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ADRASTE. Non. Ce n'est pas ce qu'il me faut.

HALI. Ah! monsieur, c'est du beau bécarre.

ADRASTE. Que diantre veux-tu dire avec ton beau bécarre?

HALI. Monsieur, je tiens pour le bécarre. Vous savez que je m'y connois. Le bécarre me charme, hors du bécarre point de salut en harmonie. Écoutez un peu ce trio.

ADRASTE. Non. Je veux quelque chose de tendre et de passionné, quelque chose qui m'entretienne dans une douce rêverie.

HALI. Je vois bien que vous êtes pour le bémol; mais il y a moyen de nous contenter l'un et l'autre. Il faut qu'ils vous chantent une certaine scène d'une petite comédie que je leur ai vu essayer. Ce sont deux bergers amoureux, tout remplis de langueur, qui, sur bémol, viennent séparément faire leurs plaintes dans un bois, puis se découvrent l'un à l'autre la cruauté de leurs maîtresses; et là-dessus vient un berger joyeux avec un bécarre admirable qui se moque de leur foiblesse.

ADRASTE. J'y consens. Voyons ce que c'est.

HALI. Voici tout juste un lieu propre à servir de scène, et voilà deux flambeaux pour éclairer la comédie.

ADRASTE. Place-toi contre ce logis, afin qu'au moindre bruit que l'on fera dedans je fasse cacher les lumières.

FRAGMENT de comédie

Chanté et accompagné par les musiciens qu'Hali a amenés.

SCÈNE PREMIÈRE.

PHILÈNE, TIRCIS.

PREMIER MUSICIEN, représentant Philène.

Si, du triste récit de mon inquiétude,

Je trouble le repos de votre solitude,

Rochers, ne soyez point fâchés;

Quand vous saurez l'excès de mes peines secrètes,
Tout rochers que vous êtes

Vous en serez touchés.

DEUXIÈME MUSICIEN, représentant Tircis.

Les oiseaux réjouis, dès que le jour s'avance,
Recommencent leurs chants dans ces vastes forêts;
Et moi j'y recommence

Mes soupirs languissants et mes tristes regrets.

Ah! mon cher Philène.

PHILÈNE. Ah! mon cher Tircis.

TIRCIS. Que je sens de peine!

PHILÈNE. Que j'ai de soucis!

TIRCIS. Toujours sourde à mes vœux est l'ingrate Climène. PHILÈNE. Chloris n'a point pour moi de regards adoucis.

TOUS DEUX ENSEMBLE. O loi trop inhumaine!

Amour, si tu ne peux les contraindre d'aimer,
Pourquoi leur laisses-tu le pouvoir de charmer?

SCÈNE II

PHILÈNE, TIRCIS, UN PATRE.

TROISIÈME MUSICIEN, représentant un påtre.

PHILÈNE ET TIRCIS,

Pauvres amants, quelle erreur
D'adorer des inhumaines !
Jamais les ames bien saines
Ne se payent de rigueur;
Et les faveurs sont les chaînes
Qui doivent lier un cœur.

On voit cent belles ici

Auprès de qui je m'empresse;
A leur vouer ma tendresse
Je mets mon plus doux souci;
Mais lorsque l'on est tigresse,
Ma foi! je suis tigre aussi.
ensemble.

Heureux, hélas! qui peut aimer ainsi.

HALI. Monsieur, je viens d'ouïr quelque bruit au-dedans.
ADRASTE. Qu'on se retire vite et qu'on éteigne les flambeaux.

SCÈNE V.

DON PEDRE, ADRASTE, HALI.

DON PÈDRE, Sortant de sa maison en bonnet de nuit et en robe de chambre, avec une épée sous son bras. Il y a quelque temps que j'entends chanter à ma porte, et sans doute cela ne se fait pas pour rien. Il faut que, dans l'obscurité, je tâche à découvrir quelles gens ce peuvent être.

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ADRASTE. N'entends-tu plus rien

HALI. Non. (Don Pedre est derrière eux qui les écoute.)

ADRASTE. Quoi! tous nos efforts ne pourront obtenir que je parle un moment à cette aimable Grecque! et ce jaloux maudit, ce traître de Sicilien, me fermera toujours tout accès auprès d'elle!

HALI. Je voudrois, de bon cœur, que le diable l'eût emporté pour la fatigue qu'il nous donne, le fâcheux, le bourreau qu'il est. Ah! si nous le fenions ici, que je prendrois de joie à venger sur son dos tous les pas inutiles que sa jalousie nous fait faire!

ADRASTE. Si faut-il bien, pourtant, trouver quelque moyen, quelque invention, quelque ruse, pour attraper notre brutal. J'y suis trop engagé pour en avoir le démenti, et quand j'y devrois employer... HALI. Monsieur, je ne sais pas ce que cela veut dire, mais la porte est ouverte; et si vous le voulez, j'entrerai doucement pour découvrir d'où cela vient. (Don Pèdre se retire sur sa porte.)

ADRASTE. Oui, fais; mais sans faire de bruit. Je ne m'éloigne pas de toi. Plût au ciel que ce fût la charmante Isidore!

DON PÈdre, donnant un soufflet à Hali. Qui va là?

HALI, rendant le soufflet à don Pedre. Ami.

DON PÈDRE. Holà! Francisque, Dominique, Simon, Martin, Pierre, Tho

mas, Georges, Charles, Barthélemi! Allons, promptement, mon épée, ma rondache, ma hallebarde, mes pistolets, mes mousquetons, mes fusils. Vite, dépêchez. Allons, tue, point de quartier.

SCÈNE VI.

ADRASTE, HALI.

ADRASTE. Je n'entends remuer personne. Hali, Hali.

HALI, caché dans un coin. Monsieur.

ADRASTE. Où donc te caches-tu ?

HALI. Ces gens sont-ils sortis ?

ADRASTE. Non. Personne ne bouge.

HALI, sortant d'où il étoit caché. S'ils viennent, ils seront frottés.

ADRASTE. Quoi! tous nos soins seront donc inutiles ! Et toujours ce fâcheux jaloux se moquera de nos desseins!

HALI. Non. Le courroux du point d'honneur me prend : il ne sera pas dit qu'on triomphe de mon adresse; ma qualité de fourbe s'indigne de tous ces obstacles, et je prétends faire éclater les talents que j'ai eus du ciel.

ADRASTE. Je voudrois seulement que, par quelque moyen, par un billet, par quelque bouche, elle fût avertie des sentiments qu'on a pour elle et savoir les siens là-dessus. Après on peut trouver facilement les

moyens...

HALI. Laissez-moi faire seulement. J'en essaierai tant de toutes les manières que quelque chose enfin nous pourra réussir. Allons, le jour paroît; je vais chercher mes gens et venir attendre en ce lieu que notre jaloux sorte.

SCÈNE VII.

DON PÈDRE, ISIDORE.

ISIDORE. Je ne sais pas quel plaisir vous prenez à me réveiller si matin. Cela s'ajuste assez mal, ce me semble, au dessein que vous avez pris de me faire peindre aujourd'hui ; et ce n'est guère pour avoir le teint frais et les yeux brillants que se lever ainsi dès la pointe du jour. DON PÈDRE. J'ai une affaire qui m'oblige à sortir à l'heure qu'il est. ISIDORE. Mais l'affaire que vous avez eût bien pu se passer, je crois, de ma présence; et vous pouviez, sans vous incommoder, me laisser goûter les douceurs du sommeil du matin.

DON PÈDRE. Oui. Mais je suis bien aise de vous voir toujours avec moi. Il n'est pas mal de s'assurer un peu contre les soins des surveillants; et cette nuit encore, on est venu chanter sous nos fenêtres.

ISIDORE. Il est vrai. La musique en étoit admirable.

DON PEDRE. C'étoit pour vous que cela se faisoit?

ISIDORE. Je le veux croire ainsi, puisque vous me le dites.

DON PÈDRE. Vous savez qui étoit celui qui donnoit cette sérénade?
ISIDORE. Non pas; mais qui que ce puisse être, je lui suis obligée.
DON PÈDRE. Obligée ?

ISIDORE. Sans doute, puisqu'il cherche à me divertir.

Don pèdre. Vous trouvez donc bon qu'il vous aime?

ISIDORE. Fort bon. Cela n'est jamais qu'obligeant.

DON PÈDRE. Et vous voulez du bien à tous ceux qui prennent ce soin?
ISIDORE. Assurément.

DON PÈDRE. C'est dire fort net ses pensées.
ISIDORE. A quoi bon de dissimuler? Quelque mine qu'on fasse on est

toujours bien aise d'être aimée. Ces hommages à nos appas ne sont
jamais pour nous déplaire. Quoi qu'on en puisse dire, la grande am-
bition des femmes est, croyez-moi, d'inspirer de l'amour. Tous les
soins qu'elles prennent ne sont que pour cela, et l'on n'en voit point
de si fière qui ne s'applaudisse en son cœur des conquêtes que font
ses yeux.

DON PÈDRE. Mais si vous prenez, vous, du plaisir à vous voir aimée, savez-vous bien, moi, qui vous aime, que je n'y en prends nulle

ment?

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