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voisinage déjà m'avoit donné quelque soupçon.

LUBIN.

Testigué, c'est le plus honnête homme que vous ayez jamais vû. Il m'a donné trois piéces d'or pour aller dire feulement à la femme qu'il eft amoureux d'elle, & qu'il fouhaite fort l'honneur de pouvoir lui parler. Voyez s'il y a là une grande fatigue pour me payer fi bien; & ce qu'eft, au prix de cela, une journée de travail, où je ne gagne que dix fols. GEORGE DANDIN.

Hé bien? Avez-vous fait votre message?

LUBIN.

Oui. J'ai trouvé là-dedans une certaine Claudine, qui, tout du premier coup, a compris ce que je voulois, & qui m'a fait parler à sa maîtresse.

GEORGE DANDIN à part.

Ah! coquine de fervante!

LUBIN.

Morguienne, cette Claudine-là eft tout-à-fait jolie, elle a gagné mon amitié, & il ne tiendra qu'à elle que nous ne foyions mariés ensemble.

GEORGE DANDIN. Mais quelle réponse a fait la maîtresse à ce monfieur le courtifan?

LUBIN.

Elle m'a dit de lui dire.... Attendez, je ne fçais fi je me souviendrai bien de tout cela, qu'elle lui est tout-à-fait obligée de l'affection qu'il a pour elle, & qu'à cause de fon mari qui eft fantafque, il garde d'en rien faire paroître;

&

& qu'il faudra fonger à chercher quelque invention pour se pouvoir entretenir tous deux.

GEORGE DANDIN à part.

Ah, pendarde de femme!

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Testiguienne, cela fera drôle; car le mari ne se doutera point de la manigance, voilà ce qui eft de bon; & il aura un pied de nez avec fa jalousie. Eft-ce pas ?

Cela eft vrai.

GEORGE DANDIN.

LUBIN.

Adieu. Bouche coufuë au moins. Gardez bien le fecret, afin que le mari ne le sçache pas.

GEORGE DANDIN.

Oui, oui.

LUBIN.

Pour moi, je vais faire femblant de rien. Je fuis un fin matois, & l'on ne diroit pas que j'y touche.

H

SCENE III.

GEORGE DANDIN feul.

É bien, George Dandin, vous voyez de quel air

votre femme vous traite. Voilà ce que c'est d'avoir voulu épouser une demoiselle. L'on vous accommode de toutes piéces, fans que vous puiffiez vous venger, & la gentilhommerie vous tient les bras liés. L'égalité de condiTome V.

T

tion laiffe du moins à l'honneur d'un mari liberté de reffentiment; &, fi c'étoit une payfanne, vous auriez maintenant toutes vos coudées franches à vous en faire la juftiçe à bons coups de bâton. Mais vous avez voulu tâter de la nobleffe, & il vous ennuyoit d'être maître chez vous. Ah! J'enrage de tout mon cœur, & je me donnerois volontiers des foufflets. Quoi! Ecouter impudemment l'amour d'un damoiseau, & y promettre en même tems de la correfpondance! Morbleu, je ne veux point laiffer paffer une occafion de la forte. Il me faut, de ce pas, aller faire mes plaintes au pere & à la mere; & les rendre témoins, à telle fin que de raison, des sujets de chagrin & de reffentiment que leur fille me donne. Mais les voici l'un & l'autre fort à propos.

SCENE IV.

MONSIEUR DE SOTENVILLE, MADAME DE SOTENVILLE, GEORGE DANDIN.

Q

Mr. DE SOTENVILLE.

U'eft-ce, mon gendre? Vous me paroiffez tout troublé.

GEORGE DANDIN.

Auffi en ai-je du fujet, &.....

Me. DE SOTENVILLE.

Mon Dieu, notre gendre, que vous avez peu de civilité, de ne pas faluer les gens quand vous les approchez!

GEORGE DANDIN.

Ma foi, ma belle mere, c'eft que j'ai d'autres chofes en tête; &.

Me. DE SOTENVILLE.

Encore? Eft-il póffible, notre gendre, que vous sçachiez fi peu votre monde ; & qu'il n'y ait pas moyen de vous instruire de la maniere qu'il faut vivre parmi les perfonnes de qualité ?"

Comment?

GEORGE DANDIN.

Me. DE SOTENVILLE.

Ne vous déferez-vous jamais, avec moi, de la familiarité de ce mot de, ma belle-mere, & ne fçauriez-vous vous accoutumer à me dire, Madame?

GEORGE DANDIN.

Parbleu, fi vous m'appellez votre gendre, il me semble que je puis vous appeller ma belle-mere.

Me. DE SOTENVILLE.

Il y a fort à dire, & les chofes ne font pas égales. Apprenez, s'il vous plaît, que ce n'est pas à vous à vous fervir de ce mot là avec une perfonne de ma condition, que, tout notre gendre que vous foyez, il y a grande différence de vous à nous, & que vous devez vous connoître.

Mr. DE SOTENVILLE.

C'en eft affez, m'amour, laiffons cela.

Me. DE SOTENVILLE.

Mon Dieu! Monfieur de Sotenville, vous avez des indulgences qui n'appartiennent qu'à vous, & vous ne fçavez pas

vous faire rendre, par les gens, ce qui vous est dû.

Mr. DE SOTENVILLE.

Corbleu, pardonnez-moi, on ne peut point me faire de leçons là-deffus, & j'ai fçû montrer en ma vie, par vingt actions de vigueur, que je ne fuis point homme à démordre jamais d'une partie de mes prétentions; mais il fuffit de lui avoir donné un petit avertissement. Scachons un peu, mon gendre, ce que vous avez dans l'esprit.

GEORGE DANDIN.

Puifqu'il faut donc parler cathégoriquement, je vous dirai, monfieur de Sotenville, que j'ai lieu de ...

Mr. DE SOTENVILLE.

Doucement, mon gendre. Apprenez qu'il n'est pas ref pectueux d'appeller les gens par leur nom, & qu'à ceux qui font au deffus de nous, il faut dire, Monfieur, tout court. GEORGE DANDIN.

Hé bien, Monsieur, tout court, & non plus monfieur de Sotenville, j'ai à vous dire que ma femme me donne... Mr. DE SOTENVILLE.

Tout beau. Apprenez auffi que vous ne devez pas dire, ma femme, quand vous parlez de notre fille. GEORGE DANDIN.

J'enrage. Comment? Ma femme n'est pas ma femme? Me. DE SOTENVILLE.

Oui, notre gendre, elle est votre femme; mais il ne vous est pas permis de l'appeller ainsi, & c'est tout ce que vous pourriez faire, si vous aviez épousé une de vos pareilles.

fi

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