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Aux termes du projet voté par la Chambre, c'était le tribunal luimême qui dans son jugement spécifiait les poursuites à exercer. Quant aux mesures non prévues par le jugement, c'était au président du tribunal qu'il appartenait de les autoriser.

Ce soin, le Sénat a préféré le confier aux bureaux d'assistance.

La disposition votée par la Chambre présentait en effet un double inconvénient. Le débiteur, averti par le jugement même des mesures d'exécution dont il était menacé, n'aurait eu que plus de facilité à se rendre insolvable. D'autre part, comment le tribunal serait-il en fait compétent pour désigner les mesures d'exécution véritablement utiles? Comment pourrait-il se renseigner sur la solvabilité du débiteur, sur les moyens de l'atteindre? Un débat s'engagerait-il sur ce point? La décision de ce chef serait-elle susceptible d'appel?

D'autre part, le président du tribunal est juge des référés, chargé de statuer sur les difficultés relatives à l'exécution des titres exécutoires. Il serait dans une situation fort délicate pour apprécier le bien fondé de mesures d'exécution par lui-même indiquées et conseillées, pour ainsi dire.

La désignation des mesures d'exécution étant confiée aux bureaux d'assistance, quel sera dans chaque hypothèse le bureau compétent pour indiquer les actes auxquels il sera procédé ?

Le texte distingue entre les jugements obtenus grâce au secours de l'assistance judiciaire et ceux qui terminent un procès que le gagnant a soutenu à ses frais.

Dans les deux hypothèses, le législateur s'inspire de cette idée que la décision doit être en général rendue par défaut, sans que le débiteur récalcitrant ait été entendu. Il doit en effet être surpris par la mesure d'exécution, pour que celle-ci soit efficace.

Dans le premier cas, le bénéfice de l'assistance judiciaire s'étend de plein droit à l'exécution des décisions à intervenir, mais les mesures d'exécution sont spécifiées par le bureau même qui a accordé l'assis

tance.

Dans la seconde hypothèse, la loi a préféré le bureau du domicile du créancier à celui du domicile du débiteur ou à celui du lieu de l'exécution. C'est une économie de temps, le premier de ces bureaux doit être forcément consulté pour statuer sur l'indigence du demandeur : il a paru plus simple de le laisser statuer en même temps sur le fond de l'affaire. En principe, le défendeur ne doit pas être entendu, et le bureau de son domicile ne sera renseigné sur ses ressources que s'il demeure dans la commune même où siège le bureau.

Quant aux instances incidentes que les actes d'exécution peuvent faire naître, soit entre l'assisté et un tiers, soit entre l'assisté et le débiteur poursuivi, le créancier devra, pour les introduire ou y défendre, avec le secours de l'assistance judiciaire, obtenir une décision nouvelle.

Le projet voté par la Chambre accordait de plein droit l'assistance

judiciaire pour suivre sur ces instances. Le Sénat a trouvé celte mesure excessive et rigoureuse pour les tiers restés étrangers au débat principal et dont la prétention peut être fondée. Il a paru plus équitable d'accorder la garantie d'un examen par le bureau aux débiteurs eux-mêmes, qui peuvent avoir de justes moyens à faire valoir et, en tous cas, profiter d'une conciliation amenée par les soins du bureau.

Enfin l'article 2, in fine, dit que l'assistance judiciaire est applicable, en dehors de tout litige, aux actes de juridiction gracieuse et aux actes conservatoires. Sur ce point déjà la pratique avait devancé la loi. L'assistance judiciaire était fréquemment accordée pour s'adresser soit à la chambre du conseil, soit au président du tribunal statuant sur requête; soit pour la réunion d'un conseil de famille, l'organisation d'une tutelle, pour des renonciations ou acceptations bénéficiaires, faites au greffe, de communauté ou succession, etc.

Telles sont les réformes principales introduites par la loi de 1901. Il existe encore quelques réformes de détail que nous signalerons en passant.

Les projets de loi présentés à la Chambre contenaient d'autres réformes importantes dont une partie avait passé dans le texte voté par cette assemblée. Elles étaient relatives à la composition des bureaux d'assistance judiciaire; rejetées par le Sénat, elles ont disparu du texte définitif. Les modifications votées par la Chambre comportaient création de bureaux d'assistance judiciaire près les justices de paix; présence du ministère public dans les autres bureaux.

Les bureaux cantonaux se composaient de cinq membres: 1o du receveur de l'enregistrement chargé des actes de la justice de paix ou, à défaut, d'un délégué nommé par le directeur de l'enregistrement et des domaines du département; 2o de deux délégués du préfet, pris parmi les conseillers généraux, les conseillers d'arrondissement, les maires, les adjoints ou les conseillers municipaux, les membres des commissions administratives des hospices et des bureaux de bienfaisance; 3o de deux membres nommés par le tribunal civil et pris, autant que possible, parmi les anciens magistrats, les avocats ou anciens avocats, les avoués ou anciens avoués, les notaires ou anciens notaires.

Cette composition des bureaux a paru au Sénat éminemment critiquable. Le premier écueil était l'introduction dans les bureaux de l'élément politique. Les « élus » du suffrage universel, représentant le préfet, auraient été parfois peut-être trop partagés entre le souci d'une bonne administration de la justice et celui de leurs intérêts électoraux ; quant aux représentants du tribunal, ils devaient être choisis, autant que possible, parmi les anciens magistrats, les avocats ou anciens avocats, les avoués ou anciens avoués, les notaires ou anciens notaires. Combien de fois la chose aurait-elle été possible? Le tribunal n'aurait-il pas été trop souvent contraint d'avoir recours à des agents d'affaires locaux, à des clercs de notaires ou d'huissiers ?

L'impossibilité de composer des bureaux ayant toute la compétence et toute l'impartialité voulue a douc contraint le législateur à renoncer à cette innovation. Certes, des bureaux installés au chef-lieu de canton eussent été plus accessibles aux justiciables, obligés souvent, pour comparaître devant les bureaux d'arrondissement, de perdre une journée entière de travail et d'exposer des frais hors de proportion avec l'importance de l'affaire. Mais cet avantage a dû être sacrifié aux considérations que nous venons d'exposer et que M. Legrand a très vigoureusement fait valoir dans son rapport au Sénat.

Le projet voté par la Chambre introduisait le ministère public dans les bureaux d'assistance judiciaire. Le bureau établi au chef-lieu de l'arrondissement comprenait le procureur de la République ou son délégué pris parmi les substituts ou les juges suppléants, etc...; le bureau établi près de la cour le procureur général ou l'un de ses substituts délégués; le bureau établi près la cour de cassation : le procureur général ou un avocat général délégué; le bureau établi près le conseil d'état un conseiller d'état ou un maitre des requêtes, désigné par le conseil d'état en assemblée générale. Le représentant du ministère public était simple membre du bureau et non président de droit; le bureau conservant le droit, comme par le passé, d'élire son président. Il était chargé du même travail que ses collègues.

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L'idée n'était pas nouvelle; déjà le projet présenté par le gouvernement à l'Assemblée législative et qui est devenu, après modifications, la loi du 22 janvier 1851, faisait, dans les bureaux à créer, une place au représentant du ministère public. L'Assemblée les en a écartés par des motifs d'ordre juridique et pratique; ceux-là mêmes qui, dernièrement, ont amené le Sénat à repousser l'innovation proposée par la Chambre. Le ministère public doit conclure dans toutes les affaires des assistés judiciaires. Il n'aurait pas eu, à l'audience, toute sa liberté d'appréciation s'il avait au préalable connu de l'affaire comme membre du bureau d'assistance judiciaire. Il est un principe de notre droit public rappelé par M. de Vatimesnil dans son rapport en vertu duquel un magistrat qui a donné son avis dans une affaire ne peut siéger comme juge dans cette même affaire.

Au point de vue pratique, ce serait pour les parquets un surcroît de travail nécessitant dans certains cas la création onéreuse de nouveaux postes de substituts.

Le ministère public n'en restera pas moins comme par le passé le très utile collaborateur des bureaux d'assistance judiciaire. C'est à lui que seront adressées les demandes d'assistance judiciaire soit par écrit, soit même verbalement, d'après la loi nouvelle. Ces demandes écrites ou verbales pourront même être présentées au maire de la commune où réside le demandeur; ce magistrat les transmettra en franchise au procureur de la République de l'arrondissement (art. 7 de la nouvelle loi).

C'est aussi le procureur de la République qui fait faire les enquêtes réclame's par le bureau d'assistance judiciaire. C'est même lui qui, au

besoin, stimulera le zèle de ses membres et veillera à la prompte expédition des affaires.

Si la composition des bureaux n'a pas été modifiée, leurs attributions ont été développées par la loi nouvelle. Nous avons vu qu'ils avaient maintenant le pouvoir d'accorder l'assistance judiciaire pour des actes non prévus par la loi de 1851. Il leur est permis, en outre, par la loi nouvelle, d'accorder l'assistance judiciaire à titre provisoire; ils ont le référé. Dans les cas d'extrême urgence, dans les affaires où les déchéances seraient imminentes, l'admission provisoire pourra être prononcée par le bureau, quel que soit le nombre des membres présents le président ou à son défaut le membre le plus ancien ayant voix prépondérante et même par un seul membre. Le bureau peut, dans ce cas, être convoqué d'office par le magistrat du ministère public à qui la demande doit être adressée. Le bureau du domicile du demandeur a le droit de prononcer l'admission provisoire, même s'il n'est compétent que pour statuer sur l'insuffisance de ressources. En tous cas, le bureau compétent statuera à bref délai sur le maintien ou le refus de l'assistance. Il semble bien que le bénéfice de l'assistance judiciaire devra en tous cas rester acquis, pour les actes accomplis avant la décision définitive. Il ne devra d'ailleurs être procédé pendant cette période qu'aux acles strictement nécessaires pour empêcher la déchéance.

Telles sont les principales réformes de la loi de 1901; il n'a été apporté que de légères modifications aux derniers articles de la loi de 1851. Ces modifications sont la conséquence du droit à l'assistance pour l'exécution des arrêts de justice et autres titres exécutoires. C'est ainsi que le trésor fera l'avance des frais dus aux tiers ayant participé à l'exécution aux serruriers, par exemple, qui auraient rété leur concours à l'ouverture des portes pendant une saisie. Il est possible enfin que les poursuites d'exécution soient interrompues ou suspendues. Lorsqu'elles auront été suspendues pendant plus d'un an, les frais seront réputés dus par la partie poursuivie et l'administration de l'enregistrement pourra en requérir le payement, sauf décisions ou justifications contraires.

Lorsque la décision ne pourra être exécutée que par le paiement des frais, l'assisté aura le droit de concourir avec l'administration de l'enregistrement aux actes de poursuite.

La loi du 10 juillet 1901, que nous venons d'analyser, n'a modifié que les articles 1 à 21 de la loi du 22 janvier 1851.

Les articles 22 à 27, relatifs au retrait de l'assistance judiciaire, et le tittre II (art. 28 à 31), concernant l'assistance judiciaire en matière criminelle et correctionnelle, demeurent donc en vigueur.

Nous avons cru devoir reproduire ces articles, de manière à présenter aux lecteurs de l'Annuaire un tout complet et à les dispenser de recourir au texte antérieur, abrogé dans la plupart de ses dispositions.

TITRE Ier.

De l'assistance judiciaire en matière civile (1).

CHAPITRE 1er.

Des formes dans lesquelles l'assistance judiciaire est accordée.

Art. 1er. L'assistance judiciaire peut être accordée, en tout état de cause, à toutes personnes, ainsi qu'à tous établissements publics ou d'utilité publique, et aux associations privées ayant pour objet une œuvre d'assistance et jouissant de la personnalité civile, lorsque, à raison de l'insuffisance de leurs ressources, ces personnes, établissements et associations se trouvent dans l'impossibilité d'exercer leurs droits en justice, soit en demandant, soit en défendant.

Elle est applicable : 1° à tous les litiges portés devant les tribunaux civils, les juges des référés, la chambre du conseil, les tribunaux de commerce, les juges de paix, les cours d'appel, la cour de cassation, les conseils de préfecture, le conseil d'état, le tribunal des conflits et aux parties civiles devant les juridictions d'instruction et de répression; 2o en dehors de tout litige, aux actes de juridiction gracieuse et aux actes conservatoires.

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Art. 2. L'assistance judiciaire s'étend de plein droit aux actes et procédures d'exécution à opérer en vertu des décisions en vue desquelles elle a été accordée : elle peut en outre être accordée pour tous actes et procédures d'exécution à opérer en vertu de décisions obtenues sans le bénéfice de cette assistance ou de tous actes, mêmes conventionnels, si les ressources de la partie qui poursuit l'exécution sont insuffisantes; le tout sauf ce qui sera dit dans l'article 4 ci-après.

Art. 3. L'admission à l'assistance judiciaire est prononcée : 1° Pour les instances qui doivent être portées devant les justices de paix, les tribunaux de simple police, les tribunaux civils et correctionnels, les tribunaux de commerce, les conseils de préfecture, les cours d'assises, par un bureau établi au chef-lieu judiciaire de l'arrondissement où siège la juridiction compétente, et composé : 1° du directeur de l'enregistrement et des domaines ou d'un agent de cette administration délégué par lui; 2o d'un délégué du préfet; 3o de trois membres pris parmi les anciens magistrats, les avocats

(1) Le texte publié au Journal officiel ne reproduit pas les divisions par titres et par chapitres de la loi du 22 janvier 1851, à l'exception cependant du chapitre III: Du retrait de l'assistance judiciaire. Il nous a paru nécessaire de combler cette lacune.

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