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invoquait l'esprit de la Constitution, qui a voulu faire de la Chambre l'élément mobile, en contact fréquent avec le suffrage universel, et du Sénat l'élément stable et continu. En conséquence, la commission proposait la suppression de l'article 3.

Après déclaration d'urgence, le Sénat, dans sa séance du 28 mars 1902, passa à la discussion des articles du projet de loi. Cette discussion s'ouvrit par un discours de M. Waldeck-Rousseau, président du conseil, (qui avait été empêché par un accident grave de représenter le cabinet à la Chambre lors du dernier débat.) Le ministre s'étendit sur une modification du tableau des circonscriptions, votée par la Chambre et relative à la circonscription de Tournon. Il demanda au Sénat avec insistance d'adopter le tableau tel qu'il avait été approuvé par la Chambre, tandis que la commission sénatoriale proposait de ne prendre aucune décision jusqu'à ce que le conseil général de l'Ardèche eût délibéré sur la question.

Par 152 voix contre 121, le Sénat adopta le tableau arrêté par la Chambre. Il vola ensuite, sans débats, l'article 2, relatif à l'inéligibilité de certains magistrats, des juges de paix titulaires, des préfets et des sous-préfets du département. Mais, sur l'article 3, qui étendait à six ans la durée du mandat législatif, avec renouvellement intégral, article dont la commission demandait le rejet pur et simple, M. Maxime Lecomte proposa des dispositions nouvelles qui, abrogeant l'article 15 de la loi organique du 30 novembre 1875, portaient que la Chambre, élue pour six ans, serait renouvelée par moitié, tous les trois ans, le sort devant désigner la première série sortante.

Le président du conseil, M. Waldeck-Rousseau, qui avait parlé longuement à propos de la modification de la circonscription de Tournon, fut, au contraire, très bref, sur l'augmentation de la durée du mandat législatif. Il persistait à s'y montrer favorable, mais il réclama la disjonction de la proposition Lecomte, afin de pouvoir immédiatement renvoyer à la Chambre le projet de loi sur les circonscriptions électorales et permettre ainsi de procéder aux prochaines élections. Au contraire, la commission sénatoriale, par l'organe de M. Tillaye, réclamait une solution immédiate, la condamnation du principe de l'extension du mandat de la Chambre et le rejet de la demande de disjonction de l'article 3 voté par la Chambre. M. Wallon, le vénérable président de la commission, insista dans le même sens, en soutenant que la prolongation du mandat de l'autre assemblée détruirait l'équilibre établi entre les pouvoirs publics. Mais le Sénat, par 160 voix contre 118, se rangea à l'opinion du président du conseil et prononça la disjonction de l'article 3. L'ensemble du projet de loi, ainsi réduit, fut ensuite adopté.

Le gouvernement reporta immédiatement à la Chambre le nouveau texte en deux articles. M. Pourquery de Boisserin reprit cependant sa proposition; mais, après un discours du président du conseil qui, sans renier sa première opinion, demanda à la Chambre d'ajourner un débat

sur la durée du mandat et de voter la loi sur les circonscriptions élecraies, l'auteur de l'amendement qui était devenu l'article 3, le transforma en proposition de loi à discuter ultérieurement, et l'ensemble du projet fut voté sans autres débats.

Art. 1. Le tableau des circonscriptions électorales, annexé à la loi du 13 février 1889, est modifié conformément aux indications contenues dans le tableau annexé à la présente loi.

Art. 2. Le paragraphe 2 de l'article 12 de la loi du 30 novembre 1875 est complété par l'adjonction des mots : « ainsi que les juges de paix titulaires» et ce paragraphe demeure ainsi rédigé :

«< 2o Les présidents, vice-présidents, juges titulaires, juges d'instruction et membres du parquet des tribunaux de première instance, ainsi que les juges de paix titulaires. >>

Le dernier paragraphe du même article est modifié de la manière suivante:

« Les sous-préfets et les conseillers de préfecture ne peuvent être élus dans aucun arrondissement du département où ils exercent leurs fonctions. >>

Les deux modifications prévues au présent article ne s'appliqueront ni aux juges de paix titulaires, ni aux conseillers de préfecture dont les fonctions auront cessé, soit avant la promulgation de la présente loi, soit dans les vingt jours qui la saivront.

X.

LOI DU 30 MARS 1902, RELATIVE A LA RÉPRESSION DES FRAUDES
EN MATIÈRE ÉLECTORALE (1).

Notice et notes par M. PAUL ROBIQUET, avocat au conseil d'État
et à la cour de cassation, docteur ès-lettres.

La loi du 30 mars 1902 puise son origine dans un amendement présenté par l'honorable M. Perreau à la loi sur le secret du vote. Dans sa teneur primitive, cet amendement visait non seulement les manœuvres

(1) J. Off. du 31 mars 1902.

TRAVAUX PRÉPARATOIRES.- Chambre Proposition de loi de M. Perreau, doc. 1902, p. 31; rapport, p. 109; urgence, discussion et adoption, 18 mars 1902. Sénat texte transmis, doc. 1902, p. 368; rapport, 25 mars 1902, doc. p. 395; discussion et adoption 28 mars 1902. Chambre texte transmis, 28 mars 1902; rapport, urgence, adoption, 28 mars 1902, 2° séance.

frauduleuses tendant à modifier le résultat du scrutin, mais encore les actes ou l'inobservation des dispositions de lois ou de règlements qui se seraient inspirés du même dessein.

Mais, à la suite d'une entente entre le député auteur de la proposition et la commission dite du suffrage universel, l'amendement fat transformé en proposition de loi, et son objectif fut restreint à la répression des manoeuvres frauduleuses.

On avait constaté, en effet, que certaines fraudes électorales échappaient à des sanctions pénales qui étaient vieilles de plus de cinquante ans. Le décret organique du 2 février 1852 prévoyait bien et punissait les fraudes commises au cours d'un scrutin, par exemple les délits d'adjonction, de soustraction et d'altération de suffrages (art. 35). Il ne pouvait y avoir de difficulté d'interprétation, pour les cas d'adjonction et d'altération. Mais la cour de cassation avait déclaré dans plusieurs arrêts (24 mai, 14 juin 1884, 20 février 1896) que si, par exemple, au lieu d'enlever des bulletins de l'urne, le bureau empêche les électeurs de voter ou refuse de recevoir leurs bulletins, il n'y a pas soustraction de suffrages, au sens du décret du 2 février 1852; qu'en effet, son article 35 « impose un fait matériel de soustraction ou d'altération » qui n'existait pas dans les cas dont il s'agit.

Les parquets avaient, d'autre part, poursuivi les mêmes fraudes devant la juridiction criminelle, en vertu de l'article 144 du code pénal, ainsi conçu : « Lorsqu'un fonctionnaire public, un agent ou un préposé du gouvernement aura ordonné ou fait quelque acte arbitraire ou attentatoire soit à la liberté individuelle, soit aux droits civiques d'un ou de plusieurs citoyens, soit à la charte, il sera condamné à la peine de la dégradation civique.

Mais les accusés ont tous été acquittés.

Le jury comprend très bien la nécessité de réprimer les atteintes à la propriété il comprend déjà moins bien celle de réprimer les crimes passionnels. Quant aux actes « attentatoires à la liberté individuelle et aux droits civiques », ils ne lui causent pas plus d'indignation que les attentats contre la Charte, on dirait aujourd'hui contre la Constitution. Aussi le législateur a-t-il eu la prétention très légitime de « combler une lacune», comme dit M. de Casabianca dans son rapport au Sénat. Il avait reconnu que les textes manquaient pour punir le refus du maire de communiquer la liste électorale ou les manœuvres des bureaux pour empêcher les électeurs de voter, par exemple en refusant de recevoir leurs bulletins. Il est incroyable, en effet, que les lois antérieures n'aient pas songé à établir des sanctions pénales contre une commission de recensement qui écarte comme irrégulière non pas une partie, mais la totalité des suffrages exprimés dans une commune en faveur d'un candidat! C'est pour soustraire à l'impunité des fraudes aussi scandaleuses que M. Perreau avait rédigé sa proposition.

La commission de la Chambre, après avoir fait prononcer l'urgence, présenta la rédaction suivante :

« En dehors des cas spécialement prévus par les dispositions des lois et décrets actuellement en vigueur, quiconque, soit dans une commission municipale, soit dans un bureau de recensement, soit dans un bureau de vote, avant, pendant ou après un scrutin, aura, par des manœuvres frauduleuses, changé ou tenté de changer le résultat du scrutin, sera puni d'un emprisonnement de six jours à deux mois, et d'une amende de 50 à 500 francs ou de l'une des deux peines seulement. - Si le coupable est un fonctionnaire public, la peine sera portée au double. »

M. Gourd fit d'abord admettre, d'accord avec la commission, un amendement qui remplaçait les mots... « soit dans une commission municipale » par ceux-ci : « soit dans une commission administrative ou municipale. » Il y a, en effet, deux commissions qui concourent à l'établissement de la liste électorale : l'une, dite administrative, qui dresse le tableau rectificatif; l'autre, dite municipale, qui statue sur les réclamations présentées par les électeurs contre le tableau rectificatif. Et l'auteur de l'amendement estimait avec raison que la loi devait viser l'une et l'autre commission.

La Chambre adopta ensuite, après pointage, par 242 voix contre 239, un amendement de M. Louis Martin (Var) qui ajoutait aux pénalités édictées par l'article « la privation des droits civiques pendant une durée de deux à cinq ans. » Le rapporteur fit, en vain, observer que le décretloi de 1852 n'avait pas édicté cette pénalité et que la magistrature hésiterait à l'appliquer, parce qu'elle semblait excessive.

La Chambre adopta ensuite un amendement, présenté par M. Bienvenu Martin et accepté par la commission, qui ajoutait après les mots << soit dans un bureau de vote ou dans les bureaux des mairies » ceux-ci : « des préfectures ou des sous-préfectures; » et, enfin, une dernière addition, proposée par la commission et qui était ainsi conçue : « L'article 463 du code pénal est applicable à la présente loi. »><

Transmise au Sénat, la proposition de loi fut l'objet d'un rapport de M. de Casabianca.

La commission sénatoriale, tout en approuvant le texte de la Chambre, estima qu'il comportait plusieurs modifications. Elle supprima les mots <«< manœuvres frauduleuses », comme pouvant donner lieu à des difficultés d'ordre juridique. De plus, et tout en maintenant la peine de l'interdiction des droits civiques pour une période de deux à cinq ans, la commission du Sénat jugea préférable de laisser, à cet égard, aux trinaux la faculté de la prononcer ou de ne pas la prononcer.

Malgré les observations de M. Charles Riou, qui soutint que la Chambre n'accepterait pas ces modifications, parce qu'une commission de l'autre assemblée avait déjà refusé de les admettre (ce qui était d'une procédure assez singulière), le Sénat ratifia le nouveau texte remanié par sa commission. Mais, dans sa séance du même jour 28 mars, la Chambre, sur le rapport de la commission du suffrage universel, vota sans débats et « à titre transactionnel » la loi telle qu'elle revenait du Sénat.

Article unique. En dehors des cas spécialement prévus par les dispositions des lois et décrets actuellement en vigueur, qui-. conque, soit dans une commission administrative ou municipale, soit dans un bureau de recensement, soit dans un bureau de vote ou dans les bureaux des mairies, des préfectures ou sous-préfectures, avant, pendant ou après un scrutin, aura, par inobservation volontaire de la loi ou des arrêtés préfectoraux, ou par tous autres actes frauduleux, changé ou tenté de changer le résultat du scrutin, sera puni d'un emprisonnement de six jours à deux mois et d'une amende de 50 francs à 500 francs ou de l'une de ces deux peines seulement.

Les tribunaux pourront, en outre, prononcer la peine de l'interdiction des droits civiques pendant une durée de deux à cinq

ans.

Si le coupable est un fonctionnaire public, la peine sera portée au double.

L'article 463 du code pénal est applicable à la présente loi.

XI.

LOI DU 30 MARS 1902, PORTANT FIXATION DU BUDGET GÉNÉRAL DES RECETTES ET DES DÉPENSES DE L'EXERCICE 1902.

Art. 10 et 11, relatifs aux droits de mutation par décès.

Le texte de ces deux articles, modifiant la loi du 25 février 1901, a été inséré par anticipation dans l'Annuaire de 1902 (tome XXI, p. 146).

XII.

LOI DU 7 AVRIL 1902, MODIFIANT LES DISPOSITIONS DE LA LOI
DU 5 AVRIL 1884 (1).

Notice par M. Paul FAUCHILLE, avocat, docteur en droit.

Aux termes des articles 133, §§ 15 et 16, 141, 142 et 143 de la loi du 5 avril 1884, les pouvoirs des conseils municipaux en matière financière

(1) J. Off. du 9 avril 1902. TRAVAUX PRÉPARATOIRES.

-

Sénat propos. Milliès-Lacroix, doc. 1900, p. 22; rapp. sommaire, p. 53 ; prise en consid., 15 mars 1900; rapport, doc. 1901, p. 206;

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