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délibération, mais, cette fois, ils ne se trouvaient plus en présence que de la thèse soutenue successivement par MM. Poincaré, Cochery, Peytral, qui, tout en n'étant pas résolus comme M. Doumer à introduire le système progressif dans l'ensemble des impôts, l'avaient adopté pour les successions. Cette thèse fut reprise par M. Caillaux, par le rapporteur, M. Monestier, et par M. Maxime Lecomte.

Le ministre des finances soutint que le gouvernement répudiait d'une manière absolue la théorie qui consiste à voir dans l'impôt un moyen de nivellement social, et qu'il lui paraissait indiscutable que l'ensemble de nos impôts doit arriver à la proportionnalité des charges entre tous les citoyens; mais, ajoutait-il, en compensation de la charge improportionnelle que les impôts indirects font peser sur les petits contribuables il est légitime d'instituer des taxes à taux gradués ou progressifs; de telles taxes ne procèdent pas du caractère doctrinal de l'impôt progressif. Celui-ci, en effet, conduit à rechercher l'ensemble des ressources de chaque contribuable, tandis que l'impôt sur les successions est simplement établi sur l'importance des parts successorales.

Dans la séance du 17 janvier, M. Prévet et M. Labiche combattirent cette argumentation, mais elle fut reprise par M. Waldeck-Rousseau, président du conseil, et finalement le Sénat rejeta par 154 voix contre 115 un amendemen! qui maintenait la proportionnalité.

A partir de ce vote, la discussion s'est acheminée rapidement vers l'incorporation définitive dans le budget du 25 février 1901 des diverses réformes qui vont être ci-dessous analysées.

IV. Le tarif des droits de mutation par décès inséré dans la loi de finances du 25 février 1091 a déjà été modifié par celle du 30 mars 1902 (V. infrà, p. 146). Au moment de la discussion devant la Chambre, en 1895, M. Anthime-Ménard avait déjà déposé un amendement tendant à continuer sur les parts de succession supérieures à 1 million la progression établie jusqu'à 1 million. Le Sénat rejeta cet amendement dont la progression parut excessive et équivalente à une mainmise de l'Etat sur les fortunes des particuliers.

Quand le projet revint à la Chambre en 1900, M. Klotz présenta un amendement nouveau dans lequel les taxes allaient jusqu'à 10 % en ligne directe pour les parts de succession dépassant 100 millions et jusqu'à 74 % entre étrangers pour les mêmes parts. Cet amendement, disjoint par la Chambre (1) et transformé par son auteur en proposition de loi, fut adopté à une majorité considérable, le 22 février 1901. La proposition fut transmise au Sénat; une commission fut saisie.

Mais, au moment de la discussion du budget de 1902 devant la Chambre, M. Klotz reprit son amendement, qui fut voté et incorporé à l'article 10 de la loi de finances.

Au Sénat, le gouvernement déclara, par l'organe de M. Cail aux,

(1) Séance du 15 novembre 1900.

qu'il ne pouvait admettre que l'impôt devint une << sorte de rouleau compresseur que l'on passerait sur les grosses fortunes », et que tel était le caractère de la proposition Klotz. Mais M. Pauliat estimant qu'il y avait cependant lieu de régler la question des successions supérieures à 1 million déposa un amendement qui obtint 252 voix contre 7 ét, qui est devenu l'article 10 de la loi du 30 mars 1902.

Cinq catégories, au lieu d'une seule qu'il y avait dans la loi de 1901, sont instituées pour les successions dont le chiffre est au-dessus de 1 million. L'auteur de l'amendement a déclaré qu'il s'était mis en rapport avec les bureaux du ministère des finances et qu'il avait trouvé auprès d'eux tous les concours pour parvenir à un tarif équitable. Le ministre et la commission ont proposé au Sénat l'adoption de ce tarif relativement modéré en faisant remarquer que, comme il est nécessaire de s'arrêter dans la progression à un certain chiffre, il était plus simple de s'arrêter à 50 millions comme le proposait M. Pauliat qu'à 100 millions comme le comportait la proposition Klotz d'autant plus qu'il n'y a eu pendant les trois dernières années qu'une seule succession qui ait atteint 52 millions (1).

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I. Dettes déductibles. Le principe de la déduction étant admis, le législateur a pensé qu'il était logique de l'appliquer à toutes les dettes dont l'existence serait certaine au jour de l'ouverture de la succession; aussi a-t-il, dans l'article 3, employé une formule qui exclut toute distinction entre les dettes civiles et les dettes commerciales. L'existence de ces dettes pourra être justifiée par toutes espèces de « titres susceptibles de faire preuve en justice ».

Il résulte des explications fournies au cours des débats que le terme « titre » doit être pris dans une acception aussi large que possible; il doit s'entendre de toute pièce écrite établissant par elle-même l'existence de la dette; mais les dettes verbales, ainsi que celles pour lesquelles il existerait seulement un commencement de preuve par écrit, se trouvent exclues du bénéfice de la déduction (discours de M. Cordelet, Sénat, 22 janvier 1901, et Instr. nos 3.049 et 3.058). La déduction soulèvera dans la pratique de sérieuses difficultés; elles devront être résolues par les principes généraux du droit civil, car il eût été impossible de

(1) Sénat. Séance du 26 mars 1902 (J. O7. p. 658 à 664). Lorsque le projet de budget pour 1902 revint à la Chambre MM. Klotz et Authime-Ménard ne firent aucune difficulté pour accepter le texte voté par le Sénat et l'adoption eut lieu sans discussion (Chambre, 2 séance du 28 mars 1902, J. Off. p. 1626). On remarquera pourtant que les taux dans les nouvelles catégories ne dépasseront pas 5% en ligne directe et 20 fr. 50 % entre étrangers, ce qui est assez loin des chiffres que la Chambre avait adoptés primitivement. L'assemblée, soumise au renouvellement en 1902, n'était d'ailleurs pas avare de manifestations qu'elle savait devoir être tempérées par le Sénat.

légiférer pour chaque espèce. Toutefois, il faut noter que l'article 7 exclut du bénéfice de la déduction une série de dettes qui sont présumées fictives; mais cette exclusion est atténuée par l'autorisation de faire tomber la présomption de fictivité à l'égard de la plupart de ces dettes, au moyen de justifications spéciales.

II. Justifications à fournir. Pour établir l'existence des dettes dont ils demandent la déduction, les héritiers ou légataires ont le choix entre les divers titres remplissant les conditions prescrites par l'article 3. Mais les justifications à fournir à l'administration varient suivant la nature du titre invoqué et l'article 4 règle la procédure à suivre à cet égard.

Lorsque la déduction sera demandée pour des dettes commerciales et que les héritiers offriront d'en établir l'existence par les livres de commerce du créancier, on appliquera cet article 4, 4 alin., en vertu duquel le créancier doit laisser prendre une copie; mais ils pourront être obligés d'en établir l'existence par les livres de commerce du défunt. Le système de la production des livres de commerce, adopté primitivement par la Chambre et le Sénat, 'avait donné lieu à de vives critiques, et la Chambre, en seconde délibération, s'était bornée au texte général de l'article 3, alin. 1, d'où il serait résulté que l'héritier, pour les dettes commerciales comme pour les autres, aurait eu le choix parmi les pièces justificatives. Mais, lors de la séance du 22 janvier 1901, M. Cordelet soutint que, pour donner au trésor l'assurance que le passif déclaré était exact, il fallait l'autoriser à exiger la production des livres du défunt; il déposa à cet effet un amendement qui, accepté par la commission et par le ministre, a formé les 2o et 3e alinéas de l'article 3. Les héritiers auront à produire ces livres depuis la date de la plus ancienne mention de la dette invoquée, jusqu'au jour du décès (Instr. n° 3.058).

Les articles 5 et 6 fixent les pouvoirs de l'administration au sujet des justifications, et les articles 8, 9 et 10 déterminent les moyens de preuve dont elle pourra user pour établir l'inexactitude des déclarations, le délai dans lequel elle devra intenter son action, ainsi que les peines portées contre l'héritier et, le cas échéant, contre le prétendu créancier.

§ 2. Liquidation et perception des droits (art. 2, 11, 12, 15, 19).

I. Tarif gradué. Dans l'économie de la nouvelle loi, c'est l'importance de la part nette recueillie par chaque ayant droit et non la valeur nette de la masse héréditaire qui doit être envisagée pour la perception. Par conséquent, après avoir opéré la déduction du passif sur l'ensemble des biens, il y aura lieu de déterminer ensuite le montant de l'émolument net revenant à chaque héritier ou légataire (Instr. n° 3.058).

Le tarif est, comme par le passé, gradué d'après le degré de parenté,

et la loi nouvelle divise à cet égard les héritiers en sept catégories; mais, de plus, comme il a été dit dans l'historique, son taux est progressif. Voici comment s'appliquera la progression la part nette recueillie par chacun des ayants droit sera fractionnée par tranches, conformément aux tableaux insérés à l'article 2 de la loi de 1901 et à l'article 10 de la loi de 1902; chaque tranche sera soumise au tarif particulier qui lui correspond.

Ce qui vient d'être exposé ne saurait être mieux précisé que par l'exemple suivant, emprunté au rapport de M. Monestier.

Soit une succession de 60.000 francs comprenant 16.000 francs de dettes, également répartie par un père entre ses quatre enfants. L'actif net total étant de 44.000 francs, chacune des parts nettes est de 11.000 francs.

Pour obtenir le montant de l'impôt, chaque part de 11.000 francs doit être décomposée par tranches.

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Legs de bienfaisance.

Une exception au principe de la progressivité a été établie par l'article 19 au profit de certains établissements publics et d'utilité publique. Les libéralités qui leur sont consenties entre vifs, aussi bien que les legs qui leur sont faits, sont soumis uniformément à un impôt de 9 ., sans décimes.

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II. Dispositions diverses. La loi édicte un certain nombre de mesures destinées à mieux assurer la perception de l'impôt. Celles sur lesquelles il importe de dire ici quelques mots concernent :

a) L'évaluation des biens meubles;

b) L'évaluation des immeubles;

c) Les précautions en matière de valeurs mobilières.

a) L'article 11 reproduit d'abord l'article 3 de la loi du 21 juin 1875 qui, dans une certaine mesure, avait déjà armé la régie contre les fraudes qui se commettent dans la déclaration de la valeur des meubles corporels; cette loi permettait à la régie de déterminer la valeur d'après les inventaires ou autres actes passés dans les deux années du décès.

(1) M. Monestier fait remarquer que dans cette succession de 60.000 francs, le taux moyen ressort à 1.22 %; il sera donc inférieur à celui de 1.25 % perçu sous le régime antérieur. Souvent, dit-il, l'élévation des taxes ne sera qu'une apparence à cause de la déduction des dettes.

D'autre part, c'est ce système des tranches qui faisait dire à M. WaldeckRousseau dans la séance du Sénat du 17 janvier 1901: « On voit qu'une même somme ne paye pas plus dans un gros que dans un petit héritage, et que c'est seulement une tranche d'héritage différente qui paye un impôt différent. » (2) Les praticiens ne manqueront pas d'établir des barêmes permettant le calcul rapide des droits.

Désormais, à défaut de ces documents, on liquidera l'impôt sur l'évaluation faite dans les polices d'assurances, cette évaluation étant réduite à 33 %, parce que, comme le remarque M. Monestier, en général les assurés majorent la valeur de leur mobilier; comme les meubles peuvent avoir été vendus ou détruits sans que le fait ait été constaté par un avenant, les parties sont admises à prouver l'inexactitude des indications des polices. Bien que le texte ne le dise pas expressément, les seules polices susceptibles d'être invoquées sont les polices d'assurances contre l'incendie (1).

La loi nouvelle, comme celle du 21 juin 1875, ne s'applique qu'aux effets corporels à l'exclusion des valeurs incorporelles. En ce qui concerne les fonds de commerce, la question de savoir s'ils étaient ou non régis par la loi du 21 juin 1875 était controversée. La loi de 1901 dissipe toute incertitude; dans les travaux préparatoires il a été constaté que l'article 11 dans ses premiers alinéas ne s'appliquait pas aux fonds de commerce, et c'est pour cela que M. Dufoussat, sénateur, a fait adopter le dernier alinéa qui permet à la régie de contrôler par l'expertise, comme cela avait déjà lieu pour les transmissions à titre onéreux d'après la loi du 28 février 1872.

b) Jusqu'à présent la valeur imposable des immeubles transmis par décès en pleine propriété était obtenue dans tous les cas en multipliant par vingt pour les immeubles urbains et par vingt-cinq pour les immeubles ruraux le revenu déclaré par les héritiers ou résultant de baux courants. Les immeubles dont la destination n'est pas de procurer un revenu, tels que terrains à bâtir, parcs, châteaux, propriétés d'agrément, étaient ainsi taxés au-dessous de leur valeur réelle; l'article 12 permet de les imposer désormais d'après leur valeur vinale. li est également applicable aux successions et aux donations (2).

c) L'article 15 impose aux sociétés et établissements pui lics l'obligation d'exiger des héritiers, à l'appui des demandes de trai sferts ou de conversions, la production d'un certificat de paiement des droits comme l'exigeait déjà le trésor, en vertu de l'article 25 de la loi du 8 juillet 1852. Mais surtout ce même article s'est préoccupé des titres au porteur et il prescrit aux dépositaires, détenteurs ou débiteurs qu'il énumère l'obligation de fournir au directeur de l'enregistrement la liste des titres ou sommes qu'ils détiennent, lorsqu'ils ont l'occasion de s'en dessaisir au profit des ayants droit du titulaire décédé.

Toutes les sociétés sont soumises à ces dispositions aussi bien les

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(1) Une note de la régie insérée dans le rapport de M. Doumer dit : « les polices d'assurances contre l'incendie engendreraient une présomption légale, etc... » M. Cordelet s'exprime ainsi dans son rapport: l'administration a pensé que les polices d'assurances contre l'incendie offriraient un sérieux élément d'appréciation, etc... »

(2) Il sera quelquefois difficile de discerner si les biens sont de la catégorie visée par l'article 12; ce sera une question de fait que les tribunaux ordinaires jugeront.

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