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et les nobles: ceux-ci affectaient le plus grand mépris pour les habitants des villes, et empêchaient souvent leurs vassaux de leur amener des vivres.

Guillaume de Brandebourg, archevêque de Riga, fit profession de la religion luthérienne, et, voulant imiter l'exemple de son frère Albert, duc de Prusse, forma le projet de séculariser son archevêché. Le maître de l'ordre, les évêques de Revel, Dörpt et OEsel, et la ville de Riga, s'opposèrent à ce dessein. Ils s'emparèrent, en 1556, de la personne de l'archevêque, qui avait été déclaré ennemi de la patrie; mais le roi de Pologne, qui se flattait de joindre la Livonie à sa couronne de la même manière que la Prusse en dépendait, marcha à son secours. L'empereur Ferdinand, seigneur suzerain de l'archevêque, interposa alors sa médiation, et il fut conclu, le 5 septembre 1557, au camp du roi, à Paswald, un arrangement d'après lequel l'archevêque fut mis en liberté, à condition qu'il renoncerait au projet de séculariser son archevêché. Il fut en même temps conclu une alliance défensive contre les Russes, entre la Lithuanie et la Livonie'.

Tel était l'état du pays lorsque le czar Iwan Wasiliewitsch IV résolut d'en faire la conquête. Ce fut cette entreprise qui rendit la Livonie la pomme de discorde entre les puissances du Nord, et donna lieu à cette suite de guerres et de traités qui font l'objet de cette partie de notre ou

vrage.

Le czar avait fait la conquête des royaumes de Casan et d'Astracan, et étendu sa domination jusqu'à la mer Caspienne. Son ambition lui inspira le désir de la porter jusqu'aux bords de la Baltique, dont son empire était séparé par la Livonie, l'Esthonie et l'Ingrie. Il ne lui fut pas difficile de trouver un prétexte pour envahir ces provinces. Il se plaignit de ce qu'on avait cessé de lui le tribut payer les Livoniens que

IDU MONT, Corps dipl., tom. V, part. I, p. 14.

avaient dû aux grands-ducs de Russie, et formait nommément des prétentions sur le district de Dörpt, qui avait appartenu aux Russes jusqu'en 1230. Les armées d'Iwan entrèrent en Livonie en 1558, et s'emparèrent de Narva, de Wesenberg et de Dörpt ou Dorpat. Ce fut Pierre Iwanowitsch Schuiskoi, son général, qui prit cette ville le 19 juillet 1558.

Traité de Wilna, de 1561. Origine du duché de Courlande. Gotthard de Kettler, qui venait d'être élevé à la dignité de maître de l'ordre, fit d'abord des efforts pour se soutenir contre un ennemi si formidable. Il implora le secours de la diète germanique assemblée à Augsbourg en 1559, mais n'y obtint que des promesses très-vagues. Il sollicita en vain l'assistance de la Suède et du Danemarck. Ayant été défait, le 2 août 1560, dans la bataille sanglante d'Ermis, où le plus grand nombre des chevaliers de l'ordre périt, et se voyant abandonné de tous ceux qui avaient intérêt à le protéger, excepté Sigismond-Auguste, roi de Pologne, le maître de l'ordre, autorisé à cette démarche par tout ce qui restait de dignitaires, l'archevêque de Riga, Guillaume, margrave de Brandebourg, et la noblesse livonienne, conclurent, à Wilna, le 28 novembre 1561, avec Sigismond-Auguste, un traité par lequel la province de Livonie fut soumise au roi de Pologne, comme tel et comme grand-duc de Lithuanie de manière cependant que si les états de la Pologne ne voulaient pas accepter cette soumission, elle n'aurait lieu qu'à l'égard du grand-duché de Lithuanie. Les conditions de la soumission sont détaillées en huit articles.

:

Le roi de Pologne interposera ses bons offices auprès de l'empereur et de l'Empire, ainsi qu'auprès du grand maître de l'ordre Teutonique, pour leur faire agréer cette démarche prescrite par la nécessité, ou pour obtenir au moins qu'il n'en résulte aucun préjudice aux membres de l'ordre ni à leurs sujets, en leur honneur et fortune, et qu'ils ne soient pas mis au ban de l'Empire. Art. 1.

Les Livoniens sont maintenus dans l'exercice de la religion protestante de la confession d'Augsbourg, sans que les rois de Pologne puissent y introduire quelque changement.

Art. 2.

Tous les ordres de l'État, et particulièrement les nobles, sont conservés dans leurs biens, fiefs, droits, juridictions et immunités. Art. 3 et 4.

Les appels s'interjetteront au tribunal que le roi établira à Riga. Art. 5.

Toutes les places et charges ne seront exercées que par des Allemands. Art. 6.

Le maître de Livonie portera dorénavant le titre de duc, à l'instar des ducs de Prusse, et sera vassal de la Pologne. Art. 7.

Le roi lui confère, à titre de fief, pour lui et ses héritiers måles, toute la Courlande et la Sémigalle, situées sur la rive gauche de la Duna, en tant qu'elles ont appartenu jusqu'à présent à l'ordre de Livonie, y compris divers châteaux engagés, soit au roi de Pologne, soit à l'archevêque de Riga, soit au duc de Prusse, et que le roi s'oblige à dégager. L'ordre renonce, en faveur du roi, à tout le reste de la Livonie, situé sur la rive droite de la Duna, et nommément à tous ses droits sur la ville de Riga, quand même cette ville voudrait s'y opposer. Le roi promet d'en nommer gouverneur un Allemand ou Livonien, et de laisser aux citoyens le choix du bourgmestre, dont il se réserve toutefois la confirmation. L'ordre renonce aussi aux terres qui sont au pouvoir de l'ennemi, et que le roi sera obligé de conquérir, telles que l'Esthonie et l'évêché de Dorpat. Le maître de l'ordre est nommé, pour sa personne, lieutenant du roi à Riga; comme tel, il y résidera et touchera des appointements que le roi se réserve de fixer.

Enfin, par le même article, le roi promet de mettre aussi Gotthard Kettler en possession de l'évêché de Courlande, appelé communément évêché de Pilten, dont Magnus, prince de Holstein, s'était emparé, ainsi que nous le dirons.

Le roi promet aussi de n'accorder aux juifs aucun privilége, ni la permission de faire le commerce en Livonie'.

Les priviléges accordés par les articles 3 et 4 aux ordres, et particulièrement aux nobles de la Courlande, sont amplement détaillés dans une charte que Sigismond-Auguste signa le même jour 2.

La diete lithuanienne, tenue en 1566, à Grodno, confirma, le 26 décembre, l'incorporation de la Livonie au grand-duché3; mais la diète de Pologne s'y refusa constamment, de sorte que cette incorporation n'eut lieu que par suite de l'union intime entre le royaume et le grand-duché, qui fut l'ouvrage de la diète de Lublin de 15694.

Origine des guerres de Livonie. Le traité de sujétion, qui forma de la Courlande un duché séculier que la maison de Kettler, originaire de la Westphalie, a possédé jusqu'à son extinction, en 1787, n'eut pas pour la Pologne les résultats que Sigismond-Auguste en avait espérés. La ville de Riga, sommée de prêter le serment de soumission au roi, s'y déclara disposée aussitôt que les états de Pologne auraient ratifié l'acte du 28 novembre 1561; mais nous avons déjà

dit que les états, craignant de s'attirer par là une guerre avec la Russie, s'y refusèrent. D'un autre côté, le duc Gotthard dispensa, en 1562, les habitants du serment qu'ils lui avaient prêté comme maître de l'ordre. Il en résulta que la ville de Riga maintint son indépendance jusqu'en 1582, qu'elle se soumit à la Pologne par

Ce traité se trouve dans DOGIEL, Cod. dipl. Poloniæ, tom. V, p. 238. SCHMAUSS, Corp. jur. gent. ac., p. 317. Voy. DOGIEL, ibid., p. 243. SCHMAUSS, ibid., p. 321. 3 DU MONT, Corps diplomatique, tom. V, part. I,

page 132. SCHMAUSS, Corp. jur. gent. acad., page 330. 2 Le diplôme d'incorporation du duché de Courlande est du 3 août 1569. On le trouve dans Du MONT, I. c., p. 109. SCHMAUSS, 1. c., p. 2258.

une transaction qui lui assura de belles prérogatives.

Quant à l'archevêque de Riga, Guillaume de Brandebourg, qui avait pris part à l'acte du 28 novembre 1561, le roi le laissa en possession de ses domaines, en lui abandonnant le choix de rester dans l'état ecclésiastique, ou d'y renoncer en conservant son archevêché comme principauté séculière. Les états de l'archevêché déclarèrent vouloir rester avec ceux de l'ordre, de manière qu'ils devinrent sujets du roi ou du duc de Courlande, selon que leurs terres étaient situées sur l'une ou sur l'autre rive de la Duna. L'archevêque étant mort le 4 février 1563, le duc de Courlande prit possession de ses domaines au nom du roi de Pologne. Cet archevêque avait pour coadjuteur Christophe, frère du duc de Mecklenbourg. Refusant de tenir l'archevêché à titre de fief polonais, Christophe obtint d'Éric XIV, roi de Suède, pendant la vie de l'archevêque Guillaume, quelques troupes à l'aide desquelles il se mit en possession du château de Dahlen, situé dans une île de la Duna. Le duc de Courlande l'y assiégea en 1568, et le fit prisonnier. Le roi de Pologne l'enferma au château de Rawa, où il resta jusqu'en 1566, qu'il abdiqua. Pendant qu'il était en prison, le duc de Mecklenbourg avait obtenu de Sigismond-Auguste que son fils, qui s'appelait comme le roi de Pologne, fût nommé archevêque. Le duc fut nommé administrateur de l'archevêché, jusqu'à ce que le nouvel archevêque, jeune enfant de cinq années, parvint à l'âge de quinze ans ; mais le roi ayant conçu quelques soupçons contre le duc, déclara, le 26 décembre 1566, l'archevêché de Riga éteint, et, du consentement de trois chanoines restants et des états, le réunit au grandduché de Lithuanie.

Pendant que Gotthard traitait déjà avec la

Pologne, la ville de Revel et la noblesse de l'Esthonie renoncèrent à l'obéissance de l'ordre, qui les avait laissées quatre années consécutives sans aucun secours contre les Russes. Le 4 juin 1561, elles se soumirent à la Suède, et prêtèrent le serment de fidélité à Éric XIV, fils et successeur de Gustave Wasa. Les lettres de confirmation du roi sont datées de Norkiöping le 2 août 1561 1.

Antérieurement déjà les Danois avaient trouvé moyen de s'emparer d'une partie de la Livonie. Jean de Münchhausen, évêque d'Oesel et de Courlande ou de Pilten, las des troubles dont la Livonie était agitée, vendit ses évêchés en 1559, pour une somme de 30,000 rixdales albertus, à Frédéric II, roi de Danemarck. Maurice de Wrangel, évêque de Revel ou de Wieck, suivit cet exemple. Frédéric II réunit ces trois évêchés à la couronne de Danemarck, et les conféra à titre de principauté séculière à son frère Magnus : celui-ci s'en mit effectivement en possession au mois d'avril 1560. Le gouverneur de Sonnenbourg lui remit ce château appartenant à l'ordre, et tout le district qui en relevait.

2

Division de l'histoire des traités du Nord.— La Livonie, se trouvant ainsi partagée entre la Russie, la Pologne, la Suède et le Danemarck, devint le sujet et le théâtre de guerres longues et sanglantes entre ces quatre puissances; celles que se livrèrent les Suédois et les Danois furent terminées par les traités de paix de Stettin et de Siöröd, en 1570 et 1613. La guerre de Livonie entre la Pologne et la Russie finit à la paix de Kiwerowa-Horka, en 1582. Les Suédois et les Russes s'accordèrent sur l'Esthonie par la paix de Teusin, en 1595, qui assura cette province aux premiers. La Suède et la Pologne terminerent leurs contestations sur la Livonie par la paix d'Oliva en 1660; et, comme les Russes y formaient toujours des prétentions, la paix

DOGIEL, Cod. dipl. Poloniæ, tom. V, p. 236.
Voy. Tables généalogiques des maisons souve-

raines du nord et de l'est de l'Europe, par Kocи; Paris, 1818, Table XXIX.

entre eux et les Suédois fut signée, en 1661, à Kardis. Par ces divers traités, toutes les provinces situées sur le golfe de Finlande, depuis l'embouchure de la Duna dans la mer Baltique, la plus grande partie de la Livonie, l'Esthonie, l'Ingrie et la Carélie, restèrent à la Suède.

Si la Livonie fut un sujet de guerre entre les quatre puissances, il en existait un autre entre la Suède et le Danemarck, qui se rapportait à la domination que cette dernière puissance s'attribuait sur le Sund. Maîtresse des deux côtes qui bordent ce détroit, elle ouvrait ou fermait à son gré l'entrée de la Baltique aux peuples que le commerce y attirait. La Suède ne put voir qu'avec jalousie, entre les mains des Danois, un empire qu'elle croyait pouvoir partager avec eux. La perception des droits de péage du Sund, et la possession des provinces situées sur ses bords, devinrent le sujet d'une suite de guerres, pendant lesquelles deux peuples voisins concurent l'un pour l'autre une haine qui s'est perpétuée pendant des siècles. La contestation fut décidée par la paix de Copenhague, en 1660; mais l'animosité se prolongea.

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Tous ces traités, dont nous donnerons le précis historique dans l'ordre chronologique, forment la PREMIÈRE PÉRIODE de l'histoire des traités entre les puissances du Nord.

LA SECONDE PÉRIODE renferme les traités qui furent conclus depuis ceux de Copenhague, d'Oliva et de Kardis, qui avaient assuré le premier rang à la Suède, jusqu'à la fin du dix-septième siècle. Pendant ces quarante années, la Suède joua le premier rôle dans le nord de l'Europe. Maîtresse de la Livonie, de l'Esthonie et de l'Ingrie, ainsi que des côtes orientales du Sund, en possession des belles provinces que la paix d'Osnabruck lui avait assignées en Allemagne, elle inspira par sa puissance autant d'inquiétude aux États du Nord, qu'à la même époque l'ambition de Louis XIV en donna aux puissances du Midi. La Pologne qui, anciennement, avait eu la supériorité sur la Russie, s'était vue dépouillée par ce voisin de ses plus belles provinces. Les

vices de sa constitution préparaient dès lors les événements qui, après lui avoir fait perdre cette considération qui est une des bases de la prospérité des États, et l'indépendance qui est le premier but de toute association politique, finirent par faire disparaître de la surface de l'Europe jusqu'au nom de la Pologne.

Deux grandes alliances rendent le commencement du dix-huitième siècle une époque remarquable; l'une se forma contre la prépondérance de la France; l'autre fut dirigée contre les projets ambitieux de la Suède. La guerre qui s'alluma dans le nord de l'Europe, opéra une révolution complète dans le système politique des puissances septentrionales. Dans la première période, la Russie avait essayé en vain de se fixer sur les bords de la Baltique; la vigilance et l'activité des rois de Suède l'avaient forcée de renoncer à jouer un rôle en Europe, en même temps qu'elle vit sa capitale au pouvoir d'un peuple voisin, des mains duquel elle fut obligée d'accepter des souverains. Ces voisins étaient les Polonais, peuple brave et guerrier, qui paraissait alors appelé à jouer un grand rôle sur la scène du monde, mais qui échoua dans toutes ses entreprises, parce qu'il n'apprit jamais à se gouverner lui-même.

Dans la seconde période, la Russie prit sur eux cette prépondérance que l'unité de son gouvernement lui assurait sur un État déchiré par

des factions; mais, pour affermir sa domination, il fallut l'établir sur la Baltique. Dès lors toute l'ambition des czars se tourna vers la Livonie, dont il fut nécessaire d'expulser les Suédois. Le génie de Pierre le Grand et les imprudences de Charles XII effectuèrent cette révolution. En perdant la Livonie et l'Ingrie, la Suède descendit du premier rang qu'elle avait occupé depuis la paix d'Oliva; elle le céda à la Russie qui s'y est constamment maintenue jusqu'à ce jour. L'histoire des traités qui établirent ce changement mémorable, depuis le commencement du dernier siècle jusqu'à la paix d'Abo, en 1743, et des traités de Copenhague et de

Tzarsko-Sélo, en 1767 et 1773, qui terminèrent

le différend relatif au duché de Holstein, forme la TROISIÈME PÉRIODE des traités entre les puissances du Nord.

Enfin nous comprenons dans la quatrième péRIODE les traités qui sont postérieurs à l'année 1778. Pendant cette période, le nord de l'Europe a été moins bouleversé par des guerres violentes que dans les époques précédentes. Les rapports entre la Russie et les États de la Scandinavie n'ont pas éprouvé d'altération notable. La Pologne a cessé d'exister; mais la Prusse qui, auparavant, était tour à tour dépendante de la Pologne et de la Suède, a pris un ascendant qui

est nécessaire pour le maintien de l'équilibre politique. Le Danemarck, après avoir joui d'une longue paix et d'une prospérité qu'il devait à la sagesse de son gouvernement, se vit, malgré lui, entraîné dans le tourbillon des événements produits par l'ambition de Bonaparte. Après avoir perdu sa marine, et avoir vu le commerce de ses sujets ruiné, il fut encore forcé de renoncer à la Norwége, dont, pendant près de cinq siècles, ses rois avaient porté la couronne. La réunion de la péninsule scandinavienne sous le sceptre d'un même monarque, commence le nouvel ordre de choses dont nos neveux verront les résultats.

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