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TUNISIE.

NOTICE SUR LES LOIS, DÉCRETS ET ARRÊTÉS PROMULGUES EN 1901,

Par M. Robert ESTOUBLON, professeur à la faculte de droit
de l'université de Paris.

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Justice. Un décret du président de la République française, en date du 16 mai 1901, règlemente l'exercice de la profesion d'avocat en Tunisie. La loi du 27 mars 1883, qui a organisé la justice française en Tunisie, avait confié à des défenseurs le soin de représenter les parties. Elle n'avait pas prévu l'existence d'avocats constituant des barreaux analogues à ceux de la métropole. Des avocats se sont cependant établis auprès des tribunaux de la régence; ils étaient à Tunis, en 1901, au nombre de trente-sept, dont vingt-six Français, quatre israélites tunisiens, un musulman tunisien, cinq Italiens et un Anglais. — Ces avocats ont été soumis, en ce qui concerne la discipline, aux dispositions de l'ordonnance du 20 novembre 1822 par un décret en date du 1er octobre 1887. Toutefois, les fonctions du conseil de discipline étaient, dans tous les cas, remplies par le tribunal.

L'expérience a démontré qu'il serait avantageux d'édicter, pour les avocats de Tunis, des règles spéciales qui soient en harmonie avec le caractère international des collèges d'avocats de ce pays et les obligagations particulières qu'impose à leurs membres la procédure devant les juridictions indigènes. Il importait, en effet, d'obtenir ce double résultat d'une part, de conserver à tous les habitants de la régence la faculté d'être inscrits au barreau et, d'autre part, d'assurer la prépondérance à l'élément français. Le décret dont nous reproduisons le texte ci-après, s'est inspiré de ces considérations.

Ceux qui aspirent à exercer la profession d'avocat en Tunisie doivent, quelle que soit leur nationalité, avoir obtenu le diplôme de licencié en droit devant une faculté française; ils sont astreints au serment prévu par l'article 28 de l'ordonnance de 1822 et doivent le prêter devant celui des tribunaux de la régence auprès duquel ils désirent exercer.

Il a paru utile de modifier le système établi par le décret du 1er octobre 1887 et de constituer un conseil de discipline dans le sein duquel le bâtonnier serait choisi. Tous les avocats de nationalité française inscrits au tableau depuis cinq ans au moins peuvent seuls faire partie du conseil de l'ordre.

Les règles disciplinaires établies par l'ordonnance du 20 novembre 1822 sont applicables en Tunisie; mais les appels des décisions du conseil, au lieu d'être portés devant la cour d'appel d'Alger, sont déférés au tribunal, qui les examine en assemblée générale. Cette disposition a pour but d'assurer le maintien d'une bonne discipline en soumettant les affaires disciplinaires, en appel, à la juridiction qui, au courant des mœurs et des usages locaux, se trouve mieux qualifiée pour les apprécier. D'autre part, on a pensé que le bâtonnier, étant élu par ses confrères, aurait sur eux une autorité plus grande.

DÉCRET DU 16 MAI 1901 SUR L'EXERCICE DE LA PROFESSION D'AVOCAT

EN TUNISIE.

Art. 1er. Nul ne peut être inscrit sur le tableau des avocats s'il n'a obtenu en France le diplôme de licencié en droit et s'il n'a prêté le serment prescrit par l'article 38 de l'ordonnance du 20 novembre 1822. Ce serment peut être reçu par les tribunaux civils de Tunisie.

Art 2.

Les dispositions qui déterminent en France le nombre des avocats faisant partie du conseil de discipline sont applicables en Tunisie. Art. 3. Ne peuvent être nommés membres de ce conseil que les avocats de nationalité française inscrits depuis cinq ans au grand tableau. Art. 4. Sont électeurs au conseil de discipline tous les avocats inscrits au grand tableau.

Art. 5.

Les élections ont lieu chaque année, dans le courant du mois d'octobre.

Art. 6.
Art. 7.

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Le conseil de discipline choisit dans son sein le bâtonnier.
Le bâtonnier est chef de l'ordre et préside le conseil de dis-

cipline.
Art. 8. Les conseils de discipline sont chargés de maintenir les
principes de modération, de désintéressement et de probité sur lesquels
repose l'honneur de l'ordre des avocats; ils répriment d'office, ou sur
les plaintes qui leur sont adressées, les infractions et les fautes com-
mises par les avocats.

Art. 9. Les peines de discipline sont celles prévues par les lois françaises, et les formes qui doivent être suivies en cette matière sont celles indiquées par les mêmes lois; toutefois, les attributions conférées en France au procureur général sont remplies en Tunisie par les procureurs de la République, et les appels des décisions des conseils de discipline sont portés devant le tribunal auprès duquel ces conseils exercent leurs fonctions. Ce tribunal statue en assemblée générale et dans la chambre du conseil.

Art. 10.

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Dès que le conseil de discipline aura été constitué, il élaborera un règlement du barreau qui sera mis en vigueur, après avoir été homologué par le tribunal et approuvé par le ministre de la justice (1).

(1) Ce règlement a été élaboré par le conseil de discipline le 18 juillet 1901 et homologué par le tribunal de première instance le 24 juillet.

Art. 11.

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Les dispositions de l'ordonnance du 20 novembre 1822 et des textes qui l'ont complétée ou modifiée sont applicables en Tunisie sur tous les points auxquels il n'est pas dérogé par le présent décret. Art. 12. Les avocats actuellement inscrits en Tunisie continueront à exercer leur profession alors même qu'ils ne rempliraient pas les conditions indiquées à l'article 1er.

Art. 13.

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Les conseils de discipline seront constitués dans le mois qui suivra la promulgation du présent décret, et ils exerceront leurs fonctions jusqu'aux élections, qui auront lieu dans le courant du mois d'octobre suivant.

Art. 14.

Le décret du 1er octobre 1887, règlementant la profession d'avocat en Tunisie, est abrogé.

DÉCRET BEYLICAL, DU 17 JUIN 1901, RELATIF A L'EXÉCUTION DES JUGEMENTS RENDUS PAR LES TRIBUNAUX FRANÇAIS CONTRE DES SUJETS TUNISIENS.

Art. 1er. Tout justiciable des tribunaux français qui aura obtenu de cette juridiction un jugement contre un indigène tunisien non protégé d'une puissance européenne pourra demander à l'administration tunisienne d'en poursuvire l'exécution par les moyens dont elle dispose, sauf la saisie immobilière, soit qu'une tentative d'exécution par les voies ordinaires ait été infructueuse, soit même avant toute tentative d'exécution.

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Art. 2. A cet effet, il devra remettre à l'administration générale du gouvernement tunisien la grosse du jugement à exécuter, avec une ordonnance du président du tribunal français de l'arrondissement où la décision a été rendue l'autorisant à recourir à l'administration tumisienne pour son exécution.

Art. 3. L'ordonnance dont il est question à l'article précédent sera rendue sur simple requête, après que le magistrat qui la délivrera se sera assuré que la décision produite n'est susceptible d'aucune voie de recours ordinaire ou qu'elle est exécutoire par provision et qu'elle n'a pas été ramenée à exécution. Au cas où une exécution partielle aurait eu lieu, le fait devra être mentionné.

Art. 4. L'administration générale du gouvernement tunisien donnera les ordres nécessaires pour l'exécution de la décision produite. Au cas où celle-ci serait arrêtée par une action en revendication ou toute autre exception soulevée par le défendeur, cette administration ordonnera de passer outre si cet obstacle n'est évidemment qu'un moyen dilatoire et qu'il ne se présente pas avec des éléments propres à donner ouverture à des débats contentieux; sinon, elle déterminera dans un procès-verbal la nature de l'obstacle, prendra toutes mesures conservatoires utiles et renverra les parties à se pourvoir, ainsi qu'elles aviseront, devant l'autorité compétente.

Art. 5. Si la décision est ramenée à exécution, l'administration générale fera remettre les fonds perçus au créancier contre bonne et

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Au cas

valable décharge et fera tenir la grosse au débiteur libéré. où l'exécution sera partielle, la remise des fonds perçus au créancier ne sera faite que contre inscription signée de lui ou de son fondé de pouvoirs de ladite remise sur la grosse elle-même, en outre de la quittance à laquelle aura droit l'agent instrumentaire.

Un décret du président de la République française, du 5 août 1901 (1) déclare applicables en Tunisie, sous certaines modifications, la loi du 5 août 1899, sur le casier judiciaire et la réhabilitation de droit, modifiée par la loi du 11 juillet 1900, ainsi que les décrets portant règlement d'administration publique du 12 décembre 1899, complétés par ceux des 7 juin et 13 novembre 1900.

Un décret beylical du 14 février 1901 (2) fait bénéficier de la loi française sur l'amnistie les délits et contraventions prévus par la législation locale, ainsi que les infractions concernant les monopoles, les contributions diverses et les douanes.

Propriété foncière. Il existe en Tunisie comme en Algérie, bien que dans une proportion beaucoup moindre, des territoires collectifs de tribus ou de fractions de tribus (parcours, cultures, etc.), sur lesquels les membres de la tribu n'ont qu'un droit de jouissance, et qui sont inaliénables. Cet état de choses nuit à la sécurité des transactions et par suite au développement de la colonisation. Il était utile de déterminer l'étendue de ces territoires, leur situation juridique, ainsi que les conditions auxquelles la propriété privative pourrait y être constituée. C'est l'objet d'un décret beylical du 14 janvier 1901, dont nous reproduisons le texte.

DÉCRET BEYLICAL, DU 14 JANVIER 1901, RELATIF A LA DÉLIMITATION DES TERRES COLLECTIVES DES TRIBUS.

Art. 1er. - L'administration fera procéder dans le plus bref délai possible à la délimitation des terres de jouissance collective des tribus. Cette délimitation sera effectuée par des comités locaux composés, pour un caïdat du cadi, du caïd, de deux notaires, et placés sous la présidence d'un délégué spécial du gouvernement. Des décrets successifs détermineront les territoires dans lesquels il sera procédé aux opérations de cette délimitation.

Art. 2. Les personnes autres que celles possédant un titre d'immatriculation et qui prétendraient un droit réel privatif sur un terrain situé dans un territoire soumis à la délimitation devront, dans les six mois qui suivront la promulgatien du décret ordonnant la délimitation de ce territoire, le déclarer et en déposer tous titres en leur pos

(1) Revue algérienne et tunisienne, 1900, 3o part., p. 74. (2) Revue algérienne et tunisienne, 1901, 3o part., p. 40.

session par devant le comité local institué par l'article précédent. Les détenteurs hypothécaires ou gagistes de titres de propriété seront tenus de les représenter au comité, dans le même délai, à peine d'une amende de 50 à 500 francs et de tous dommages-intérêts envers la partie lésée. Les pièces présentées au comité seront analysées sur un registre, cotées, revêtues d'une estampille et restituées ensuite à leurs détenteurs. Le domaine de l'État sera représenté à ces opérations et, au au fur et à mesure de leur avancement, fournira au comité toutes indications et justifications utiles sur les terrains dont il a la charge, y compris ceux visés au décret du 13 janvier 1896.

Art. 3. Dans l'intervalle qui s'écoulera entre la promulgation du décret d'ouverture des opérations et celle du décret d'homologation, aucun acte d'aliénation, en propriété ou en jouissance, de terres sises dans le territoire soumis à la délimitation ne pourra avoir lieu sans un certificat préalable de non opposition délivré par le premier ministre, et ce, à peine de nullité, même au regard des parties. Les contrats que les parties ou les notaires auraient dressés en violation de cette disposition seront saisis, s'ils sont produits en justice ou à l'enregistrement. Dans le cas ou une instance en immatriculation serait introduite pour les terres pendant le même délai, le fait que les opérations de délimitation des terres de jouissance collective seront en cours vaudra opposition d'office de la part du premier ministre, et, si le requérant n'en rapporte la main-levée, il sera, par le tribunal mixte, sursis à statuer jusqu'à la promulgation du décret d'homologation visé à l'article sui

vant.

Art. 4. Les procès-verbaux des opérations de délimitation, homologués par nous, détermineront d'une manière définitive, à l'égard des tiers, la consistance des terres de jouissance collective de chaque caïdat. Aucune revendication ultérieure à leur sujet par un particulier ne pourra être portée devant les diverses juridictions de la Tunisie (tribunaux français, tribunaux indigenes, tribunal mixte) si elle n'est exclusivement basée sur des pièces revêtues de l'estampille prévue à l'article 2.

Art. 5. Concurremment avec les opérations ci-dessus indiquées et indépendamment de la situation de fait qu'elles ont pour objet de constater, une commission est chargée de déterminer et de définir les conditions d'établissement, de jouissance, de conservation et de transInission de la propriété dans les terres collectives de tribus. - Cette commission est ainsi composée : Le premier ministre; le ministre de la plume; le secrétaire général du gouvernement; le directeur des finances; le directeur de l'agriculture et du commerce; le président du tribunal mixte; le président de la chambre indigène du tribunal mixte; un officier désigné par le général commandant la division d'occupation; deux caïds ou notables désignés par le premier ministre.

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