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seulement étaient personnellement responsables en cas de violation des statuts ou des dispositions de cette loi elle-même, mais encore pouvaient étre poursuivis correctionnellement à raison de ces faits et punis d'une amende de 16 à 200 francs. Le tribunal pouvait en outre, à la diligence du procureur de la République, prononcer la dissolution de la société. Dans un dernier paragraphe, l'article 6 ajoutait qu'au cas de fausse déclaration relative aux statuts ou aux noms et qualités des administrateurs, des directeurs ou des sociétaires, l'amende pourrait être portée à 500 francs.

Cet article était exorbitant et contraire au droit commun en matière de sociétés. La loi du 24 juillet 1867 a bien créé certains délits applicables spécialement aux sociétés en commandite par actions et aux sociétés anonymes, et qui visent, soit la constitution de la société (simulation de souscriptions ou de versements, publication de faits faux, émission ou négociation irrégulière d'actions, commencement prématuré des opérations sociales), soit son administration, (absence d'indication sur les documents émaués de la société de sa forme et de son capital, création frauduleuse d'une majorité factice dans l'assemblée générale, distribution de dividendes fictifs). Mais aucune loi, avant la loi de 1894, n'avait attaché des peines correctionnelles, d'une manière générale, à la violation des statuts d'une société, sans préciser d'aucune façon les faits qui peuvent motiver des poursuites.

Parmi les violations des statuts ou de la loi, il en est qui ne présentent aucune gravité, comme, par exemple, la négligence dans une caisse rurale de la vérification mensuelle, ou l'inobservation des prescriptions relatives à la tenue des livres. Le préjudice causé par de tels faits, s'il existe, peut facilement être réparé par les sanctions civiles de droit commun que le paragraphe 1er de l'article 6 édictait avec raison contre les administrateurs, en les déclarant responsables en cas de violation des statuts ou des dispositions de la loi. Y ajouter une répression pénale était inutile, sauf pour le cas prévu dans le dernier paragraphe de l'article où la fraude est manifeste, et le fait grave.

Les menaces de l'article 6 eurent pour effet de détourner des personnes honorables d'entrer dans l'administration des sociétés de crédit agricole et elles apportèrent une entrave sérieuse à l'accroissement si désirable du nombre de ces sociétés.

Ce danger fut signalé lors de la discussion de la loi du 31 mars 1899 au Sénat par M. Lourties, rapporteur. La société des agriculteurs de France, le 29 juin 1900, émit le vœu que l'article 6 fût modifié, la juridiction correctionnelle ne pouvant s'expliquer pour des sociétés dans lesquelles il n'y a aucun but de lucre ou de spéculation. Le congrès international des syndicats agricoles formula, le 12 juillet 1900, un vœu analogue.

Dès le mois d'avril 1900, M. Fernand David, député, avait saisi la Chambre des députés d'une proposition dans ce sens. Cette proposition fut votée sans contradiction.

Article unique. L'article 6 de la loi du 5 novembre 1894, relative à la création de sociétés de crédit agricole, est modifié comme suit:

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<< Les membres chargés de l'administration de la société seront personnellement responsables, en cas de violation des statuts << ou des dispositions de la présente loi, du préjudice résultant de << cette violation.

« En outre, au cas de fausse déclaration relative aux statuts ou <«< aux noms et qualités des administrateurs, des directeurs ou des sociétaires, ils pourront être poursuivis et punis d'une amende «< de 16 à 500 francs (1).

XIX.

LOI DU 31 JUILLET 1901, RENDANT APPLICABLES L'ARTICLE 463. DU CODE PÉNAL ET L'ARTICLE 1o DE LA LOI DU 26 MARS 1891 AUX DÉLITS ET CONTRAVENTIONS EN MATIÈRE DE PÊCHES MARITIMES ET DE NAVIGATION (2).

Notice par M. Henri FROMAGEOT, avocat à la cour d'appel,
docteur en droit.

Le principe de l'atténuation des peines par l'admission des circonstances atténuantes (art. 463 du code pénal) avait été écarté dans les différentes lois de répression concernant la marine.

Depuis un certain temps le législateur est revenu sur cette manière de voir. Déjà la loi du 24 décembre 1896 sur l'inscription maritime (3) a dérogé aux idées anciennes en reconnaissant l'application de l'article 463; puis la loi du 15 avril 1898 modificative du décret-loi disciplinaire et pénal pour la marine marchande du 24 mars 1852 (4) a tout à la fois admis le principe des circonstances atténuantes et celui du sursis à l'exécution de la peine. Enfin plus récemment encore la loi du 19 juillet 1901

(1) Ces deux paragraphes existaient déjà dans l'article 6 de la loi du 5 novembre 1894. On en a fait disparaître deux autres dispositions: l'une donnant au paragraphe 1er conservé, une sanction correctionnelle (amende de 16 à 200 francs), l'autre permettant au tribunal de prononcer la dissolution de la société à la diligence du procureur de la République.

(2) J. Off.6 septembre 1901.-TRAVAUX PRÉPARATOIRES.

Chambre propo

sition de loi (Hémon) et exposé des motifs, doc. 1900, p. 112; rapport, ibid. 1901, p. 252; annexe, ibid. p. 351; déclaration d'urgence et adoption (sans discussion), 24 mai 1901.- Sénat: texte transmis, doc. 1901, p.280; Rapport, ibid. p. 285; déclaration d'urgence et adoption (sans discussion), 3 juillet 1901.

(3) Annuaire, t. XVI, p. 114.

(4) Annuaire, t. XVIII, p. 234.

suprà, p. 130, vient de rendre le même article 463 du code pénal applicable à tous les crimes et délits réprimés par le code de justice maritime.

Diverses lois restaient qu'il convenait de modifier dans le même sens : le décret-loi du 9 janvier 1852 sur l'exercice de la pêche côtière, celui du 19 mars 1852 sur le rôle d'équipage, et celui du 20 mars 1852 sur la navigation au bornage. Tel a été le but de la présente loi du 31 juillet 1901, due à l'initiative de M. Hémon, député.

D'autre part, le décret du 19 mars 1852 allait en outre jusqu'à exclure le principe du non-cumul des peines admis en droit commun (art. 365 du code pénal). On a considéré que, là encore, il y avait une anomalie choquante, une rigueur excessive que rien ne justifiait et qu'il fallait se hâter de faire disparaître.

Enfin il a paru convenable d'introduire dans ces divers textes, comme cela a déjà été fait dans la plupart des autres lois pénales et notamment dans le code disciplinaire et pénal de la marine marchande, le principe du sursis à l'exécution des peines.

Article unique. Les dispositions de l'article 463 du code pénal, celles de l'article 365 du code d'instruction criminelle et celles de l'article 1er de la loi du 26 mars 1891 sont applicables aux délits et contraventions prévus par les décrets-lois du 9 janvier 1852 sur la pêche côtière, du 19 mars 1852 sur le rôle d'équipage, etc., et du 20 mars 1852 sur la navigation dite au bornage.

Les dispositions de l'article 8 du décret du 19 mars 1852 sont abrogées en ce qu'elles ont de contraire au présent article.

La présente loi est applicable à l'Algérie et aux colonies de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion.

XX.

LOI DU 21 NOVEMBRE 1901, MODIFIANT LES ARTICLES 300 ET 302 DU CODE PÉNAL (INFANTICIDE) (1).

Notice et notes par M. J. DEPEIGES, docteur en droit, avocat général près la cour d'appel de Riom.

Le code pénal de 1791 ne contenait pas de dispositions spéciales sur le crime d'infanticide, qui était puni alors soit comme assassinat, soit

-

(1) J. Off. du 22 novembre 1901. TRAVAUX PRÉPARATOIRES, Sénat propos. Félix Martin, doc. 1897, p. ; rapport, doc. 1899, p. 68; 1re délib., 27 mars, 12 juin, 3 juillet 1899, 26 juin 1900; 2° délib., 3 et 6 juillet, 27 novembre 1900; rapport supplémentaire, doc. 1901, p. 204; reprise de la 2 délib., 3 juillet 1901. Chambre: rapport, doc. 1901 (session extraord.), p. 59; urgence, adoption, 18 nov. 1901.

comme meurtre, suivant qu'il avait été commis avec ou sans préméditation.

Les rédacteurs du code de 1810 en firent, au contraire, un crime sui generis et, l'assimilant (comme le parricide) à l'assassinat, édictèrent contre les coupables la peine de mort, au lieu de celle de la déportation que prononçait le projet soumis à leurs délibérations. A leurs yeux, ainsi qu'en fait foi le rapport au conseil d'état, l'adoption de la peine capitale se justifiait par cette circonstance que l'infanticide est «< forcément prémédité ». A cette raison, s'en ajoutait d'ailleurs une plus puissante encore. En effet, malgré une assez vive opposition, Cambacérès fit prévaloir devant le conseil d'état cette idée que « le meurtre d'un être sans défense est un crime encore plus horrible que l'homicide; qu'il ne saurait donc être puni moins sévèrement; que la pudeur ne doit point servir d'excuse pour une aussi grande atrocité; que, d'ailleurs, la crainte du déshonneur n'est pas toujours le motif qui porte à ce crime, et que l'intérêt le fait aussi commettre. >>

En fait, il arriva ce que Treilhard et Berlier avaient prévu. Comme le code n'admettait pas de circonstances atténuantes en matière criminelle, le jury se trouva placé entre une condamnation à mort et l'acquittement il rendit souvent un verdict négatif.

La loi du 25 juin 1824 (art. 5) crut obvier à cet inconvénient, en permettant d'abaisser aux travaux forcés à perpétuité la peine prononcée contre la mère coupable d'infanticide qui bénéficierait des circonstances atténuantes, et ce système fut ensuite généralisé lors de la réforme de 1832. Depuis lors, la peine de l'infanticide, avec admission des circonstances atténuantes, put être abaissée jusqu'à cinq ans de travaux forcés. Cependant, les verdicts d'acquittement ont continué d'être très fréquents; on a pu dire même que dans certains départements ils étaient devenus la règle, tandis que les infanticides n'ont cessé d'augmenter, un assez grand nombre étant d'ailleurs poursuivis correctionnellement sous la qualification d'homicides par imprudence ou de suppression d'enfants, à défaut, par le ministère public, de pouvoir faire la preuve complète des éléments constitutifs du crime.

L'indulgence excessive du jury tient d'abord à un sentiment de pitié pour les filles séduites et d'aversion pour leurs séducteurs; elle tient aussi et surtout à la pénalité que la plupart des jurés jugent encore exagérée. Il a été révélé, en effet, que souvent les jurés ont déclaré qu'ils avaient préféré un acquittement à un verdict entraînant un minimum de cinq ans de travaux forcés.

La proposition de loi de M. Félix Martin, déposée au Sénat en 1897, a eu pour but de mettre un terme à ces acquittements scandaleux. Elle réservait la qualification d'infanticide à « l'homicide commis volontairement, au moment de la naissance, par une mère sur son enfant ». Elle distinguait l'infanticide prémédité de l'infanticide commis sans préméditation, lequel, pour être rare, n'est cependant pas absolument sans exemples. Enfin elle permettait au jury de déclarer, outre l'existence

des circonstances atténuantes, celle des circonstances très atténuantes; dans ce dernier cas, la peine de la mère coupable et de ses co-auteurs ou complices devait être de deux à cinq ans d'emprisonnement.

La commission sénatoriale ne voulut pas introduire dans nos lois, pour un cas spécial, le système des circonstances très atténuantes, auquel la haute assemblée s'était d'ailleurs montrée défavorable il y a quelques années. Elle se borna à faire rentrer l'infanticide dans les qualifications de meurtre ou d'assassinat, tout en admettant un abaissement des pénalités en faveur de la mère déclarée coupable qui obtiendrait le bénéfice des circonstances atténuantes. Après avoir rejeté successivement 1° un contre-projet de M. Aucoin punissant l'infanticide, sans distinctions, de la seule peine des travaux forcés à temps, 2o un contre-projet de M. Savary prononçant la peine de mort pour l'infanticide prémédité et les travaux forcés à temps pour l'infanticide non prémédité. Finalement, le Sénat a adopté les dispositions suivantes que la Chambre des députés s'est appropriées sans discussion :

Article unique.

Les articles 300 et 302 du code pénal sont modifiés comme suit :

« Art. 300. — L'infanticide (1) est le meurtre ou l'assassinat (2) d'un enfant nouveau-né (3).

« Art. 302.

Tout coupable d'assassinal, de parricide et

(1) Contrairement à ce qui a lieu dans un assez grand nombre de législations étrangères, la qualification d'infanticide n'est pas réservée, dans notre droit, au crime de la mère qui donne volontairement la mort à son enfant nouveau-né. Cette qualification a d'ailleurs perdu une grande partie de son intérêt, puisque l'infanticide n'est plus puni désormais comme un crime spécial. Elle a été conservée uniquement en vue des atténuations de peine prévues par les alinéas suivants en faveur de la mère (Comp. rapp. de M. Félix Martin).

(2) L'infanticide est, la plupart du temps, prémédité : la mère dissimule sa grossesse, ne fait aucuns préparatifs pour recevoir son enfant, accouche clandestinement et commet son crime. Toutefois, on a pu citer des exemples d'infanticide commis sans préméditation (Voy. les discours de M. F. Martin et du garde des sceaux, M. Monis à la séance du Sénat du 6 juillet 1900). Le législateur a donc effacé la présomption du code pénal de 1810 et le jury doit être appelé à se prononcer, suivant le droit commun, sur la question de préméditation (Conf. rapp. de M. Escanyé à la Ch. des dép.).

(3) La commission sénatoriale avait d'abord défini l'infanticide: l'homicid commis volontairement sur un enfant au moment de sa naissance. Dans la rédaction définitive on a rétabli l'expression enfant nouveau-né, malgré les controverses auxquelles elle a donné lieu. Nous rappelons que, d'après la jurisprudence, l'enfant n'est plus nouveau-né lorsque la naissance a été déclarée à l'officier de l'état civil ou qu'il s'est écoulé assez de temps, depuis cette naissance, pour qu'elle n'ait pu demeurer complètement inconnue. C'est d'ailleurs, d'après la cour de cassation, une question de fait abandonnée à l'appréciation du jury (Dalloz, Suppl. V• Crimes et délits contre les personnes, nos 80 et suiv.).

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