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quoi, c'eft la fleur de l'âge, cela; & vous entrez maintenant dans la belle faifon de l'homme.

HARPAGON.

Feldifog

Il eft vrai; mais vingt années de moins pourtant, ne me feroient point de mal, que je crois,

FROSINE.

Vous moquez-vous? Vous n'avez pas befoin de cela, & vous êtes d'une pâte à vivre jusqu'à cent ans.

Tu le crois?

HARPAGON,

FROSINE,

Affûrément. Vous en avez toutes les marques. Tenez-vous un peu. Oh! Que voilà bien, entre vos deux yeux, un signe de longue vie!

HARPAGON.

Tu te connois à cela?

FROSINE.

Sans doute. Montrez-moi votre main. Ah, mon Dieu! Quelle ligne de vie !

Comment?

HARPAGON.

FROSINE.

Ne voyez-vous pas jufqu'où va cette ligne-là.

HARPAGON.

Hé bien? Qu'est-ce que cela veut dire?

FROSINE.

Par ma foi, je difois cent ans, mais vous pafferez les fix

vingt.

Eft-il poffible?

HARPAGON.

FROSINE.

Il faudra vous affommer, vous dis-je, & vous mettrez en terre & vos enfans & les enfans de vos enfans.

HARPAGON.

Tant mieux. Comment va notre affaire?

FROSINE.

Faut-il le demander, & me voit-on mêler de rien, dont je ne vienne à bout? J'ai, fur tout pour les mariages, un talent merveilleux. Il n'eft point de partis au monde, que je ne trouve en peu de tems le moyen d'accoupler ; & je crois, fi je me l'étois mis en tête, que je marierois le grand Turc avec la république de Venise. Il n'y avoit pas, fans doute, de fi grandes difficultés à cette affaire-ci. Comme j'ai commerce chez elles, je les ai à fond l'une & l'autre entretenuës de vous; & j'ai dit à la mere le deffein que vous aviez conçu pour Mariane, à la voir passer dans la ruë, & prendre l'air à fa fenêtre.

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Elle a reçû la propofition avec joye; &, quand je lui ai témoigné que vous fouhaitiez fort que fa fille affiftât ce foir au contrat de mariage qui fe doit faire de la vôtre, elle y a confenti fans peine, &-me l'a confiée pour cela. HARPAGON.

C'eft que je fuis obligé, Frofine, de donner à fouper au

feigneur Anfelme; & je ferai bien aise qu'elle foit du ré

gal.

FROSINE.

Vous avez raison. Elle doit après dîner rendre visite à votre fille, d'où elle fait fon compte d'aller faire un tour à la foire, pour venir enfuite au foupé.

HARPAGON.

Hé bien, elles iront ensemble dans mon caroffe que je leur prêterai.

FROSINE.

Voilà juftement fon affaire.

HARPAGON.

Mais, Frofine, as-tu entretenu la mere touchant le bien qu'elle peut donner à fa fille? Lui as-tu dit qu'il falloit qu'elle s'aidât un peu, qu'elle fît quelque effort, qu'elle fe faignât pour une occafion comme celle-ci? Car encore n'épouse-t-on point une fille fans qu'elle apporte quelque chofe.

FROSINE.

Comment? C'eft une fille qui vous apportera douze mille livres de rente.

HARPAGON.

Douze mille livres de rente!

FROSINE.

Oui. Premiérement, elle eft nourrie & élevée dans une grande épargne de bouche. C'eft une fille accoutumée à vivre de falade, de lait, de fromage & de pommes; & à laquelle, par conféquent, il ne faudra ni table bien servie,

ni confommés exquis, ni orges mondés perpétuels, ni les autres délicatesses qu'il faudroit pour une autre femme, & cela ne va pas à fi peu de chofe, qu'il ne monte bien, tous les ans, à trois mille francs pour le moins. Outre cela, elle n'eft curieufe que d'une propreté fort fimple, & n'aime point les fuperbes habits, ni les riches bijoux, ni les meubles fomptueux, où donnent fes pareilles avec tant de chaleur; & cet article là vaut plus de quatre mille livres par an. De plus, elle a une averfion horrible pour le jeu, ce qui n'est pas commun aux femmes d'aujourd'hui, & j'en fçais une de nos quartiers, qui a perdu, à trente & quarante, vingt mille francs cette année; n'en prenons rien que le quart. Cinq mille francs au jeu par an, quatre mille francs en habits & bijoux, cela fait neuf mille livres; & mille écus que nous mettons pour la nourriture, ne voilà t-il pas par année vos douze mille francs bien comptés?

HARPAGON.

Oui, cela n'eft pas mal; mais ce compte-là n'eft rien de réel. FROSINE.

Pardonnez-moi. N'eft-ce pas quelque chose de réel, que de vous apporter en mariage une grande fobriété,

l'héritage d'un grand amour de fimplicité de parure, & l'acquifition d'un grand fonds de haine pour le jeu.

HARPAGON.

C'est une raillerie que de vouloir me conftituer fa dot de toutes les dépenfes qu'elle ne fera point. Je n'irai pas

don

ner quittance de ce que je ne reçois pas; & il faut bien que je touche quelque chofe.

FROSINE.

Mon Dieu! Vous toucherez affez; & elles m'ont parlé d'un certain pays où elles ont du bien, dont vous ferez le maî

tre.

HARPAGON.

Il faudra voir cela. Mais, Frofine, il y a encore une chose qui m'inquiéte. La fille eft jeune, comme tu vois; les jeunes gens d'ordinaire n'aiment que leurs femblables, & ne cherchent que leur compagnie. J'ai peur qu'un homme de mon âge ne foit pas de fon goût; & que cela ne vienne à produire chez moi certains petits défordres qui ne m'accommoderoient pas.

FROSINE.

Ah! Que vous la connoiffez mal! C'eft encore une particularité que j'avois à vous dire. Elle a une aversion épouvantable pour tous les jeunes gens, & n'a de l'amour que pour les vieillards.

Elle?

HARPAGON.

FROSINE.

Oui, elle. Je voudrois que vous l'euffiez entenduë parler là-deffus. Elle ne peut fouffrir du tout la vûë d'un jeune homme; mais elle n'eft point plus ravie, dit-elle, que lorfqu'elle peut voir un beau vieillard avec une barbe majestueufe. Les plus vieux font pour elle les plus charmans; & je vous avertis de n'aller pas vous faire plus jeune que vous êtes. Elle veut tout au moins qu'on foit fexagénaire; & il n'y a pas quatre mois encore qu'étant près d'être mariée,

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