être pas sans intérêt de consigner ici la manière de voir des Etats-Unis relalivement aux armements en course. Message du Président du 4 decembre 1854.)

« Une pareille résolution est fort désirée, et pour d'excellentes raisons, par les nations qui ont de grands etablissements militaires pour la protection de leur commerce. Si elle etait adoptée comme régle internationale, le commerce d'une nation ayant une force maritime relativement faible, serait à la merci de l'ennemi en cas de guerre avec une Puissance maritime plus considérable. Supposons par exemple les Etats-Unis en guerre avec l'Angleterre.

» La marine militaire de la seconde Puissance étant au moins dix fois plus considérable que la nôtre et le commerce des deux pays étant à peu près égal, il résulterait de cette inégalité, si nous n'avions pas le droit de recourir à la marine marchande, que nous serions dix fois plus exposés aux attaques de l'ennemi. Nous ne pourrions nous relever de cette inferiorité qu'en renonçant à notre politique de paix, et en nous faisant grande Puissance maritime. La disparité navale serait moindre, vis-a-vis des autres Puissances maritimes, mais la plus grande étendue de notre commerce donnerait encore à chacune d'entre elles un grand avantage sur nous.

» La proposition de renoncer aux lettres de marque, ne peut donc pas plus être accueillie par nous que celle de renoncer aux services de volontaires pour des opérations de terre. Quand l'honneur ou les droits de notre pays sont menacés, il place sa confiance dans le patriotisme des citoyens, certain qu'ils augmenteront son armée et sa marine de manière à répondre à toutes les éventualités. Renoncer au droit d'employer des corsaires, c'est reconnaître le principe que la propriété d'ennemis non combattants doit être exempte des ravages de la guerre; mais cette renonciation exigerait que cette même propriété ne fut pas exposée aux attaques des vaisseaux de guerre. Si les grandes Puissances de l'Europe consentent à admettre comme règle internationale l'exemption de la propriété privée sur mer, de la capture par des croiseurs de l'État aussi bien que par des corsaires, les État-Unis sont prêts à les suivre sur ce terrain libéral. » Comme on devait s'y attendre, les États-Unis ont refusé leur adhésion à la declaration du 16 avril 1856,

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