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Chez l'Arabe l'encens embaume au loin la plaine,
Sur les rives du Gange on voit noircir l'ébène ;
Là, d'un tendre duvet les arbres sont blanchis;
Ici d'un fil doré les bois sont enrichis.

Le Nil du vert acanthe admire les feuillages:
Le baume, heureux Jourdain, parfume tes rivages,
Et l'Inde au bord des mers voit monter ses forêts
Plus haut que ses archers ne fonc voler leurs traits.....
Mais l'Inde, et ses forêts, et leur riche trésor,
Et le Gange et l'Hermus qui roule un limon d'or,
Et les riches parfums que l'Arabie exhale,
A l'antique Ausonie ont-ils rien qui s'égale ?.....
Ici, le Lare étend son enceinte profonde;

Là, tel qu'un Océan le Benac s'enfle et gronde.....
Ses champs ont vu fleurir cent peuples redoutables,
Les Sabins belliqueux, les Marses indomptables,
Et ces Liguriens qu'indigne le repos,

Et ces Volsques armés d'énormes javelots.

S'apperçoit-on, dans aucun de ces exemples, que les détails géographiques nuisent à l'harmonie ? Ne voit-on pas au contraire qu'ils y contribuent sensiblement ?

Dans nos tragédies mêmes, ces sortes de descriptions sont toujours les plus riches et les plus poétiques, précisément parce qu'étant dépourvues de tout intérêt dramatique, elles ont plus besoin de la pompe épique.

Voyez dans Mithridate, comment la route politique et militaire de ce prince est tracée ;

Doutez-vous que l'Euxin ne me porte en deux jours
Aux lieux où le Danube y voit finir son cours?
Que du Scythe avec moi, l'alliance jurée,

De l'Europe en ces lieux ne me livre l'entrée ?.....
Daces, Pannoniens, la fière Germanie,

Tous n'attendent qu'un chef contre la tyrannie.

Dans quels beaux vers géographiques Théramène rend compte à Hippolyte, des courses qu'il a faites en cherchant Thésée :

Déjà, pour satisfaire à votre juste crainte,
J'ai couru les deux mers que sépare Corinthe;
J'ai demandé Thésée aux peuples de ces bords,
Où l'on voit l'Achéron se perdre chez les morts;
J'ai visité l'Élide, et, laissant le Ténare,

Passé jusqu'à la mer qui vit tomber Icare.

Ces deux mers que sépare Corinthe, ces bords où l'on voit l'Acheron se perdre chez les morts, cette mer qui vit tomber Icare, voilà bien ce mélange de beautés géographiques et historiques ou mythologiques dont nous avons parlé.

Dans Esther.

De l'Inde à l'Hellespont ses esclaves coururent;
Les filles de l'Égypte à Suse comparurent:

Celles même du Parthe et du Scythe indompté
Vinrent briguer le sceptre offert à la beauté.
Dans Athalie.

Sur d'éclatans succès ma puissance établie
A fait jusqu'aux deux mers respecter Athalie.

Par moi Jérusalem goûte un calme profond,
Le Jourdain ne voit plus l'Arabe vagabond
Ni l'altier Philistin, par d'éternels ravages,
Comme au tems de vos rois, désoler ses rivages.
Le Syrien me traite, et de reine, êt de sœur.....
Jéhu, le fier Jéhu tremble dans Samarie.

Voyez comme l'astronomie est jointe à la géographie dans ces vers d'Alzire, et voyez quels vers! J'ai consumé mon âge au sein de l'Amérique ; Je montrai le premier aux peuples du Mexique L'appareil inoui, pour ces mortels nouveaux, De nos châteaux ailés qui volaient sur les eaux. Des mers de Magellan jusqu'aux astres de l'Ourse, vainqueurs castillans ont dirigé ma course..... De la zone brûlante et du milieu du Monde, L'astre du jour a vu ma course vagabonde Jusqu'aux lieux où, cessant d'éclairer nos climats, Il ramène l'année et revient sur ses pas.

Dans la mort de César.

L'Euphrate attend César, et je pars dès demain.
Brutus et Cassius me suivront en Asie ;
Antoine retiendra la Gaule et l'Italie.
De la mer Atlantique et des bords du Bétis,
Cimber gouvernera les rois assujettis.
Je donne à Décimus la Grèce et la Lycie,
A Marcellus le Pont, à Casca la Syrie.

Dans l'Orphelin de la Chine.

Vous, dans l'Inde soumise, humble dans sa défaites
Soyez de mes décrets le fidèle interprète,

Tandis qu'en Occident je fais voler mes fils
Des murs de Samarcande aux bords du Tanaïs.
Dans Tancrède.

Le Grec a sous ses lois les peuples de Messine ;
Le hardi Solamir insolemment domine

Sur les fertiles champs couronnés par l'Etna,

Dans les murs d'Agrigente, aux campagnes d'Enna.....
De quel droit un Couci vint-il dans Syracuse,
Des rives de la Seine aux bords de l'Aréthuse?...........
On voit même en nos jours

Trois simples écuyers sans biens et sans secours
Sortis des flancs glacés de l'humide Neustrie
Aux champs apuliens se faire une patrie.....

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Grecs, Arabes, Français, Germains, tout nous dévore,
Et nos champs, malheureux par leur fécondité,
'Appellent l'avarice et la rapacité

Des brigands du midi, du nord et de l'aurore.

On voit que ces vers géographiques sont précisément les vers les plus harmonieux qu'il y ait dans notre langue.

Peut-être une vérité si palpable n'avait-elle pas besoin de tant de preuves; mais j'ai détruit une erreur et j'ai eu le plaisir de me rappeler de beaux vers.

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DES poésies sacrées de M. de Pompignan.

Osons aborder de front la fameuse plaisanterie du Pauvre Diable.

Sacrés ils sont, car personne n'y touche.

Il y a peu de

gens

du monde, il y a même assez peu de gens de lettres, qui, sur la foi de cette plaisanterie trop heureuse, laquelle a passé de bouche en bouche, ne croient que c'est un livre abandonné; en conséquence on l'abandonne; on ne considère pas que c'est l'injustice même de cette plaisanterie qui en a fait le prodigieux succès. Dites d'un ouvrage reconnu pour mauvais et pour ignoré Que personne n'y touche, vous ne ferez rire personne. Il entre presque toujours de l'esprit d'ostracisme dans l'accueil qu'on fait à la satyre. Pourquoi les diatribes de l'abbé Desfontaines et de Fréron contre l'Académie française et contre M. de Voltaire étaient-elles, de toutes les satyres un peu lourdes, celles qui réussissaient le mieux ? C'est qu'elles s'adressaient à M. de Voltaire et à l'Académie française. Pourquoi, de toutes les satyres plus vives et plus piquantes que M. de Voltaire s'est trop souvent permises, celles qui attaquent M. de Pompignan ont-elles le plus porté coup? C'est que M. de Pompignan avait et méritait une grande réputation.

Il faut donc que nous osions dire, parce que c'est la vérité, qu'après le peu de poésies lyriques et sacrées que nous ont laissées les Racines et les Rousseau, il n'y a pas de plus beau monument poétique de ce genre dans notre langue, que les

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