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SCANARELLE. Non, je te dis que je n'en veux rien faire, et que c'est à moi de parler et d'être le maître.

MARTINE. Et je te dis, moi, que je veux que tu vives à ma fantaisie, et que je ne me suis point mariée avec toi pour souffrir tes fredaines. SGANARELLE. Oh! la grande fatigue que d'avoir une femme! et qu'Aristote a bien raison quand il dit qu'une femme est pire qu'un démon! MARTINE. Voyez un peu l'habile homme avec son benêt d'Aristote! SCANARELLE. Oui, habile homme. Trouve-moi un faiseur de fagots qui

sache comme moi raisonner des choses, qui ait servi six ans un fameux médecin et qui ait su dans son jeune âge son rudiment par

cœur.

MARTINE. Peste du fou fieffé!

SCANARELLE. Peste de la carogne!

MARTINE. Que maudits soient l'heure et le jour où je m'avisai d'aller dire

Oui!

SCANARELLE. Que maudit soit le bec cornu de notaire qui me fit signer ma ruine!

MARTINE. C'est bien à toi, vraiment, à te plaindre de cette affaire! Devrois-tu être un seul moment sans rendre grace au ciel de m'avoir pour ta femme? et méritois-tu d'épouser une personne comme moi? SCANARELLE. Il est vrai que tu me fis trop d'honneur, et que j'eus lieu de me louer la première nuit de nos noces! Eh! morbleu! ne me fais point parler là-dessus; je dirois de certaines choses...

MARTINE. Quoi! que dirois-tu?

SCANARELLE. Baste, laissons là ce chapitre. Il suffit que nous savons ce que nous savons, et que tu fus bien heureuse de me trouver.

MARTINE. Qu'appelles-tu bien heureuse de te trouver! Un homme qui me réduit à l'hôpital; un débauché, un traître, qui me mange tout ce que j'ai!

SCANARELLE. Tu as menti, j'en bois une partie.

MARTINE. Qui me vend pièce à pièce tout ce qui est dans le logis!
SCANARELLE. C'est vivre de ménage.

MARTINE. Qui m'a ôté jusqu'au lit que j'avois!

SCANARELLE. Tu t'en lèveras plus matin.

MARTINE. Enfin, qui ne laisse aucun meuble dans toute la maison!

SCANARELLE. On en déménage plus aisément.

MARTINE. Et qui, du matin jusqu'au soir, ne fait que jouer et que boire!

SGANARELLE. C'est pour ne me point ennuyer.

MARTINE. Et que veux-tu, pendant ce temps, que je fasse avec ma famille?

SGANARELLE. Tout ce qu'il te plaira.

MARTINE. J'ai quatre pauvres petits enfants sur les bras.

SCANARELLE. Mets-les à terre.

MARTINE. Qui demandent à toute heure du pain.

SGANARELLE. Donne-leur le fouet. Quand j'ai bien bu et bien mangé, je veux que tout le monde soit saoûl dans ma maison.

MARTINE. Et tu prétends, ivrogre, que les choses aillent toujours de même ?

SGANARELLE. Ma femme, allons tout doucement, s'il vous plaît.

MARTINE. Que j'endure éternellement tes insolences et tes débauches?... SCANARELLE. Ne nous emportons point, ma femme.

MARTINE. Et que je ne sache pas trouver moyen de te ranger à ton devoir? SCANARELLE. Ma femme, vous savez que je n'ai pas l'ame endurante, et que j'ai le bras assez bon.

MARTINE. Je me moque de tes menaces.

SGANARELLE. Ma petite femme, ma mie, votre peau vous démange à votre ordinaire.

MARTINE. Je te montrerai bien que je ne te crains nullement.

SGANARELLE. Ma chère moitié, vous avez envie de me dérober quelque chose.

MARTINE. Crois-tu que je m'épouvante de tes paroles?

SGANARELLE. Doux objet de mes vœux, je vous frotterai les oreilles.

MARTINE. Ivrogne que tu es!

SGANARELLE. Je vous battrai.

MARTINE. Sac à vin!

SGANARELLE. Je vous rosserai.

MARTINE. Infâme!

SCANARELLE. Je vous étrillerai.

MARTINE. Traître! insolent! trompeur! lâche! coquin! pendard! gueux! bélître! fripon! maraud! voleur!...

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SGANARELLE. Ah! vous en voulez donc? (Sganarelle prend un baton et bai

sa femme.)

MARTINE, criant. Ah! ah! ah! ah!

SCANARELLE. Voilà le vrai moyen de vous apaiser.

SCÈNE II.

MONSIEUR ROBERT, SGANARELLE, MARTINE.

M. ROBERT. Holà, holà, holà! Fi! Qu'est ceci? Quelle infamie! Peste soit

le coquin, de battre ainsi sa femme!

MARTINE, à M. Robert. Et je veux qu'il me batte, moi.

M. ROBERT. Ah! j'y consens de tout mon cœur.

MARTINE. De quoi vous mêlez-vous?

M. ROBERT. J'ai tort.

MARTINE. Est-ce là votre affaire?

M. ROBERT. Vous avez raison.

MARTINE. Voyez un peu cet impertinent, qui veut empêcher les maris de

battre leurs femmes!

M. ROBERT. Je me rétracte.

MARTINE. Qu'avez-vous à voir là-dessus?

M. ROBERT. Rien.

MARTINE. Est-ce à vous d'y mettre le nez?
M. ROBERT. Non.

MARTINE. Melez-vous de vos affaires.

M. ROBERT. Je ne dis plus mot.

MARTINE. Il me plaît d'être battue.

M. ROBERT. D'accord.

MARTINE. Ce n'est pas à vos dépens.

M. ROBERT. Il est vrai.

MARTINE. Et vous êtes un sot de venir vous fourrer où vous n'avez que faire. (Elle lui donne un soufflet.)

M. ROBERT, à Sganarelle. Compère, je vous demande pardon de tout mon cœur. Faites, rossez, battez comme il faut votre femme; je vous aiderai, si vous le voulez.

SGANARELLE. Il ne me plaît pas, moi.

M. ROBERT. Ah! c'est une autre chose.

SGANARELLE. Je la veux battre, si je le veux; et ne la veux pas battre, si

je ne le veux pas.

M. ROBERT. Fort bien.

SGANARELLE. C'est ma femme, et non pas la vôtre.

M. ROBERT. Sans doute.

SCANARELLE. Vous n'avez rien à me commander.

M. ROBERT. D'accord.

SCANARELLE. Je n'ai que faire de votre aide.
M. ROBERT. Très volontiers.

SCANARELLE. Et vous êtes un impertinent de vous ingérer des affaires d'autrui. Apprenez que Cicéron dit qu'entre l'arbre et le doigt il ne faut point mettre l'écorce. (Il bat M. Robert, et le chasse.)

SCÈNE III.

SGANARELLE, MARTINE.

SGANARELLE. Oh! çà, faisons la paix nous deux. Touche là.

MARTINE. Oui, après m'avoir ainsi battue!

SCANARELLE. Cela n'est rien. Touche.

MARTINE. Je ne veux pas.

SGANARELLE. Eh?

MARTINE. Non.

SCANARELLE. Ma petite femme!

MARTINE. Point.

SCANARELLE. Allons, te dis-je.

MARTINE. Je n'en ferai rien.

SGANARELLE. Viens, viens, viens.

MARTINE. Non. Je veux être en colère.

SGANARELLE. Fi! c'est une bagatelle. Allons, allons.

MARTINE. Laisse-moi là.

SGANARELLE. Touche, te dis-je.

MARTINE. Tu m'as trop maltraitée.

SGANARELLE. Eh bien! va, je te demande pardon; mets là ta main.
MARTINE. Je te pardonne; (bas, à part.) mais tu le paieras.

SGANARELLE. Tu es une folle de prendre garde à cela. Ce sont petites choses qui sont de temps en temps nécessaires dans l'amitié; et cinq ou six coups de bâton entre gens qui s'aiment ne font que ragaillardir l'affection. Va, je m'en vais au bois, et je te promets aujourd'hui plus d'un cent de fagots.

SCÈNE IV.

MARTINE, seule.

Va, quelque mine que je fasse, je n'oublierai pas mon ressentiment; et je brûle en moi-même de trouver les moyens de te punir des coups que tu me donnes. Je sais bien qu'une femme a toujours dans les mains de quoi se venger d'un mari; mais c'est une punition

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