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Par contre, les associations secrètes étaient absolument proscrites (décret du 28 juillet 1848 art. 13), ainsi que « toute association internationale ayant pour but de provoquer à la suspension du travail, à l'abolition du travail, à l'abolition du droit de propriété, de la famille, de la patrie, de la religion ou du libre exercice des cultes » (loi du 14 mars 1872). Enfin, les congrégations religieuses avaient une situation assez incertaine résultant des lois des 2 janvier 1817 et 24 mai 1825 et du décret du 31 janvier 1852, et plus encore de la pratique et de la jurisprudence administratives, l'une et l'autre fort variables.

Cette situation avait depuis longtemps soulevé de vives réclamations, et un assez grand nombre de projets de loi (trente-deux) avaient été rédigés depuis trente ans pour faire un autre sort aux associations; mais aucun de ces projets n'avait été discuté, lorsque le projet d'où est sortie la loi actuelle, et qui est dû à l'initiative du gouvernement, est venu devant le parlement.

Ce projet contenait deux parties, comme fait encore la loi actuelle : une partie générale et une partie spéciale; une partie contenant la loi commune à toutes les associations, l'autre spéciale à certaines associations, les congrégations religieuses. La première partie donna lieu à peu de débats: on était d'accord pour supprimer l'autorisation préalable. Seulement, fallait-il exiger dans tous les cas une déclaration préalable Le projet primitif disait oui, mais ceci fut corrigé et on s'accorda à n'exiger plus la déclaration préalable que des associations désireuses d'obtenir ce que l'on appela dans les débats la petite personnalité civile, c'est-à-dire le droit de posséder dans une faible limite, de disposer de ces biens et d'ester en justice. Les associations soucieuses de posséder plus et d'être capables de recevoir à titre gratuit, doivent demander la déclaration d'utilité publique.

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Tout le débat il fut long et passionné, surtout à la Chambre concentra sur la seconde partie : certaines associations ne devaient pas jouir de la liberté, mais être soumises au régime de l'autorisation préalable. Cette disposition était faite en vue des congrégations religieuses, mais le projet primitif évitait de les nommer. Il soumettait à ce régime exceptionnel les associations entre français et étrangers, les associations entre français dont le siège est à l'étranger ou confié à des étrangers, et, en second lieu, celles dont les membres vivent en

commun.

La réclamation de plusieurs groupes ouvriers, existant surtout dans le nord et dont les membres vivent en commun, fit effacer la dernière disposition. Les socialistes, à leur tour, s'élevèrent vivement contre la première, qui semblait les menacer : ils rappelèrent que leur parti a une organisation internationale et qu'un ministère moins favorable pourrait tourner contre eux cette arme qní ne doit être dirigée que contre les religieux. Pour leur complaire, la commission effaça cette définition et nomma les congrégations, ce qu'elle avait d'abord voulu éviter.

Les congrégations religieuses ne devaient à l'avenir pouvoir se fondre

et exister qu'avec une autorisation toujours révocable. Cette autorisation d'abord devait être donnée par décret; il fut écrit ensuite qu'elle ne pourrait être donnée que par une loi, mais pourrait être retirée par décret, disposition nouvelle dans notre législation. Le projet ajoutait que les biens des congrégations non autorisées seraient confisqués et serviraient à constituer une caisse de retraites pour les ouvriers.

Les partisans de ce régime d'exception le défendirent par des arguments divers. Les socialistes déclarèrent nettement, et surtout par l'organe de M. Viviani, qu'il s'agissait pour eux de combattre l'Église catholique, dont les congrégations sont une partie et l'un des soutiens. Leur désir aurait été qu'on supprimât toutes les congrégations comme en 1789. Par tactique seulement, et pour commencer, ils acceptaient le projet de loi, dont une disposition surtout leur plaisait c'était la confiscation. Ils y voyaient un triomphe pour leur doctrine le droit de propriété mis à la discrétion du gouvernement.

M. Waldeck-Rousseau qui, en sa qualité de président du conseil des ministres, partagea avec les rapporteurs des commissions à la Chambre et au Sénat la charge de défendre le projet de loi, se plaça sur un autre terrain. Le gouvernement, en présentant ce projet, ne voulait nullement faire la guerre à l'Église, bien au contraire; le clergé séculier devait se féliciter de voir supprimer la concurrence que lui font les ordres religieux. Les congrégations ne sont pas nécessaires à l'Église catholique, et ce qui le prouve bien c'est que le Concordat, c'est-à-dire la charte du rétablissement de l'Église de France, est absolument muet à leur endroit. En prenant contre elle des mesures de rigueur, la République ne fait que suivre l'exemple et du gouvernement de l'ancien régime, et du gouvernement de la Restauration, et de la monarchie de Juillet.

Il ne s'agissait point d'ailleurs de supprimer brutalement toutes les congrégations; le président du conseil reconnaissait que certaines d'entre elles rendent de vrais services; il ne s'agissait que de discerner l'ivraie du bon grain. Mais les congrégations sont trop nombreuses, elles sont trop riches aussi un récent travail du ministère des finances faisait ressortir à plus d'un milliard le chiffre de leurs seuls immeubles. Pour distinguer entre les utiles et les nuisibles, qui donc offre plus de garantie de compétence et d'impartialité que le parlement? Le projet avait, en outre, pourvu à tout, en donnant au gouvernement le pouvoir de supprimer même les congrégations autorisées par les chambres.

Quant à la confiscation prétendue, c'était seulement la conséquence des principes du code civil qui veut que les biens sans maîtres appartiennent à l'Etat; or les congrégations non autorisées ne pouvant posséder, leurs biens sont forcément vacants.

Les deux rapporteurs, MM. Trouillot à la Chambre et Combes au Sénat, employèrent plutôt les arguments de M. Viviani, car ils attaquèrent les congrégations en elles-mêmes et par de tels arguments que l'on était surpris qu'ils voulussent bien en laisser vivre. M. Trouillot dénonça même l'enseignement donné dans les grands séminaires où se

forme le clergé séculier et les opinions théologiques de tels et tels dor

teurs.

Les adversaires du projet de loi qui n'appartenaient pas tous au parti conservateur (il y avait parmi eux des républicains notoires, tels que MM. Ribot, Aynard, Beauregard à la Chambre, Milliard, Bérenger, Tillaye au Sénat), répondaient que les gouvernements de l'ancien régime et des monarchies de la première moitié du XIX siècle étaient d'assez étranges exemples pour une République qui prenait pour devise liberté, égalité. Les gouvernements cités avaient pour maxime de ne souffrir que des associations autorisées par eux; ils imposaient cette autorisation aux congrégations religieuses comme aux autres et on le comprenait d'autant mieux pour l'ancien régime qu'il avait fait aux religieux un droit civil à part. Nous vivons aujourd'hui sous un régime qui ne reconnaît pas les vœux monastiques et qui établit comme principe la liberté d'association; pourquoi refuserait-on l'usage de cette liberté à des citoyens que rien, civilement, ne distingue des autres?

On allègue qu'ils sont un péril pour la République et la société moderne. Ce sont des paroles; on n'en peut donner aucune preuve, et il est étrange, lorsqu'on renonce à toute mesure préventive même contre les sociétés secrètes ou contre les associations qui ont pour but avoué de provoquer à la suspension du travail, à l'abolition du droit de propriété, de la famille, de la patrie, de la religion ou du libre exercice des cultes, de proscrire des associations qui vivent au grand jour, et qui manifestement rendent les plus grands services à la nation entière et dans l'ordre charitable et par leurs missions à l'étranger. Le président du conseil lui-même leur rend hommage et en même temps il demande leur ruine, car les dispositions de la majorité parlementaire sont connues; d'ailleurs, il est au pouvoir du gouvernement de supprimer d'un trait de plume la congrégation la plus méritante, même après l'autorisation du parlement.

Les mêmes orateurs montrèrent ce que valait le prétendu relevé de la fortune des congrégations, « la légende du milliard », et ils insistèrent sur le danger de toute mesure de confiscation; on s'en prend d'abord à la propriété ecclésiastique, puis on arrivera - les socialistes eux-mêmes le déclarent- à la propriété individuelle.

Ce que l'on voulait au fond, c'était détruire indirectement la liberté d'enseigner, en supprimant les congrégations enseignantes. On se proposait même plus. <«< Votre loi, disait au moment du vote définitif à la Chambre l'abbé Gayraud (séance du 13 juin 1901), est une loi de combat contre l'Eglise catholique »; sur quoi, l'extrême-gauche, arbitre du résultat par ses votes, s'écriait : « Nous en acceptons l'augure! »

Les amendements présentés par la minorité furent invariablement repoussés et parfois sans réfutation. Il suffisait au rapporteur de faire appel « à la majorité compacte qui est bien résolue à voter la loi ». Pour en finir plus vite, la Chambre tint deux séances par jour, et le Sénat alla jusqu'à trois.

Le seul résultat des efforts de la minorité fut de faire remplacer la disposition qui attribuait les biens des congrégations non autorisées à l'Etat pour être le fond d'une caisse de retraite en faveur des ouvriers, par une disposition moins rigoureuse, celle de l'article 18.

Par contre, on ajouta au cours des débats une disposition (celle de l'article 14 de la loi) qui frappe les membres des congrégations non autorisées, même si ces congrégations ont cessé d'exister, d'une incapacité personnelle et indéfinie d'enseigner. C'est une sorte de diminutio capitis ou de mort civile, nouvelle dans notre droit. Même les membres des congrégations autorisées sont diminués dans leur capacité de donner et de recevoir (art. 17). La Chambre avait en outre adopté, le 29 mars, un amendement de M. Coutant, socialiste, portant que nul membre d'une congrégation religieuse, même reconnue, ne serait admis à exercer un commerce ou une industrie quelconque; seulement, au lieu d'être introduit dans la loi en préparation, cet article fut renvoyé à la commission chargée d'examiner un autre projet de loi sur les établissements charitables privés. Un autre amendement tendant à priver de leur qualité d'électeurs les membres des mêmes congrégations n'échoua qu'à une majorité de quelques voix.

A raison de l'extrême importance de cette loi, nous croyons devoir donner à la suite de son texte: 1° l'arrêté ministériel du 1er juillet 1901, portant indication des pièces à fournir par les congrégations qui demandent l'autorisation; 2o le rapport au président de la République, suivi de deux règlements d'administration publique pour l'exécution de la loi, tous deux datés du 16 août 1901.

TITRE Ier.

Art. 1er. L'association est la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun d'une façon permanente leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices. Elle est régie, quant à sa validité, par les principes généraux du droit applicables aux contrats et obligations. Art. 2. Les associations de personnes pourront se former librement sans autorisation ni déclaration préalable, mais elles ne jouiront de la capacité juridique que si elles se sont conformées aux dispositions de l'article 5.

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Art. 3. Toute association fondée sur une cause ou en vue d'un objet illicite (1), contraire aux lois, aux bonnes mœurs, ou qui

(1) Le terme d'objet «< illicite » a donné lieu à réclamations. Un député, M. Perreau, a demandé notamment si l'on considérait comme illicites les associations fondées pour attaquer la propriété. M. Waldeck-Rousseau a répondu que la propriété telle qu'elle existe et telle que la définit l'article 1133 du code civil est protégée par la législation actuelle, mais que l'on n'entend point punir les doctrines et les théories qui auraient pour but de changer sa nature et son assiette.

aurait pour but de porter atteinte à l'intégrité du territoire national et à la forme républicaine du gouvernement, est nulle et de nul effet.

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Art. 4. Tout membre d'une association qui n'est pas formée pour un temps déterminé peut s'en retirer en tout temps, après paiement des cotisations échues et de l'année courante, nonobstant toute clause contraire (1).

Art. 5. Toute association qui voudra obtenir la capacité juridique prévue par l'article 6 devra être rendue publique par les soins de ses fondateurs.

La déclaration préalable en sera faite à la préfecture du département ou à la sous-préfecture de l'arrondissement où l'association aura son siège social. Elle fera connaître le titre et l'objet de l'association, le siège de ses établissements et les noms, professions et domiciles de ceux qui, à un titre quelconque, sont chargés de son administration ou de sa direction. Il en sera donné récépissé. Deux exemplaires des statuts seront joints à la déclaration.

Les associations sont tenues de faire connaître, dans les trois mois, tous les changements survenus dans leur administration ou direction, ainsi que toutes les modifications apportées à leurs statuts.

Ces modifications et changements ne sont opposables aux tiers qu'à partir du jour où ils auront été déclarés.

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Les modifications et changements seront en outre consignés sur un registre spécial qui devra être présenté aux autorités administratives ou judiciaires chaque fois qu'elles en feront la demande. Art. 6. Toute association régulièrement déclarée peut, sans aucune autorisation spéciale, ester en justice, acquérir à titre onéreux, posséder et administrer, en dehors des subventions de l'État, des départements et des communes :

1o Les cotisations de ses membres ou les sommes au moyen des. quelles ces cotisations ont été rédimées, ces sommes ne pouvant être supérieures à cinq cents francs (2);

2o Le local destiné à l'administration de l'association et à la réunion de ses membres;

3o Les immeubles strictement nécessaires à l'accomplissement du but qu'elle se propose.

(1) Un amendement avait été proposé qui portait : « Tout démissionnaire est garant envers les tiers des engagements contractés par l'association en sa présence (par exemple location d'un immeuble). » Il ne fut pas accepté.

(2) Au Sénat, M. Bérenger fit, en vain, remarquer qu'il y a des rachats de cotisations ou versements gracieux très précieux pour les sociétés qui les reçoivent et qui souvent dépassent 500 fr.

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