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La proposition modifiée par la Chambre revint devant le Sénat et fut l'objet d'un nouveau rapport de M. Combes dans la séance du 3 juillet 1901. Le rapporteur ne crut pas nécessaire, en raison de l'approche des élections départementales, de discuter « sur la convenance ou la justesse » des modifications apportées par la Chambre au texte primitif, et conclut à l'adoption pure et simple de la rédaction transmise par l'autre assemblée. La loi fut adoptée sans discussion dans la séance du 4 juillet et promulguée le 8 juillet 1901.

Article unique. L'article 10 de la loi du 10 août 1871 est complété par la disposition suivante :

Ne sont pas considérés comme salariés, et compris dans les cas spécifiés au paragraphe précédent, les médecins chargés, dans leur canton ou les cantons voisins, des services de la protection de l'enfance et des enfants assistés, non plus que des services des épidémies, de la vaccination ou de tout autre service analogue ayant un caractère de philanthropie.

< La même exception s'applique aux vétérinaires chargés dans les mêmes conditions du service des épizooties. »>

XV..

LOI DU 10 JUILLET 1901, SUR L'ASSISTANCE JUDICIAIRE (1).

Notice et notes par M. BOUCHON, avocat à la cour d'appel de Paris,
docteur en droit.

La loi du 10 juillet 1901 a pour but de compléter et d'améliorer celle du 22 janvier 1851. Elle en respecte l'économie générale, en laisse subsister l'esprit, mais « en étend l'application dans un sens libéral et humanitaire » (2).

La loi de 1851, en effet, n'avait pas complètement réalisé la pensée généreuse de ses auteurs. Elle contenait des imperfections inévitables, que seule l'expérience pouvait montrer et que les bureaux d'assistance étaient depuis longtemps les premiers à signaler.

On connaît les origines et le but de cette loi. Le grand principe de la

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(1) J. Off. du 12 juillet 1901. TRAVAUX PRÉPARATOIRES. Chambre propos. de loi de M. Million, doc. 1898, p. 1179; de M. Bompard, doc. 1898 (session extraord.), p. 241; rapport, p. 516; rapport supplément., doc. 1900, p. 2; urgence, adoption, 7 février 1900. Sénat rapport, doc. 1901, p. 234; urgence, adoption, 24 mai 1901. Chambre rapport, doc. 1901, p. 635; adoption, 1er juillet 1901.

(2) Rapport de M. Legrand au Sénat, J. Off., 1901; travaux parlementaires, Sénat, 1901, p. 234.

gratuité de la justice, inscrit non peut-être sans présomption dans la Constitution de 1791 (t. III, chap. V, art. 2) et reproduit dans celle de 1848, était resté à peu près lettre morte. Il s'agissait de le mettre en pratique, au moins en faveur « des citoyens qui ne pouvaient, à raison de l'insuffisance de leurs ressources, faire valoir leurs droits en justice ». La loi de 1851 tendait donc à établir l'égalité entre les citoyens, à ouvrir le prétoire au pauvre comme au riche. Telles furent les raisons d'être de l'institution de l'assistance judiciaire. Aussi le secours de l'assistance judiciaire est-il, pour le citoyen indigent, un droit et non une faveur. Ce secours doit être acquis à celui qui veut soutenir un procès paraissant de nature à être gagné, que le citoyen pourvu de ressources suffisantes engagerait sans être taxé de témérité (1).

Une grave lacune existait néanmoins dans la loi de 1851. Le texte ne permettait pas d'accorder l'assistance judiciaire pour l'exécution des jugements. L'indigent qui avait triomphé devant toutes les juridictions se trouvait en définitive nanti d'un titre inutile. Le législateur de 1851 avait pensé que l'assisté judiciaire trouverait sans difficultés et gratuitement tous les concours nécessaires pour l'exécution des décisions par lui obtenues. La pratique a démontré l'erreur de cette prévision.

C'est principalement pour combler cette lacune que la loi récente a été votée. En même temps, d'autres réformes ont été introduites, d'une moindre importance peut-être, mais également réclamées depuis longtemps.

La loi nouvelle ne modifie pas l'économie de la loi de 1851, elle la complète, étend le nombre des cas dans lesquels l'assistance peut être accordée. Elle innove: 1° quant à la définition des personnes qui peuvent solliciter le bénéfice de l'assistance judiciaire; 2° quant à la définition des juridictions devant lesquelles le bénéfice de l'assistance judiciaire peut être demandé; 3° quant à la détermination des actes qui peuvent être exonérés. Mais le législateur a maintenu la composition ancienne des bureaux d'assistance judiciaire, rejetant sur ce point les propositions de ceux-là même qui avaient pris l'initiative de la réforme.

HISTORIQUE. Le premier projet de loi dû à M. Million, député, était le complément d'un projet du même auteur tendant à la réorganisation des justices de paix. Il se bornait à la création de bureaux d'assistance judiciaire près les justices de paix. Ce projet, présenté à la législature de 1885-1889, fut adopté après quelques modifications par la commission chargée d'étudier les réformes à introduire dans la procédure. Il fit même l'objet d'un rapport déposé le 5 juillet 1888; ce rapport ne put être discuté pendant la législature. Repris de nouveau par son auteur, dans la législature suivante, la Chambre l'adopta en première lecture, le 26 février 1891, mais une fois de plus il ne put aboutir. Pré

(1) Rapport de M. de Vatimesnil à l'Assemblée législative, D. P. 1851, 4° p., p. 26.

senté une troisième fois à la législature suivante, le 26 juin 1898, il fut renvoyé à la commission de la réforme judiciaire.

Le 14 novembre 1898, M. Bompard, député, présentait de son côté une proposition tendant à la modification des articles 1, 2, 3, 5, 6 et 8 de la loi du 22 janvier 1851, qui fut renvoyé devant la même commission. Cette proposition transformait complètement la composition des bureaux d'assistance et permettait de réclamer l'assistance judiciaire pour l'exécution des décisions de justice.

Les propositions Million et Bompard furent fondues en un seul projet de loi, présenté à la Chambre sur le rapport de M. Bompard (13 décembre 1898). Le même député déposait le 11 janvier 1900 un rapport supplémentaire fort bref, modifiant sensiblement le projet primitif.

La proposition de loi fut adoptée par la Chambre dans la séance du 7 février 1900, après déclaration de l'urgence.

La commission du Sénat apporta de notables modifications au texte voté par la Chambre; modifications que nous indiquerons en analysant la loi nouvelle. M. Louis Legrand déposa son rapport le 15 mars 1901; le projet de la commission fut adopté par le Sénat le 24 mai; et le nouveau texte, voté par la Chambre sans discussion le 27 juin 1901, et promulgué le 10 juillet.

DEFINITION DES PERSONNES QUI PEUVENT SOLLICITER LE BÉNÉFICE DE L'ASSISTANCE JUDICIAIRE.

L'article 1er accorde le droit à l'assistance judiciaire aux personnes privées et aux établissements publics ou d'utilité publique, ainsi qu'aux associations privées ayant pour objet une œuvre d'assistance et jouissant de la personnalité civile, lorsqu'à raison de l'insuffisance de leurs ressources, ces personnes, établissements et associations se trouvent dans l'impossibilité d'exercer leurs droits en justice, soit en demandant, soit en défendant.

Il n'est plus question d'indigence, comme dans la loi de 1851, mais d'insuffisance de ressources. Par cette substitution de termes le législateur a bien voulu marquer que l'indigence exigée était, non pas l'indigence absolue, mais l'indigence relative, l'indigence judiciaire, c'est-àdire l'absence des ressources nécessaires pour soutenir le procès. L'insuffisance légale de ressources dépend donc de l'importance du procès à soutenir ou des actes à exécuter. Ce point de vue était depuis longtemps, nous dit le rapporteur au Sénat, celui de la plupart des bureaux d'assistance judiciaire. Ceux-ci ne faisaient d'ailleurs que se conformer à la pensée du législateur de 1851, formellement indiquée dans le rapport de M. de Vatimesnil. C'est à ce dernier qu'on doit la distinction entre l'indigence absolue et l'indigence relative. Il y a donc un changement dans la lettre de la loi et non modification dans son esprit même. On veut exprimer plus clairement une pensée déjà ancienne.

L'expression « insuffisance de ressources » se trouvait déjà (1) dans le

(1) Voir rapport de M. de Vatimesnil, loc. cit.

projet de la commission extraparlementaire chargée par le garde des sceaux d'élaborer la première loi sur l'assistance judiciaire. Elle avait été écartée par le conseil d'état et remplacée par le mot indigence comme n'étant pas assez précise, pouvant faire naître des espérances, exagérées chez les justiciables et encourager des demandes téméraires.

Le législateur de 1901, au contraire, a craint que le mot d'indigence ne pût être pris trop à la lettre, soit par des bureaux trop sévères, soit même par des justiciables trop timides. Il a donc rétabli, dans le texte, le mot « insuffisance de ressources », voulant bien marquer dans quel esprit libéral la loi devait être appliquée.

L'assistance judiciaire peut être accordée dorénavant, non pas à toutes personnes morales, mais à certaines d'entre elles, à savoir: «<les établissements publics ou d'utilité publique, et les associations privées ayant pour objet une œuvre d'assistance et jouissant de la personnalité civile ». Elles doivent, comme les personnes privées, justifier de l'insuffisance de leurs ressources. Il n'y a pas pour elles de privilège. Le législateur n'a pas cru devoir déroger en leur faveur au principe en vertu duquel seule l'impossibilité pécuniaire de faire valoir ses droits en justice permet d'obtenir l'assistance judiciaire. Le texte voté par la Chambre des députés, et surtout les paroles du rapporteur, permettaient de supposer que cette assemblée avait entendu dispenser les personnes morales admises par la loi au bénéfice de l'assistance de la preuve de l'indigence (1). Cette faveur aurait été due à leur caractère d'établissement charitable. Le texte rectifié par le Sénat ne laisse subsister aucun doute.

DÉE.

JURIDICTIONS DEVANT LESQUELLES L'ASSISTANCE JUDICIAIRE PEUT ÊTRE DEMANDe par la loi nouvelle, l'assistance judiciaire peut être accordée devant toutes les juridictions, à l'exception toutefois du conseil des prud'hommes (2).

(1) Rapport de M. Bompard. « Vous n'hésiterez pas à imiter cet exemple (celui des législations étrangères) et à inscrire une disposition qui permette aux administrateurs des bureaux de bienfaisance, des hôpitaux et des hospices, et même de certaines grandes associations privées jouissant de la personnalité civile, de ne pas épuiser, pour mettre à la raison un plaideur de mauvaise foi, des ressources qui seront mieux employées à soulager l'infortune. » Le texte voté par la Chambre était ainsi conçu :

« Art. 1er. L'assistance judiciaire est accordée à toute personne qui à raison de l'insuffisance de ses ressources se trouve dans l'impossibilité d'exercer ses droits en justice, etc.

Peuvent aussi être admises au bénéfice de l'assistance judiciaire. les institutions publiques ou les associations privées, jouissant de la personnalité civile et ayant pour objet une œuvre d'assistance. »

La preuve de l'indigence ne paraissait pas exigée pour les « personnes morales ». Leur caractère d'établissement charitable leur donnait toujours droit à l'assistance. Néanmoins il faut bieu reconnaître que le texte n'était pas formel à ce sujet, et que, certainement, s'il avait été maintenu, il aurait donné lieu à des difficultés.

(2) V. la loi du 7 août 1850 sur le timbre et l'enregistrement des actes de procédure devant le conseil des prud'hommes (V. infrà, p. 126, note 2).

Aux juridictions énumérées par la loi de 1851 juge de paix, tribunal civil, tribunal de commerce, cour d'appel, cour de cassation, la loi nouvelle ajoute le juge des référés, le conseil de préfecture, le tribunal des conflits, ainsi que toutes les juridictions d'instruction et de répression. Cette dernière addition est particulièrement intéressante. Le projet voté par la Chambre accordait l'assistance judiciaire à la victime d'un crime ou d'un délit pour se porter partie civile devant les juridictions d'instruction et de répression, mais seulement dans les instances engagées à la requête du ministère public. Le texte définitif, amendé par le Sénat, permet en outre d'accorder l'assistance judiciaire afin de saisir le tribunal correctionnel par voie de citation directe. La Chambre craignait des abus de poursuites; l'examen préalable de l'affaire par le bureau d'assistance judiciaire permettra de les éviter. Cette dernière mesure a épargné aux parquets un surcroît de travail. Refuser le droit à l'assistance judiciaire dans les affaires entre parties aurait eu pour résultat de contraindre le ministère public à poursuivre d'office toutes les fois que le plaignant n'aurait pas eu de ressources suffisantes pour engager le procès à ses frais. Le rapport à la Chambre invitait d'ailleurs le garde des sceaux à donner des ordres formels en ce sens. Quant au juge des référés, déjà, en pratique, les bureaux n'hésitaient pas à accorder l'assistance judiciaire pour citer devant ce magistrat : il fait en effet partie du tribunal civil.

3o ACTES POUR LESQUELS L'ASSISTANCE JUDICIAIRE PEUT ÊTRE ACCORDÉE. Les articles 2 et 4 contiennent l'importante réforme qui a été le but principal de la loi celle qui permet enfin d'accorder l'assistance judiciaire pour l'exécution des décisions de justice et en général de tous les titres exécutoires. Déjà en pratique certains bureaux (1), entre autres les deux bureaux siégeant à Paris, n'hésitaient pas, nonobstant le silence de la loi, à accorder l'assistance judiciaire pour l'exécution des jugements et arrêts. Cette pratique n'avait d'ailleurs jamais été l'objet d'aucune protestation ni de la part de l'administration de l'enregistrement, ni de la part des officiers ministériels chargés de prêter leur concours. Il paraît qu'elle n'avait pas, par contre, l'approbation de la chancellerie.

Le principe nouveau une fois posé dans la loi, il s'agissait de déterminer comment l'assistance judiciaire serait accordée.

L'assistance accordée pour soutenir le procès permettrait-elle à l'assisté d'exécuter la décision obtenue comme il l'entendrait par toutes les voies de droit? Il ne pouvait être question de laisser à l'assisté une pareille latitude. Il eût été trop tenté d'en abuser, son ardeur ne devant pas être calmée par la crainte des frais. Il fallait donc, tout en admettant que le bénéfice de l'assistance s'étendrait de plein droit aux actes d'exécution, désigner une autorité chargée de spécifier les poursuites à exercer. Quelle serait cette autorité?

(1) V, Rasset Bouyard sur l'application de la loi de 1850.

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