Images de page
PDF
ePub

GEORGE DANDIN.

[haut.]

[bas à part.] Ah! George Dandin, où t'es-tu fourré? Hé, de grace, mettez, pour un moment, votre gentilhommerie à côté, & souffrez que je vous parle maintenant comme je pourrai. [à part.]

Au diantre foit la tyrannie de toutes ces hiftoires-là. [à monfieur de Sotenville.]

Je vous dis donc que je fuis mal fatisfait de mon mariage. Mr. DE SOTENVILLE.

Et la raifon, mon gendre?

Me. DE SOTENVILLE.

Quoi! Parler ainfi d'une chose dont vous avez tiré de si grands avantages!

GEORGE DANDIN.

Et quels avantages, Madame, puisque Madame y a? L'avanture n'a pas été mauvaise pour vous; car, fans moi, vos affaires, avec votre permiffion, étoient fort délabrées, & mon argent a fervi à boucher d'assez bons trous; mais, moi, de quoi ai-je profité, je vous prie, que d'un allongement de nom, & au lieu de, George Dandin, d'avoir reçû par vous le tître de monfieur de la Dandiniere?

Ne

Mr. DE SOTENVILLE.

comptez-vous pour rien, mon gendre, l'avantage d'être allié à la maifon de Sotenville?

Me. DE SOTENVILLE.

Et à celle de la Prudoterie, dont j'ai l'honneur d'être issuë, maison où le ventre annoblit, & qui, par ce beau privilége, rendra vos enfans gentilshommes?

GEORGE DANDIN.

Oui, voilà qui est bien, mes enfans seront gentilshommes, mais je ferai cocu, moi, fi l'on n'y met ordre.

Mr. DE SOTENVILLE.

Que veut dire cela, mon gendre?

GEORGE DANDIN.

Cela veut dire que votre fille ne vit pas comme il faut qu'une femme vive, & qu'elle fait des chofes qui font contre l'honneur.

Me. DE SOTENVILLE.

Tout beau. Prenez garde à ce que vous dites. Ma fille est d'une race trop pleine de vertu, pour se porter jamais à faire aucune chose dont l'honnêteté foit bleffée; &, de la maifon de la Prudoterie, il y a plus de trois cens ans qu'on n'a point remarqué qu'il y ait eu une femme, Dieu merci, qui ait fait parler d'elle.

Mr. DE SOTENVILLE.

Corbleu, dans la maifon de Sotenville, on n'a jamais vû de coquette; & la bravoure n'y eft pas plus héréditaire aux mâles, que la chafteté aux femelles.

Me. DE SOTENVILLE.

Nous avons eu une Jacqueline de la Prudoterie, qui ne voulut jamais être la maîtreffe d'un duc & pair, gouverneur de notre province.

Mr. DE SOTENVILLE.

Il y a eu une Mathurine de Sotenville, qui refusa vingt mille écus d'un favori du roi, qui ne lui demandoit feulement que la faveur de lui parler.

GEORGE DANDIN.

Oh bien, votre fille n'eft pas fi difficile que cela; & elle s'est apprivoisée depuis qu'elle eft chez moi.

Mr. DE SOTENVILLE.

Expliquez-vous, mon gendre. Nous ne fommes point gens à la fupporter dans de mauvaises actions; & nous ferons les premiers, fa mere & moi, à vous en faire la justice. Me. DE SOTENVILLE.

Nous n'entendons point raillerie fur les matiéres de l'hon& nous l'avons élevée dans toute la févérité poffible. GEORGE DANDIN.

neur,

Tout ce que je vous puis dire, c'eft qu'il y a ici un certain courtifan que vous avez vû, qui est amoureux d'elle à ma barbe; & qui lui a fait faire des proteftations d'amour, qu'elle a très-humainement écoutées.

Me. DE SOTENVILLE.

s'il

Jour de Dieu, je l'étranglerois de mes propres mains, s' falloit qu'elle forlignât de l'honnêteté de sa mere. Mr. DE SOTENVILLE.

Corbleu, je lui passerois mon épée au travers du corps, à elle & au galant, fi elle avoit forfait à son honneur.

GEORGE DANDIN.

Je vous ai dit ce qui fe paffe, pour vous faire mes plaintes; & je vous demande raifon de cette affaire-là.

Mr. DE SOTENVILLE.

Ne vous tourmentez point, je vous la ferai de tous deux; & je fuis homme pour ferrer le bouton à qui que ce puiffe être. Mais êtes-vous bien für auffi de ce que vous nous dites?

GEORGE DANDIN.

Très-fûr.

Mr. DE SOTENVILLE. Prenez bien garde au moins; car, entre gentilshommes, ce font des chofes chatouilleuses, & il n'eft pas queftion d'aller faire ici un pas de clerc.

GEORGE DANDIN.

Je ne vous ai rien dit, vous dis-je, qui ne soit véritable. Mr. DE SOTENVILLE.

M'amour, allez-vous en parler à votre fille, tandis qu'avec mon gendre j'irai parler à l'homme.

Me. DE SOTENVILLE.

Se pourroit-il, mon fils, qu'elle s'oubliât de la forte, après le fage exemple que vous fçavez vous-même que je lui ai donné?

Mr. DE SOTENVILLE.

Nous allons éclaircir l'affaire. Suivez-moi, mon gendre, & ne vous mettez pas en peine. Vous verrez de quel bois nous nous chauffons, lorsqu'on s'attaque à ceux qui noùs peuvent appartenir.

GEORGE DANDIN.

Le voici qui vient vers nous.

SCENE

SCENE V.

MONSIEUR DE SOTENVILLE, CLITANDRE, GEORGE DANDIN.

Mon

Mr. DE SOTENVILLE.

Onfieur, fuis-je connu de vous?

CLITANDRE.

Non pas, que je fçache, monsieur.

Mr. DE SOTENVILLE.

Je m'appelle le baron de Sotenville.

Je m'en réjouis fort.

CLIT ANDRE.

Mr. DE SOTENVILLE.

Mon nom eft connu à la cour; & j'eus l'honneur, dans ma jeuneffe, de me fignaler, des premiers, à l'arriére-ban de Nanci.

A la bonne heure.

CLITANDRE.

Mr. DE SOTENVILLE.

Monfieur mon pere, Jean-Gilles de Sotenville, eut la gloire d'assister, en personne, au grand fiége de Montauban.

J'en fuis ravi. ·

CLITANDRE.

Mr. DE SOTENVILLE.

Et j'ai eu un ayeul, Bertrand de Sotenville, qui fut si considéré, en fon tems, que d'avoir permiffion de vendre tout son bien pour le voyage d'outre-mer.

Tome V.

V

« PrécédentContinuer »