Images de page
PDF
ePub

n'y a rien auffi de plus honteux, quand on l'exige comme un droit. Il est semblable à une belle fleur, qu'il ne faut ni cueillir, ni toncher; à moins qu'on ne la veuille fletrir. L'on dit que la Mandragore jette de loin une odeur fort douce; mais que ceux qui veuillent la fentir de près & long-tems, font frappez d'une vapeur maligne, laquelle leur caufe un affoupiffement fort dangereux. C'eft ainfi que l'honneur fait une douce impreffion fur le cœur de ceux qui le reçoivent comme il fe prefente, fans empreffement ni attachemens: mais à l'égard de ceux qui s'empreffent à le chercher, & qui s'y attachent, il en fort une fumée maligne, laquelle leur porte à la tête, leut fait perdre l'efprit, & les rend meprifables.

L'amour & la recherche de la vertu commencent à nous rendre vertueux : mais la paffion & l'empreffement pour la gloire com→ mencent à nous faire meprifer. Les grandes ames ne s'amuferit pas à toutes ces bagatelles de preffeance, de rang, de falut: elles fe font des occupation nobles ; & cela ne convient qu'à de petits efprits qui n'ont rien de bon à faire. Comme celui qui peut faire un riche commerce de perles, ne fe charge pas de coquilles : celui auffi qui s'attache à la pratique des vertus, n'a point d'empreffement pour ces marques d'honneur. J'avoue que chacun peut conferver & tenir fon rang, fans bleffer l'humilité, pourvu que ce foit fans affectation, & fans conteftation: car Comme ceux qui viennent du Perou dans des

vaiffeaux chargez d'or & d'argent, apportent encore des finges & des perroquets, parce que la depente non plus que la charge n'en est pas grande; ainfi ceux qui s'appliquent à la vertu, peuvent encore recevoir les honneurs qui leur font dûs, pourvu qu'il n'en coûte pas beaucoup de foin, ni d'attention, & que les inquietudes qui y font ordinairement attachées, n'accablent pas l'ame de leur poids. Remarquez cependant que je ne parle pas ici, ni des dignitez publiques ni des droits particuliers, dont la confervation ou la perte peuvent avoir de grandes fuites. En un mot, c'est à chacun de conferver ce qui lui appartient: mais avec un jufte temperament entre l'interêt, & la charité; entre les regles de la prudence, & les mefures d'honnêteté.

CHAPITRE V.

De l'humilité plus parfaite & interieure. Ous defirez, Philothée, que je vous falfe entrer plus avant dans la pratique de l'humilité; je vous en louë, & je vais vous fatisfaire: car en ce que je viens de dire, il y a prefque plus de fageffe que d'humilité.

L'on voit bien des perfonnes qui ne veu. lent jamais faire d'attention aux graces particulieres que Dieu leur fait, de peur qué leur cœur furpris d'une vaine complaifance, ne lui en derobe la gloire; c'est une fauffe

crainte & une veritable erreur; car puifque la confideration des bienfaits de Dieu nous porte efficacement à l'aimer, comme l'enfeigne le Docteur Angelique; plus nous le connoîtrons, plus nous l'aimerons. Mais parce que notre coeur eft plus fenfible aux graces particulieres, qu'aux bienfaits generaux, c'eft fur ces graces même que nous devons faire plus de reflexion.

Rien ne peut nous humilier davantage en la prefence de la mifericorde de Dieu que la multitude de fes graces, & la multitude de nos pechez en la prefence de fa justice. Confiderons donc attentivement ce qu'il a fait pour nous, & ce que nous avons fait contre lui; puifque nous recherchons nos pechez en detail, examinons auffi en detail les graces que Dieu nous a faites; & pour lors il ne faut pas craindre que cette vuë nous enfle l'efprit, pourvu que nous penfions bien, que ce que nous avons de bon, n'eft pas de nous. Helas! les mulets ne font-il pas toûjours des bêtes lourdes & infectés, quoi qu'ils foient chargez des meubles precieux & parfumez du Prince? Qu'avons-nous de bon, que nous n'ayons pas reçu? & fi nous l'avons reçu pourquoi nous en glorifier? Au contraire la viye confideration des graces de Dieu nous doit rendre humbles, puifque la connoiffance d'un bienfait en produit naturellement la reconnoiffance. Mais fi cette vûë flatte notre cœur de quelque vaine complai fance, le remede infaillible à ce mal, eft le fouvenir de nos ingratitudes, de nos im

perfections, & de nos miferes. Oui, fi nous confiderons ce que nous avons fait, quand Dieu n'a pas été avec nous, nous connoîtrons bien que ce que nous faifons, quand il eft avec nous, n'est pas de notre façon ni de notre fonds. Veritablement nous joui rons du bien qu'il a mis en nous, & même nous nous en rejouirons, parce que nous le poffedons; mais nous en glorifierons Dieu feul, parce qu'il en eft l'Auteur. C'est de là que la Sainte Vierge publie que Dieu a operé en elle de très-grandes chofes ; & elle ne le publie que pour s'en humilier tout enfemble, & pour l'en glorifier, Mon ame, dit-elle, glorifie le Seigneur, parce qu'ila operé de grandes chofes en moi.

Nous difons fouvent que nous ne fommes rien, que nous fommes la mifere méme, & comme le difoit faint Paul, l'ordure du monde : mais nous ferions bien marris, que l'on nous prit au mot, & que les autres parlaffent ainfi de nous. Au contraire nous fuions fouvent, pour faire courir après nous; nous nous cachons, afin que l'on nous cherche; nous affections de prendre la derniere place, pour paffer avec plus d'honneur à la premiere. La vraie humilité ne fait pas femblant de l'être, & ne parle que fort pen en termes d'humilité car elle n'entreprend pas feulement de cacher les autres vertus ; mais encore plus de fe cacher foi-même : & fi la diffimulation, le menfonge, le mauvais exemple étoient permis, elle feroit des actions de fierté, & d'ambition pour fe

ca

[ocr errors]

cacher jufques fous l'orgueil, & fe derober plus feurement à la connoiffance des hom-. mes. Voici donc mon avis, Philothée. ou bien ne parlons jamais de nous en termes d'humilité, ou bien conformons nos penfées à nos paroles, par le fentiment interieur d'une vraie humilité. Ne baiffons ja mais les yeux, qu'en humiliant nos cœurs; n'affectons pas la derniere place, à moins que de bon cœur & fincerement nous ne la voulions prendre. Je croi cette regle fi generale, qu'elle ne doit fouffrir aucune exception: j'ajoûte feulement, que la civilité nous oblige quelquefois de prefenter aux autres de certains honneurs, que nous favons bien qu'ils ne prendront pas, & que cela n'est ni une fauffe humilité, ni une duplicité parce que cette deference est une imaniere de les honorer : & puis qu'on ne peut pas ceder l'honneur tout entier, on ne fait pas mal de le leur prefenter. Je dis le même de certains termes de refpe&t, qui ne paroiffant pas conformes aux loix rigoureufes de la verité, ne lui font pas abfolument contraires, pourvu que l'on ait une intention fincere d'honorer la perfonne à qui l'on parle car bien qu'il y ait quelque excès dans ces expreffions, nous ne faifons pas mal de nous en fervir, felon l'ufage que tout le monde reçoit & entend bien. Je voudrois toutefois que l'on tâchat de donner à fes paroles la plus grande jufteffe de conformité que l'on pourroit avec fon intention, afin de ne s'éloigner en rien de la fimplicité L

« PrécédentContinuer »