Chez l'Arabe l'encens embaume au loin la plaine, Le Nil du vert acanthe admire les feuillages: Là, tel qu'un Océan le Benac s'enfle et gronde..... Et ces Volsques armés d'énormes javelots. S'apperçoit-on, dans aucun de ces exemples, que les détails géographiques nuisent à l'harmonie ? Ne voit-on pas au contraire qu'ils y contribuent sensiblement ? Dans nos tragédies mêmes, ces sortes de descriptions sont toujours les plus riches et les plus poétiques, précisément parce qu'étant dépourvues de tout intérêt dramatique, elles ont plus besoin de la pompe épique. Voyez dans Mithridate, comment la route politique et militaire de ce prince est tracée ; Doutez-vous que l'Euxin ne me porte en deux jours De l'Europe en ces lieux ne me livre l'entrée ?..... Tous n'attendent qu'un chef contre la tyrannie. Dans quels beaux vers géographiques Théramène rend compte à Hippolyte, des courses qu'il a faites en cherchant Thésée : Déjà, pour satisfaire à votre juste crainte, Passé jusqu'à la mer qui vit tomber Icare. Ces deux mers que sépare Corinthe, ces bords où l'on voit l'Acheron se perdre chez les morts, cette mer qui vit tomber Icare, voilà bien ce mélange de beautés géographiques et historiques ou mythologiques dont nous avons parlé. Dans Esther. De l'Inde à l'Hellespont ses esclaves coururent; Celles même du Parthe et du Scythe indompté Sur d'éclatans succès ma puissance établie Par moi Jérusalem goûte un calme profond, Voyez comme l'astronomie est jointe à la géographie dans ces vers d'Alzire, et voyez quels vers! J'ai consumé mon âge au sein de l'Amérique ; Je montrai le premier aux peuples du Mexique L'appareil inoui, pour ces mortels nouveaux, De nos châteaux ailés qui volaient sur les eaux. Des mers de Magellan jusqu'aux astres de l'Ourse, vainqueurs castillans ont dirigé ma course..... De la zone brûlante et du milieu du Monde, L'astre du jour a vu ma course vagabonde Jusqu'aux lieux où, cessant d'éclairer nos climats, Il ramène l'année et revient sur ses pas. Dans la mort de César. L'Euphrate attend César, et je pars dès demain. Dans l'Orphelin de la Chine. Vous, dans l'Inde soumise, humble dans sa défaites Tandis qu'en Occident je fais voler mes fils Le Grec a sous ses lois les peuples de Messine ; Sur les fertiles champs couronnés par l'Etna, Dans les murs d'Agrigente, aux campagnes d'Enna..... Trois simples écuyers sans biens et sans secours Grecs, Arabes, Français, Germains, tout nous dévore, Des brigands du midi, du nord et de l'aurore. On voit que ces vers géographiques sont précisément les vers les plus harmonieux qu'il y ait dans notre langue. Peut-être une vérité si palpable n'avait-elle pas besoin de tant de preuves; mais j'ai détruit une erreur et j'ai eu le plaisir de me rappeler de beaux vers. DES poésies sacrées de M. de Pompignan. Osons aborder de front la fameuse plaisanterie du Pauvre Diable. Sacrés ils sont, car personne n'y touche. Il y a peu de gens du monde, il y a même assez peu de gens de lettres, qui, sur la foi de cette plaisanterie trop heureuse, laquelle a passé de bouche en bouche, ne croient que c'est un livre abandonné; en conséquence on l'abandonne; on ne considère pas que c'est l'injustice même de cette plaisanterie qui en a fait le prodigieux succès. Dites d'un ouvrage reconnu pour mauvais et pour ignoré Que personne n'y touche, vous ne ferez rire personne. Il entre presque toujours de l'esprit d'ostracisme dans l'accueil qu'on fait à la satyre. Pourquoi les diatribes de l'abbé Desfontaines et de Fréron contre l'Académie française et contre M. de Voltaire étaient-elles, de toutes les satyres un peu lourdes, celles qui réussissaient le mieux ? C'est qu'elles s'adressaient à M. de Voltaire et à l'Académie française. Pourquoi, de toutes les satyres plus vives et plus piquantes que M. de Voltaire s'est trop souvent permises, celles qui attaquent M. de Pompignan ont-elles le plus porté coup? C'est que M. de Pompignan avait et méritait une grande réputation. Il faut donc que nous osions dire, parce que c'est la vérité, qu'après le peu de poésies lyriques et sacrées que nous ont laissées les Racines et les Rousseau, il n'y a pas de plus beau monument poétique de ce genre dans notre langue, que les |