Images de page
PDF
ePub

Pendant la révolution, l'acte de navigation du 21 septembre 1793 vint interdire la francisation des navires construits à l'étranger, et tenta même, sans d'ailleurs pouvoir être appliqué de ce chef en raison de la situation politique de la France, l'exclusion absolue du tiers pavillon et de la navigation indirecte (1); enfin les navires étrangers devinrent l'objet de droits de tonnage spéciaux (2).

Sous la restauration, en présence de l'anéantissement à peu près complet de la marine de commerce à la suite des guerres de l'empire, la prohibition absolue ne pouvait être maintenue; le gouvernement dut revenir aux droits protecteurs et, à côté des droits de tonnage sur les navires étrangers, il établit des surtaxes de pavillon frappant les inarchandises importées sous pavillon étranger; mais, peu à peu, par l'effet des traités de réciprocité, ces droits arrivèrent à ne plus frapper que la navigation indirecte (3).

C ́s mesures diverses n'empêchèrent pas la marine marchande française de se voir désavantageusement concurrencée par les marines étrangères. Le 22 octobre 1824, une enquête officielle fut décidée et se mit en devoir de rechercher les causes de la cherté relative de la navigation française (4); cette enquête, conduite cependant avec soin, ne paraît pas avoir abouti à des résultats pratiques sensibles; en 1846, dans

roi donnait l'exemple et il fallait le suivre; bon gré mal gré « toute la nation secondait son maitre » et la cour fournissait 2 millions, les financiers 2 millions, etc. Voir à cet égard Voltaire Siècle de Louis XIV, ch. 29; P. Clément, op. cit. I p. 339; Bonnassieux, op. cit. p. 263 et suiv.; et, d'une façon générale, sur le rôle joué par les pouvoirs publics dans la constitution et le fonctionnement des grandes compagnies se livrant au commerce de mer, v. Dictionnaire du commerce de l'Encyclopédie méthodique, vo Compagnie, compugnie des Indes, etc. Sur les autres faveurs consistant en exemptions et privilèges de toutes sortes, anoblissements, dons de navires armés, dons de prises, gratifications pécuniaires, etc., v. Bonnassieux, op. cit. p. 359, 373.

(1) Sur l'acte de navigation de 1793, voir : Ducher, Rapport et projet d'un décret de navigation française, 20 décembre 1790: Delattre, Rapport et projel de décret sur la navigation française, 22 septembre 1791; B. Barrère, Rapport sur l'acte de navigation fait au nom du comité de salut public; Marec, Rapport sur un projet d'acte de navigation de la République française, 3 jui!let 1793 (à la suite du rapport de Barrère); Ducher, Acte de navigation avec ses rapports au commerce, aux finances et à la nouvelle diplomatie des français, 12 février 1893: tous documents imprimés par ordre de l'Assemblée nationale et de la Convention.

(2) Loi du 27 vendémiaire an II, art. 33. Sur les modifications successivement apportées aux droits de tonnage jusqu'à leur suppression par la loi du 17 mai 1866, consulter notamment Pallain, Les douanes françaises (Paris 1896), t. I, p. 261 et suiv.

(3) Loi 28 avril 1816; sur les surtaxes de pavillon, voir notamment Bourgat, Code des douanes (Paris 1842), t. I, p. 87 et suiv.

(4) Les résultats des travaux de cette enquête, d'abord insérés par fragments dans les rapports introductifs des budgets pour les années qui suivirent, furent imprimés en entier en 1840 par les soins du ministère de la marine: Enquête de 1824 sur les causes de la cherté relative de la navigation française, in-8° Paris, imprimerie royale, 1840.

la discussion de la loi sur les dépenses de la marine, M. de Montalembert se lamentait sur « le spectacle douloureux de nos ports de commerce... en pleine voie d'appauvrissement (1). »

On sait comment, à partir de 1860, le second empire crut devoir s'éloigner du système protecteur et adopter une politique de liberté commerciale. En ce qui concerne la marine marchande, une vaste enquête fut ordonnée et l'on ne saurait en méconnaître la valeur (2). A la suite de ce travail, la loi sur la marine marchande du 19 mai 1866 abrogea la législation antérieure, consacra le principe de l'assimilation des pavillons, portant suppression des droits de tonnage et surtaxes de pavillon, abaissant, à titre de compensation, les droits d'importation des navires et admettant l'entrée en franchise des matériaux de constructions navales (3).

De vives réclamations ne tardèrent pas à suivre l'introduction du régime de 1866; dès le début de l'année 1870, une nouvelle enquête fut jugée nécessaire pour étudier les remèdes à apporter à la trop grande liberté laissée à la concurrence étrangère (4); la guerre l'empêcha d'aboutir. Sitôt la paix rétablie, le législateur se préoccupa de nouveau de la question et sous l'inspiration de Thiers, la loi du 30 janvier 1872 tenta de rétablir les surtaxes de pavillon (5); l'année suivante, le gouvernement ayant changé, la loi du 25 juillet 1873 les supprimait derechef et ordonnait encore une enquête (6).

C'est alors qu'à la suite de diverses propositions de loi inspirées de

(1) Voir notamment de Fonmartin de L'Espinasse, Appel au gouvernement et aux chambres sur notre marine marchande, in-8° Paris, 1846; Aug. Lucas, Note sur les causes et la faiblesse de notre commerce maritime comparalivement à celui de l'Angleterre et des Etats-Unis, Paris 1839; Girette, La marine française en 1849 [Extrait de la Revue des Deux-Mondes] Paris 1819. (2) Conseil supérieur de l'agriculture du commerce et de l'industrie. Enquête sur la marine marchande, 3 vol. gr. in-4°, Paris, Imprimerie impériale, 18631865; Henri Galos, Enquête sur la marine marchande, in-8o, Paris, Amyot, 1865.

(3) Sur le régime de la loi du 19 mai 1866, consulter Amé, op. cit., t. II, p. 66 et s.; les discours prononcés à la Chambre des députés par M. PouyerQuertier les 12, 16, 17, 19 et 20 avril 1866, réunis en volume in-8°, Paris, Panckoucke, 1866; de même le discours de M. Dupuy de Lôme, brochure in-8°, ibid. 1866.

1

(4) Enquete parlementaire sur la marine marchande, 1870; compte rendu des séances; documents écrits, in-4°, 1870. Sur les critiques formulées à la suite de la mise en vigueur de la loi 1866, consulter J. Léveillé, Notre marine marchande et son avenir (Paris 1868); -J. Le Cesne, député, Discours au corps législatif interpellation sur la marine marchande, 3 février 1870, (en brochure in-8° Paris, Impr. du J. Off., 1870); - Marine marchande, Manifestes des ports: Havre, Marseille, Nantes, Bordeaux, Dunkerque, etc. (en brochure in-4°, Paris, Chaix, 1871).

(5) Sur la loi du 30 janvier 1872, consulter Amé, op. cit., t. II, p. 267, 273. (6) Voir Amé, op. cit., tome II, p. 329; et Ministère de l'agriculture et du commerce. Commission chargée d'examiner les moyens de venir en aide à la marine marchande (décret du 15 octobre 1873), gr. in-4°, Paris, Imprimerie nationale, 1874.

cette enquête de 1873, le législateur eut recours, en 1881, au système des primes, qui, depuis cette époque et à travers des péripéties variées, n'a pas pas cessé de fonctionner dans notre pays.

Le régime établi par la loi sur la marine marchande du 29 janvier 1881 (1) se résumait en un système de primes à la navigation allouées aux arinateurs de navires construits en France, de demi-primes allouées aux armateurs de navires construits à l'étranger et de primes à la construction allouées aux constructeurs de navires français (2).

La loi de 1881 faite pour dix ans et successivement prorogée en 1891 et 1892, donna quelques résultats heureux quant à la navigation et aux armements à vapeur; on pensa donc, en 1893, devoir en maintenir le principe. Mais il parut que la navigation à voiles et l'industrie des constructions n'étaient pas suffisamment encouragées; la loi du 30 janvier 1893 (3) vint alors augmenter les primes à la construction et les primes à la navigation pour les voiliers et supprimer toute prime ou demi-prime pour les navires construits à l'étranger.

La loi du 30 juillet 1893 avait été, comme la précédente, faite pour dix ans. Bien avant son expiration, elle fut l'objet de vives critiques. L'état peu satisfaisant de la marine. marchande s'accusant chaque jour davantage (4), de tous côtés se firent entendre de nouveaux appels aux pouvoirs publics et à la protection de l'État. Dès 1896, le conseil supérieur de la marine marchande, créé en avril de cette même année, examina et admit le principe d'une nouvelle réforme législative (5).

(1) Anu. lég. franç. t. I, 23.

(2) Sur la loi du 29 janvier 1881, consulter: A. Desjardins, Appendice Il au tome III du Traité de droit maritime (Paris 1882).

(3) Voir Ann. lég. franç, t. XIII p. 31, et la notice de M. Héron de Villefosse. (4) Bornons-nous à rappeler, pour le long cours et le cabotage international, la diminution sans cesse croissante du nombre des navires, du tonnage, du nombre des matelots et chauffeurs, du nombre des capitaines au long cours :

[blocks in formation]

De 1870 à 1879: moyenne annuelle des capitaines au long cours reçus

[blocks in formation]

144

95

= 65

Pour plus de détails, voir le rapport de M. Estier à la commission d'enquête de 1897, rapport inséré dans l'exposé des motifs de la loi du 7 avril 1902; voir également J. Charles-Roux, rapport sur le budget du commerce exercice 1898 (Ch. dep. sess. 1897, n° 27.000) p. 118 à 229; Henri Fromageot, Rapport au ministre du commerce sur la marine marchande dans les mers d'ExtrêmeOrient et du Pacifique, in-4°. Paris, 1897.

(5) Voir J. Duprat, Rapport présenté à la commission des armements du conseil supérieur de la marine marchande (annexé au rapport précité de M. J. Charles-Roux sur le budget du commerce de 1898). On sait que, d'une façon générale, les travaux du conseil supérieur de la marine marchande ne sont pas publiés.

Quelques mois plus tard, le 1er décembre 1896, la Chambre des députés votait une résolution invitant le gouvernement à « faire rechercher par une commission spéciale les moyens de venir en aide à la marine marchande ». Par décret du 9 février 1897, une commission extraparlementaire fut constituée et il fut procédé encore une fois à une enquête c'était, depuis 1815, la cinquième sur la matière (1).

Les travaux de la commission extra-parlementaire (1897-1899) aboutirent au dépot d'un rapport dû à M. Estier, de Marseille, concluant également à la réforme de la législation existante, tendant à ne plus refuser toute allocation à l'armement des navires construits hors de France et proposant à leur égard une nouvelle sorte de subvention, sous le nom de compensation d'armement, tout en maintenant pour les navires construits en France le système des primes à la navigation. Cependant d'ardentes controverses étaient soulevées dans la presse; les mêmes théories, maintes fois soutenues, furent reproduites de part et d'autre d'un côté les armateurs demandant à profiter des subsides de l'État, tout en conservant la faculté de faire construire et d'acheter leurs navires là où ils coûtent le moins cher, de l'autre côté les constructeurs réclamant une protection contre la concurrence de l'étranger et demandant que seuls les navires sortis des chantiers français puissent bénéficier des faveurs du trésor français.

C'est dans ces conditions que, le 14 novembre 1899, fut déposé un projet de loi par le ministre du commerce. Ce projet adoptait, au moins en principe, les solutions proposées par le rapport précité de M. Estier. Après divers remaniements soit à la Chambre soit au Sénat, ce projet devint la loi du 7 avril 1902. Comme pour les lois précédentes sur le même sujet, la durée d'application en a été fixée à dix ans (art. 10).

Nous nous bornons à indiquer à grands traits l'ensemble du régime sous l'empire duquel les industries maritimes vont dorénavant, par l'effet de la loi nouvelle, se trouver placées pendant les dix années qui vont suivre.

I. Subventions aux constructions navales. Le système antérieur des primes allouées aux constructions navales est conservé et, à cet égard, la loi nouvelle (art. 10,-2o) maintient les dispositions de la loi du 30 janvier 1893; il convient de signaler la protection accordée à la main-d'œuvre nationale par suite d'une proportion maxima de 20 % imposée à l'emploi de la main-d'œuvre étrangère sur les chantiers français.

II. Subvention aux armements. Les armements maritimes sont

(4) Enquête extra-parlementaire chargée d'étudier les moyens de venir en aide à la marine marchande: I. Sous-commission d'enquête, gr. in-4°, Paris, Imprimerie nationale, 1897; II. Compte rendu des travaux de la commision, gr. in-40, ibid. 1899.

l'objet d'un double système de subsides, ne pouvant pas d'ailleurs se cumuler:

1o Les primes à la navigation allouées aux navires construits en France, jaugeant plus de 100 tonneaux bruts et naviguant sous pavillon français; les primes sont établies par tonneau de jauge brute et par milliers de milles marins parcourus, à raison de 1 fr. 70, avec décroissance annuelle et décroissance proportionnelle à l'élévation du tonnage au-dessus d'une certaine jauge, 3.000 tonneaux pour les vapeurs et 600 tonneaux pour les voiliers (art. 3).

2° La compensation d'armement (1). Cette allocation, qui est attribuée aux armateurs quelle que soit l'origine du navire, constitue l'innovation principale de la loi, ainsi qu'on l'a va plus haut. Elle est destinée à tenir lieu de la demi-prime réclamée par l'armement pour les navires construits à l'étranger, demi-prime accordée en 1881 et refusée en 1893. Elle a pour but également de donner satisfaction aux critiques formulées par les constructeurs contre cette demi-prime, qui, étant attribuée au tonneau et à la distance parcourue, devient facilement une protection pour le navire de construction étrangère et cesse d'être une compensation pour l'armement français. En effet, la nouvelle allocation, attribuée aux vapeurs de construction étrangère, armés sous pavillon français et jaugeant plus de 100 tonneaux bruts, est établie non pas à tant par tonneaux et selon la distance parcourue, mais par tonneau de jauge brute et par jour d'armement administratif à raison de 0 fr. 05 avec décroissance proportionnelle à l'élévation du tonnage au-dessus de 2.000 tonneaux (art. 2).

Les vapeurs construits en France ont, pour chaque voyage, le droit d'opter entre l'une ou l'autre des deux formes de subvention (art. 6, al. 1). Pour les navires qui naviguent seulement au cabotage international, la prime ou compensation d'armement est réduite aux deux tiers(art. 5). La loi a cru devoir édicter, en outre, un certain nombre de dispositions en vue d'assurer le résultat utile de la protection accordée par l'État. Pour écarter le danger des francisations fictives et en prévenir la fraude, la prime à la navigation et la compensation d'armement sont soumises aux conditions suivantes : les sociétés anonymes ou autres, propriétaires de bâtiments recevant l'une des allocations, devront avoir, dans leur conseil d'administration ou de surveillance, une majorité de citoyens français; le président du conseil d'administration, l'administrateur délégué ou le gérant devront être français (art. 1). En outre, sont privés de toute allocation les navires d'origine étrangère qui, au moment de leur francisation ou dans les six mois qui la suivent, seraient hypothéqués pour plus de moitié de leur valeur (art. 6, § 4).

(1) Comparer avec la subvention accordée en Autriche, sous le nom de Betriebszuschuss, par la loi autrichienne du 27 décembre 1893, Ann. législ. étrang. t. XXIII, p. 232.

« PrécédentContinuer »