Ah! l'effort n'est pas grand de séduire une amante; Une autre aurait rougi de ma crédulité. La traduction de ces deux morceaux est d'une exactitude et d'une précision bien rare dans une traduction en vers. Voici un autre morceau dans lequel le traducteur embellit à quelques égards son modèle. Inter et Ægidas mediâ statuaris in urbe, Que dans les murs d'Athène et parmi ces héros Les fils affreux du ciel expirans sous ses coups. Cette expression est bien plus hardie et bien plus forte que fusique bimembres, mais elle est moins caractéristique. Il en est de même de ce beau vers: Ce monstre, enfant du crime et nourri de carnage, comparé à cette expression d'Ovide, tauri mixtaque forma viri. On ne peut nier que l'avantage de l'énergie et de la poésie ne soit tout entier du côté du vers français; mais l'expression d'Ovide est absolument caractéristique, et M. de Laharpe lui-même a si peu jugé que la sienne le fût, qu'il a cru devoir avertir dans une note, qu'il parlait du Minotaure. Ce vers, Et la terreur portée au trône des Enfers, me paraît d'un tour peut-être plus heureux que celui d'Ovide: Et pulsata nigri regia cæca Dei. Mais il s'en faut bien que le traducteur conserve ses avantages dans la traduction des deux vers sui vans: Hoc tua post illum titulo signetur imago : Hic est cujus amans hospita capta dolo est. Et d'un autre côté, tes exploits et ton âme Ce tour, quoiqu'avec des prétentions, est mesquin et gêné: l'idée principale y est étranglée ; toutes ces idées accessoires qui l'enrichissent dans l'original, dont chacune présente sa circonstance particulière, amans, hospita, capta, dolo, disparaissent sous la plume du traducteur. De plus, cette inscription, Au vainqueur d'une femme, n'a rien d'avilissant, et dans un certain sens pourrait même honorer celui à qui elle s'applique. Au contraire, il n'y a point de héros dont la gloire ne fût souillée par cette inscription : Hic est cujus amans hospita capta dolo est. Laodamie exprime ainsi à Protésilas les terreurs qu'Hector lui inspire: Hectora quisquis is est, si sum tibi cara, caveto. Crains Hector, quel qu'il soit; crains les autres encor; Les deux vers français me paraissent avoir une précision plus énergique que les quatre vers latins. Que tout guerrier pour toi soit un Hector peint encore mieux la vivacité des allarmes de Laodamie, que multos Hectoras esse puta. M. de Laharpe avait borné sa critique des héroïdes d'Ovide à un seul point, l'uniformité de quelques sujets. M. Dorat, avec moins de droit peut-être d'être sévère, va beaucoup plus loin; il assure qu'Ovide, inventeur du genre de l'Héroïde, ne peut servir de modèle. Ovide, dit-il, ne verse jamais de larmes, et n'en fait jamais répandre. Ces décisions si générales sont toujours un peu injustes. Il est vrai que le bel esprit étouffe quelquefois chez Ovide le touchant et le pathétique; mais enfin le pathétique domine aussi quelquefois, quelquefois même le bel esprit, fondu avec le sentiment, semble ne faire qu'un avec lui. Par exemple, dans l'Héroïde très-touchante et très-pathétique de Canace à Macarée son frère et son amant, Canace raconte la barbarie dénaturée d'Éole son père, qui fait arracher son petit - fils du berceau où ses cris l'ont trahi, et qui le fait exposer aux bêtes. Jamque dari parvum canibusque avibusque nepotem Jusserat, in solis destituique locis. Vagitus dedit ille miser, sensisse putares Quâque suum poterat voce rogabat avum. Voilà un trait qui peut avoir été fourni par le bel esprit, mais on peut le sentiment l'a adopté dire que et se l'est rendu propre : il est certain qu'il produit son effet, et qu'il va droit au cœur. Peut-on dire qu'Ovide ne verse ni ne fasse verser de larmes dans toute cette tirade de la même héroïde ? Quid puer admisit tam paucis editus horis ? Ah! miser admisso plectitur ille meo. Nate, Nate, parum fausti miserabile pignus amoris Hæc tibi prima dies, hæc tibi summa fuit. Non mihi te licuit lacrymis perfundere justis In tua non tonsas ferre sepulchra comas. Non super incubui, non oscula frigida carpsi, Diripiunt avidæ viscera nostra feræ. Ipsa quoque infantes cum vulnere prosequar umbras, Nec mater fuero dicta nec orba diù. Tu tamen ô frustrà miseræ sperate sorori Sparsa, precor, nati collige membra tui. Et refer ad matrem socioque impone sepulchro, Urnaque nos habeat quamlibet arcta, duos, Vive memor nostri lacrymasque in vulnera funde, Neve reformida corpus amantis amans. Certainement c'est bien là le langage de la nature. ét de la douleur. On trouve même dans ces vers, plusieurs traits tirés des regrets de la mère d'Euryale dans Virgile, et traits bien appliqués ici. Que M. Dorat ne lisait-il encore l'Héroïde d'Ariane! il eût vu que tous ses sentimens, toutes ses actions et tous ses discours au moment de son réveil après la fuite de Thésée, sont puisés dans la nature. M. Dorat a manqué entiérement ce tableau dans sa Zéïla; il aurait beaucoup gagné à imiter l'Héroïde d'Ariane, dont le sujet a tant de rapport avec le sien. On croirait que l'auteur de Télémaque a voulu en tirer parti dans l'Épisode de Philoctète, si Sophocle qu'il traduisait, n'était pas le premier modèle du morceau l'on va voir. que Tome III. D |